Ségolène Royal, ou la participation en creux
Quel que soit le devenir de ce phénomène qui s’installe, sans doute durablement, dans notre système médiologique, le principal intérêt du phénomène Royal n’a que peu à voir finalement, avec l’idée d’un projet pour la France qui serait soumis d’abord au débat lors d’une campagne électorale, afin de pouvoir l’être ensuite au suffrage universel d’un peuple souverain. Cet intérêt, puisqu’il existe, me paraît avant tout de caractère sociologique au travers de la compréhension d’une forme (enfin) aboutie de ce qu’il nous faut à l’évidence désigner par le terme de « démocratie d’opinion ».
Au moins trois raisons permettent d’expliquer ce prodige médiologique, comme elles peuvent en fournir les bases d’un salutaire décryptage.
La première tient à l’économie générale de la « sphère médiologique » contemporaine elle-même, dont on sait, avec Régis Debray, qu’elle précède et excède la sphère des médias à proprement parler (que ceux-ci soient imprimés ou électroniques). Et dont on sait également que la puissance et les modes de fonctionnement de ces médias l’influencent lourdement. Autrement dit, si les médias « n’inventent » pas l’évènement, ils lui fournissent une rhétorique qui peut se substituer insidieusement à la réalité de l’évènement proprement dit. Une semaine de présence sur quelques plateaux télévisés, couplée à l’impact des principales couvertures de newsmagazines, alimente à l’évidence la caverne médiologique. Les critiques retrouvent alors leurs semblables à l’intérieur de celle-ci, dans l’ombre des vérités contingentes et incertaines, alors qu’il s’agirait de rencontrer (et d’entendre) ceux qui demeurent en dehors de cette caverne et qui œuvrent à la recherche de la vérité.
La seconde raison tient à « la perte du pouvoir d’achat de la démocratie représentative », que Jacques Rancière analyse comme l’achèvement d’un système de gouvernement politique et l’obsolescence de ses procédures, incarnées dans les institutions de la Cinquième République. L’épisode tout à la fois grotesque et tragique du CPE illustre assez crûment ce constat aussi brutal qu’évident. Il nous faut l’affirmer, nos modes de gouvernement et les procédures démocratiques qui les accompagnent ne sont plus à même de répondre à l’évolution de la société française. Et cette impossibilité momentanée crée un espace vide, un espace véritablement de transition... où les toujours humains (au sens anthropologique) que nous sommes malgré tout substituent à l’effort qui serait nécessaire pour penser une nouvelle mécanique politique cette facilité de croire qu’un seul (une seule dans le cas présent) puisse le penser à notre place. Une fois de plus, nous cédons à l’enfant qui ne nous a jamais quitté tout à fait et, jouissant d’une régression réconfortante, nous croyons celle qui, comme dans les jeux de notre enfance, affirme que « c’est pour de vrai ! » et que ce « n’est pas pour du beurre ! ».
« Ce n’est pas pour du beurre, vous allez (enfin) participer ! ». L’affirmation de cette « marque de fabrique » de la candidate Ségolène Royal constitue la troisième explication du prodige médiologique annoncé et réalisé au prix d’une confusion manifestement entretenue. Car s’il est juste de considérer que l’évolution de notre société nécessite d’intégrer dans nos modes de gouvernement contemporains le fait que les citoyens sont, pour leur part, des « experts » des questions qui leur sont posées, les méthodes suggérées par cette candidate afin de les y associer n’apparaissent pas à la hauteur de l’ambition de ce constat. Il ne saurait suffire, en ce domaine, comme au travers de ce qui est réalisé dans le site « desirsdavenir.com », de récolter une succession d’opinions pour prétendre réaliser un « diagnostic partagé », dont les réponses constitueraient un futur programme présidentiel « participatif ». La méthode qui consiste à collecter des opinions (fussent-elles « thématisées ») ne peut à elle seule prétendre renouveler, et rendre de nouveau pensable, un espace politique, redevenu cohérent avec les réalités et surtout avec l’état de maturité des citoyens de ce début de vingt et unième siècle. Ce faisant, l’approche choisie par cette candidate ne fait qu’approfondir une confusion, si souvent proposée en matière de participation des citoyens, entre un outil de communication simulant l’horizontalité entre tous et de véritables espaces publics de délibération., qui, eux, seraient à même de répondre à cette demande de politique des citoyens, que le « personnel » politique n’arrive plus à traduire dans les faits, et qui ne trouve alors que la rue pour s’évacuer dans un flux puissant, mais débarrassé de tout désir, et dominé par le ressentiment.
Tôt (avant l’échéance présidentielle) ou tard (après celle-ci), cette confusion ne pourra pas durablement dissimuler cette nécessité de l’effort à produire afin de penser réellement des méthodes de coopération avec les citoyens, susceptibles d’améliorer l’efficacité des politiques et de l’action publique. Autrement dit, elle ne pourra travestir l’une des conditions qui, avec la prise en compte du temps long dans la résolution des problèmes et une certaine vision d’un monde affirmé comme horizon politique, permettent effectivement la réforme. Aussi, du fait que cette offre politique arbore une telle confusion comme principal message, tôt ou tard, cette voie « royale » ne peut que se cogner à sa propre impasse...
Jean-Luc Charlot
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