Solidarité et comportement individuel

Les Français ont fait de la solidarité un élément clé de leur fameux modèle social. Deux domaines essentiels à nos vies sont surtout concernés : je veux parler de la santé et de la retraite. Ce n’est pas critiquer mes compatriotes que dire que l’usage qu’ils font de cette solidarité est assez curieux et qu’en gros, celle-ci est admise dans le cadre d’un usage que l’on souhaite le plus personnel possible. 

En matière de santé, que se passe-t-il ? La mutualisation des ressources amène chacun à tirer profit pour son compte personnel et avec excès du système, par une déresponsabilisation inhérente au système. Je n’ignore pas qu’une grande partie des déficits de notre régime de santé est due à la mauvaise gestion des hôpitaux, mais cette surconsommation « de santé » traduit quand même bien un type de comportement assimilant plus la solidarité à un moyen égoïste de satisfaire ses besoins propres qu’à une valeur de notre pacte social.

 
En matière de retraite, les Français disent bien volontiers être fort attachés au système par répartition, mais ont un comportement exactement inverse à ce que ce système implique. En gros, toute personne étant à la retraite aujourd’hui considère qu’ayant versé des cotisations pour cela pendant sa vie professionnelle, il est bien normal qu’elle touche en retour les « dividendes » de ces cotisations. Un lien fort existe entre la cause (les cotisations) et l’effet (le versement de la retraite). Les Français agissent donc dans un système de solidarité mais pensent dans un système individuel, ils agissent dans un système de répartition mais pensent dans un système de capitalisation. Dans les catégories socio-professionnelles les plus favorisées, il n’est par rare aujourd’hui de voir des personnes de largement plus de 80 ans toucher des retraites depuis plus de 20 ans et pour certains arriver même à des périodes de retraite dont la durée dépasse celle de la vie professionnelle. Voilà une solidarité bien comprise !

Loin de moi de penser qu’il faille empêcher les Français de se soigner ou de vivre vieux avec une retraite confortable, mais la question de la solidarité se pose. Nous agissons dans un système solidaire qui en fait ne l’est pas. Que signifie la solidarité quand 25% des jeunes de moins de 25 ans sont au chômage ? Que signifie la solidarité quand l’espérance de vie des personnes des classes sociales les plus défavorisées reste très inférieure à celle des classes plus aisées ? Et pour être provocateur, je dirais que signifie ce système qui consiste pour les Français à mettre 100 au pot commun en espérant en tirer 120 pour leur compte personnel ?

Nous sommes devant un choix simple. Soit nos comportements individuels changent et notre système solidaire a des chances de survivre -cela passe par des efforts extraordinaires de chacun, voire par des diminutions d’avantages pour le profit de tous- soit nous passons à un système d’individualisation du traitement des questions de santé et de retraite. Ce qui est sûr, c’est que nous devons au plus vite mettre fin à une hypocrisie.