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Servitudes et grandeurs d’un petit professeur de lycée

Rubrique OPINIONS / DEBATS

Domaine : EDUCATION

 

Vive la Rentrée !

Servitudes et grandeurs d’un petit professeur de lycée

 

Alors que le débat sur la réforme du collège est clos, que la rentrée parlementaire, universitaire et judiciaire approchent, un professeur quarantenaire, enseignant vacataire – véritable « soutier de la République pédagogique » comme peut l’être le maire pour la République des collectivités territoriales - témoigne avec recul et affection de son expérience. Fort de plus de quinze années professionnelles dans la « vie réelle » (secteurs privé, public et parapublic, expatriation) et de près de vingt-cinq années d’études supérieures, il nous expose, amusé – sous forme de clins d’œil qui ne doivent aucunement être pris pour des clichés – quelques impressions pédagogiques sur cette jeune génération « mutante », très sympathique et souvent inventive – la célèbre « petite Poucette[1] » de Michel Serres – pour les disciplines de l’Histoire-Géographie, de la Science économique et sociale, de l’Education civique, juridique et sociale (ECJS), qu’il a dispensé avec enthousiasme et passion.

 
Oui, le métier d’enseignant – et plus spécifiquement de pédagogue / formateur - est le « plus beau métier du monde » - pas le plus ancien -, celui de véritable « passeur[2] » … même s’il faut bien admettre que le statut précaire de professeur vacataire est souvent déconsidéré par les Rectorats et bien mal - et trop épisodiquement - rémunéré par le Ministère de tutelle. Transmetteur de connaissances et de compétences à l’heure où l’ensemble des savoirs sont désormais instantanément accessibles, exploitables et valorisables, il faut d’incontestables qualités humaines couplées à de solides compétences pédagogiques pour que, chaque matin, soit durablement relevé le défi du maintien de l’attention d’une classe de trente élèves urbains, hyper-connectés, et - comme nous l’avons tous été - adolescents.

 

Petit palmarès d’anecdotes vécues dans l’enseignement secondaire

 

Donnant la possibilité, pour illustrer le cours d’Education civique, juridique et sociale (ECJS), ex-« instruction civique », à ses quatre-vingt dix élèves de classe de Seconde de visiter le Palais de Justice de Paris et d’assister aux audiences correctionnelles en compagnie d’une avocate de l’association InitiaDroit[3], l’enseignant – qui est responsable pénalement de ses élèves - leur transmet la consigne de sécurité suivante : « Si vous vous perdez dans les galeries du Palais - 24 kilomètres de couloirs et 7 000 portes , tout de même - , rendez-vous dans la salle des Pas Perdus où nous nous sommes tous rassemblés en arrivant ». Une jeune élève l’apostrophe, interloquée : « Dans la salle des pains perdus, Monsieur ? ». Elle ignorait encore que la reine Marie-Antoinette (1755-1793) – la tristement célèbre « boulangère » - avait été jugée et condamnée à mort par le tribunal révolutionnaire, le 16 octobre 1793, dans l’illustre salle de la Première chambre du Tribunal de Grande Instance (TGI). Depuis, l’élève a appris …

Demandant en cours d’Histoire-Géographie ce qu’est une anagramme puis à quel courant philosophique appartient François-Marie Arouet (1694-1778), dit « Voltaire », un élève lui répond spontanément : « Je sais, Monsieur, à la philosophie des Lumières …. parce que le nom de Voltaire commence par Volt ».

Quelques semaines avant les attentats de janvier, interrogeant ses élèves en ECJS sur les valeurs de la République, et après leur avoir expliqué les fonctions et missions du corps des instituteurs puis évoqué, le père de Marcel Pagnol (1895-1974), Joseph, laïc et républicain, il leur demande à qui revient la paternité de l’expression « Les Hussards noirs de la République » Face au silence interrogatif, il rend aussitôt hommage à l’écrivain-lieutenant de réserve mort au champ d’honneur, tué d’une balle dans le front, le 5 septembre 1914 : « C’est … c’est … Charles Péguy ! », repris en cœur par un rire collectif « Charles Péguy la cochonne, Monsieur ? » MDR

Demandant à ses élèves de Seconde, en cours de Sciences économiques et sociales (SES) de retenir trois à quatre célèbres sociologues français, il leur demande : « Quel sociologue français possède sa statue place de la Sorbonne ? ». Réponse d’une élève passionnée : « Je sais, Monsieur, Pierre Bourdieu ! ». Je crois bien que l’observateur de la reproduction des hiérarchies sociales, en particulier à travers le système d’enseignement dans les sociétés contemporaines, aurait adoré l’idée …

Demandant à ses élèves de classe de Terminale, pour la discipline de Sciences économiques et sociales (SES), de présenter les travaux académiques d’un des économistes abordé en cours, il met en évidence une faute sur le diaporama projeté en groupe, concernant le cursus universitaire : « Docteur honoris cosa ». Poursuivant sur le ton de la boutade, avec la voix de Don Corleone dans Le Parrain : « Cosa Nostra ? », personne n’arrive à identifier ni à relever l’erreur. Et oui ! Ne nous leurrons pas, en ce début de XXIème siècle, la langue latine est bien définitivement morte …

Enfin, à l’heure de l’hyper-connexion via Internet, des liens hypertexte numérisés et de l’incontournable « copier-coller » - deux simples commandes de touches de clavier inventées il y a trente ans par Apple – l’enseignant – qui a été l’étudiant de la chercheuse Michèle Bergadaà, spécialiste incontestée du plagiat académique – rappelle fréquemment, en binôme avec sa collègue documentaliste, à sa centaine d’élèves de classe de Seconde, l’importance de la vérification de la pertinence, de la fiabilité et de la véracité des sources documentaires. Lorsqu’il demande à un de ses élèves motivés, un bref exposé d’initiation aux sciences économiques et sociales, sur le Prix Nobel américain James Buchanan (1919-2013) … la présentation dérape en exposé historique sur James Buchanan (1791-1868), quinzième président des Etats-Unis. Parfois, une simple erreur de confusion patronymique sur Google et Wikipedia se transforme rapidement « en mode » grand moment de solitude !

En cette période de rentrée scolaire, la rédaction de cet article par un enseignant qui, en hommage à ses auditoires successifs à inventé pour eux, sur le modèle expérimental du psychologue Walter Mischel – l’improbable « Devoir Sur Table (DST) Marshmallow » - a pour objectif de remercier et féliciter les quelques deux cents cinquante élèves de classe de Seconde et de Terminale formés – ils/elles se reconnaitront -, comme les quelques mille cinq cent étudiants d’école de commerce qui les ont précédé.

 

Excellente rentrée à toutes et à tous … et, plus que jamais, « Enrichissez-vous » !

 

 

Alexandre de Crac’h

LAvisDevantSoi_LAVDS / Tous Droits Réservés / 01-09-2015

 

* Il s’agit d’un pseudonyme. Pédagogue et professeur, l’auteur est, entre autre, diplômé de Sciences-Po.

 


[1] Michel Serres, de l’Académie française (mars 2012, éditions Le Pommier, 68 pages).

[2] Les sept savoirs nécessaires à l’éducation du futur (Edgar Morin, 2000, Fr., Seuil, 130 pages)

[3] Créée en 2005, en partenariat avec le Rectorat de Paris, association d’avocats bénévoles du Barreau de Paris qui a pour mission de faire découvrir le droit, à partir de cas pratiques, dans les collèges et lycées.

 


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2 réactions à cet article    


  • Le p’tit Charles 4 septembre 2015 07:43

    (Oui, le métier d’enseignant – et plus spécifiquement de pédagogue / formateur - est le « plus beau métier du monde »)...Le plus beau métier du monde est celui d’être « Mère » il me semble...(Celui d’enseigner ne venant que bien plus loin (vous touchez de l’argent pour enseigner..)


    • Clark Kent Rascar-Capac 4 septembre 2015 10:24

      @Le p’tit Charles

      Toucher de l’argent pour faire qq chose, c’est ça un métier !
      Etre mère n’est pas un métier.
      L’expression que vous évoquez est une figure de style qui consiste à insinuer que les femmes qui n’ont pas de métier pour se conscre à leurs enfants ne sont pas des feignasses et ont une occupation plus noble que ceux qui négocient leurs interventions.
      Le mot métier devrait être mis entre guillemets, dans ce cas.
      Mais le plus beau métier du monde, celui qui a fait le plus de bien à l’humanité et désamorcer plein de crimes et de guerres, même si la solution n’est pas sans faille, c’est quand même le métier de pute.

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