SNCF : la 1ère classe gratuite, c’est possible
La chose est peu connue : les ascendants et descendants d’un militaire « mort pour la France » durant la Grande Guerre et la 2e Guerre mondiale peuvent chaque année bénéficier d’un voyage SNCF aller et retour gratuit pour se rendre sur la tombe du défunt. Parfois près d’un siècle plus tard ! Étonnant, non ?... (Cet article est une reprise modifiée d’un texte de 2012.)
Alors que l’on parle de supprimer la gratuité du transport sur les lignes SNCF pour les députés ayant accompli au moins 3 mandats, il semble utile de pointer du doigt d’autres avantages contenus – le plus souvent depuis des lustres – dans la règlementation de ce que l’on nomme pudiquement en jargon ferroviaire « les facilités de circulation ». Or, de telles « facilités », il en existe de nombreuses qui prennent des formes très différentes. Parmi elles, le « droit de visite aux tombes de militaires » dont le moins que l’on puisse dire est qu’il revêt en 2017 un caractère pour le moins baroque.
« Par application des dispositions de la convention en date du 2 janvier 1943, la SNCF doit délivrer chaque année aux veuves, ascendants et descendants des premier et deuxième degrés un permis de transport gratuit en deuxième classe pour aller visiter la tombe de leur parent « Mort pour la France » pendant la guerre de 1939-1940. »
Ce texte, tous les maires le connaissent, du moins ceux dont certains administrés sollicitent le sésame. Mais peu nombreux sont les édiles qui savent qu’une disposition analogue existe pour les descendants et ascendants des « Morts pour la France » de 1914-1918. Á une différence près : l’ayant-droit d’un défunt de la Grande Guerre ne voyage pas en 2e classe, mais en 1ère classe. Faut-il en conclure que les morts de 14-18 avaient plus de valeur que les morts de 39-45 ? Ou bien que ces derniers suscitant plus de demandes, il importait de réduire le coût de cette disposition pour l’État ? Allez savoir...
Quoi qu’il en soit, le fait est que des milliers de Français bénéficient chaque année d’un permis de visite aux tombes. Un droit si peu connu qu’il arrive que des jeunes contrôleurs de la SNCF tombent des nues lorsqu’ils sont confrontés dans les trains à ces titres de transport gratuits pourtant dûment délivrés par l’entreprise qui les emploie.
Comment cela fonctionne-t-il ? Très simple : si l’un de vos ascendants ou descendants en ligne directe est « Mort pour la France », vous bénéficiez à vie du droit d’aller gratuitement une fois par an visiter sa tombe, où qu’elle soit sur le territoire métropolitain. Encore faut-il disposer d’un document officiel prouvant le statut de « Mort pour la France » du défunt. Ce document est délivré une fois pour toutes par les autorités militaires, à l’image de celui qui illustre cet article. Après quoi, la démarche est relativement simple : 1) Muni de ce document, vous sollicitez de votre mairie une attestation de votre lien avec le défunt. 2) Vous envoyez cette attestation au bureau des Titres de circulation de la SNCF. 3) Ce bureau vous adresse un Permis de visite valable pour un aller et retour sur le trajet entre votre domicile et le lieu d’inhumation. 4) Muni de ce précieux sésame, vous allez retirer vos billets gratuits à la gare à la date de votre convenance.
Je ne doute pas un instant que ce Permis soit utilisé par des personnes sincèrement désireuses d’aller se recueillir sur la sépulture du parent « tombé au champ d’honneur » comme l’on avait coutume de dire naguère. Mais, eu égard à l’effet d’aubaine, il est probable que ces personnes sincères ne soient pas majoritaires, le plus gros contingent d’ayants-droit étant vraisemblablement composé de concitoyens bien informés qui tirent de ce droit un bénéfice personnel très éloigné de l’objectif compassionnel initial qui a motivé le législateur.
En outre, force est de reconnaître que la SNCF y a mis du sien pour détourner ce droit de sa finalité originelle. Longtemps, le billet de retour a dû en effet être utilisé dans un délai maximum de 2 semaines après le voyage aller. Pour une raison mystérieuse, la SNCF a ensuite décidé de porter ce délai de retour à 2 mois avant de tolérer dorénavant que cette date limite intervienne durant l’année civile. Comme si une visite sur la tombe d’un parent « Mort pour la France » nécessitait 1, 3 ou 6 mois de présence sur le lieu de la sépulture.
Le Var plus prisé que le Pas-de Calais
Par un curieux hasard, on constate de surcroît que ce ne sont pas les défunts inhumés dans le nord et l’est de la France – lieux où, comme chacun sait, sont concentrés la plupart des cimetières militaires – qui bénéficient de la plus grande attention de leurs parents, mais ceux dont la sépulture est située dans une région particulièrement attractive en termes de tourisme ou d’art de vivre.
C’est ainsi que M. F... utilise chaque année son Permis pour se rendre gratuitement à Bordeaux où est enterré un grand-père qu’il n’a jamais connu. En réalité, c’est à Arcachon que se rend M. F.... Moyennant le coût modique d’un billet TER pour les 60 km séparant la préfecture de région de la station balnéaire, il se rend sans le moindre état d‘âme sur son lieu de vacances estival, à deux pas de la célèbre dune du Pyla, sans passer par la case cimetière de la métropole girondine.
Le cas de Mme L... est encore plus intéressant. Comme M. F... elle n’a jamais connu son grand-père. Et pour cause : ce soldat « Mort pour la France » est décédé en... 1918 (cf. illustration). Son fils avait alors 3 ans. Et sa petite-fille, Mme L..., n’a vu le jour qu’en 1944, soit... 26 ans après l’inhumation de son grand-père ! Ce qui n’empêche pas cette brave dame bien informée de bénéficier chaque année depuis des décennies de son Permis de visite grâce auquel elle peut voyager en 1ère classe sans se soucier le moins du monde de cet aïeul inconnu, enterré depuis près d’un siècle.
Il serait à cet égard instructif de connaître en détail le profil des ayants-droit. Mais on peut sans grand risque avancer l’hypothèse que les « Morts pour la France » inhumés dans le sud sont nettement plus visités que les infortunés « Morts au champ d’honneur » enterrés dans le Pas-de-Calais, les Ardennes ou la Meurthe-et-Moselle. Énoncé de manière plus triviale, cela signifie qu’un ayant-droit d’Hénin-Liétard ou Stiring-Wendel va plus facilement visiter un parent décédé lors du débarquement de Provence à Cavalaire qu’un ayant-droit de Manosque ou de Sarlat dont le parent a perdu la vie dans une tranchée d’Argonne en 1916 ou la poche de Dunkerque en 1940.
Combien cela coûte-t-il à l’État* ? Sans doute pas énormément, compte tenu de la relative confidentialité de ce droit. Mais à l’évidence il s’agit là de sommes très largement versées de manière inique si l’on se réfère aux dérives induites par le laxisme des conditions d’usage des Permis de visite aux tombes. Dès lors, on peut légitimement se poser la question : combien de dispositions de même nature existent dans le droit français ? Et quelles sommes pourraient être économisées si les pouvoirs publics avaient réellement la volonté de faire le ménage dans ces lois et règlements qui profitent à de petites minorités sans justification sérieuse dans de nombreux cas ?
Sur un plan interne à la SNCF, à quoi rime également d’accorder 4 voyages gratuits par an aux... grands-parents et aux... beaux-parents d’un cheminot ? Dans son rapport de 2014, la Cour des Comptes estimait que les employés de la SNCF en activité ne représentent que 21,5 % des bénéficiaires de facilités de circulation, derrière les retraités (24,3 %), et loin derrière les ayants droit familiaux (54,1 %) qui se partagent la plus grosse part de ce généreux gâteau ! Le tout pour un coût variant de 50 à 100 millions d’euros selon le mode de calcul utilisé.
N’y a-t-il pas là, dans cet épais maquis tarifaire, des sources d’économies plus pertinentes à réaliser – que ce soit par l’entreprise ou par l’État selon la nature des facilités de circulation – que des hausses mesquines de tarification ou la diminution de 5 euros mensuels d’une APL (Aide Personnalisée au Logement) qui pénalisera principalement les plus fragiles de nos compatriotes ? À chacun d’en juger...
* Le manque à gagner relatif aux réductions tarifaires et aux gratuités imposées par les pouvoirs publics dans le cadre des conventions passées avec les transporteurs est intégralement remboursé par l’État.
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