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« Statut d’artiste belge en péril. C’en est fini des escargots... ?! »

Opinion libre autour de l'autocratie du sens et de la valeur travail, ce papier prend comme point de départ la réinterprétation des conditions d'octroi d'allocations chômage des artistes belges. La plume se veut résistante, engagée et soucieuse de traduire au mieux l'agacement suscité par la généralisation du "choix unique". 

Elle court, elle court la rumeur...elle se faufile, s'étend de pavillon en pavillon, s'amplifie et sinue tel un vers dans une pomme. Celles et ceux - et nous sommes nombreux - qu’elle est venue chatouiller, ont entendu le même son de cloche : sur un air en « sol mineur », atterrés mais à l'unissons, le « statut » d'artiste - en Belgique - est en péril. Le « statut » ? Ne nous méprenons pas...« s’il existe dans la législation sociale,certaines règles spécifiques applicables aux artistes, il n’y a toutefois pas de "statut" spécifique pour les artistes » (Voir Smart.be). En d’autres termes, il n’y a pas de « statut » en tant que tel mais une réglementation spécifique appliquée à cette infime partie des travailleurs. Des règles spécifiques issues de négociations qui permettent aux artistes créateurs et aux artistes techniciens d’assurer leur profession, considérant les contingences intrinsèques à cette « niche » professionnelle : travail intermittent nécessitant un support financier assurant aux professionnels des métiers de l’art un minimum de confort matériel lors de « temps morts » (contrat de travail ne dépassant pas les trois mois et absence de travail dont ils ne sont pas nécessairement responsables - propre au travail intermittent) et de l’élaboration de projets (qui nécessite du TEMPS). Réglementation négociée en 2001-2002[1] entre la Smart[2] et les syndicats (FGTB etc.) d’une part et l’ONEM[3], d’autre part. Or l’ONEM a repris ses billes et fait - presque- « cavalier seul »...une de ses notes, datant du 6 Octobre 2011, réimpose une interprétation ultra restrictive des réglementations chômage-artistes :

« Selon la dernière note qui nous est communiquée par l’ONEM, la « règle du cachet »(accès au chômage) s’applique : Aux artistes du spectacleaux artistes créateurs qui « tournent » avec le spectacle (exemples : l’artiste costumier, l’artiste décorateur) Elle ne s’applique pas : Aux non-artistes même s’ils sont occupés dans le secteur du spectacle et sont payés à la prestation (technicien travaillant au cachet, électricien, caméraman, ingénieur du son, etc.) Aux autres artistes créateurs (= qui ne tournent pas avec le spectacle) ». Source :http://www.smartbe.be/docs/news/document-news-997- ONEMrestrictive27%20oct.pdf

Si les conditions d’allocations octroyées aux artistes incluaient, il y a encore quelques mois l'ensemble des "acteurs" du spectacle : les techniciens du spectacle (ingénieur du son, cameraman, monteur, chef opérateur, etc.) et les artistes créateurs (peintre, photographe, illustrateur etc.), elles semblent - à la lecture de cette nouvelle interprétation - désormais se réduire aux seuls artistes (comédien, musicien) et artistes créateurs qui « tournent » avec le spectacle. Objectif ? Réduire le nombre de ces « assistés », de ces « volages » du temps de travail. Leur proposer un statut d’indépendant ? Sauf que l’indépendance professionnelle est un choix et que tous ces techniciens n’ont pas le choix de contrôler leurs prestations puisqu’ils sont dépendants des créations de créateurs (qui ne « tournent » pas) qui se voient eux aussi privés d’allocations chômage d’artiste. En d’autres termes, seuls quelques rescapés seront à l’origine des créations : ceux qui ont déjà un réseau et suffisamment d’aisance (matérielle) pour s’assurer le temps nécessaire à cette activité. Exit la diversité, exit le choix et place à l’autocratie d’une création unique ? Mon plateau repas cinématographique risque d’être bien moins goûtu...

Bien évidemment, j’entends déjà poindre la modération  : « La situation est bien plus complexe que votre simple parti pris ». Soit. Les abus ont certes été nombreux et semblent, à la lecture de certains commentaires, justifier amplement la réinterprétation des conditions d’accès au statut d’artiste. J’ai envie de dire que là n’est pas vraiment la question. Ce qui me chipote - et je ne suis pas la seule -, ce n’est pas la réinterprétation en tant que telle mais la voie/la forme qu’elle prend. Parce qu’au fond, qu’est-ce que ce que l’ONEM réinterprète ? Ou plutôt, que sous-entend cette réinterprétation ? Réinterpréter une réglementation issue, à la base, d’une négociation - qui inclut, par définition les deux parties concernées - est une manière de virer sa cuti, changer de mode de pensée, et par conséquent de fonctionnement. Changer ces règles, au-delà des troubles occasionnés pour les artistes, révèle bien plus que de toucher à cette infime portion de la population et c’est en cela que nous sommes toutes et tous concernés. Cette petite niche était pour moi un « espoir ». Non pas l’espoir d’y entrer mais l’espoir qu’il soit encore possible de prendre le temps de la création...créer une tonalité poétique, créer des idées, créer du rêve. Créer prend du temps parce qu’il s’agit de l’un des derniers artisanats « relativement » épargné par l’autocratie d’un travail pensé en terme de rentabilité et de productivité. Faut-il le rappeler, la création ne se résume pas qu’aux blockbusters boostant les entrées de l’UGC, elle ne se résume pas non plus aux documentaires diffusés sur Arte ou aux pièces de théâtre jouées au Théâtre National de Bruxelles. En broyant cette niche « pseudo » privilégiée, ce sont toutes les petites productions que l’on condamne. Au-delà des ces alternatives culturelles, on bulldoze également toute possibilité de penser le travail d’une autre manière que celle qui sévit actuellement hors du « milieu artistique ». Il n’y a qu’à considérer la façon dont sont aujourd’hui traités les chercheurs, taxés de fainéants ou d’escargots lorsqu’ils s’appliquent à la tâche et que s’appliquer à la tâche, sans la bâcler, ça prend certes un peu de temps : de l’artisanat, du cas par cas...bien au-delà d’un moule pré-pensé et reproduit à l’infini. (A lire, « Slow Science - La Désexcellence » par Olivier P. Gosselain sur le blog de Paul Jorionhttp://www.pauljorion.com/blog/?p=27864)

De la liberté du choix

L'art mérite bien un petit coup de pouce qu'ils disaient...Or, en ces temps d’austérité, il semble que le majeur soit devenu le seul doigt de prédilection. Peindre, dessiner, photographier ne sont, après tout, que des activités du Dimanche. La création est désormais synonyme de récréation. En d’autres termes, un amusement solitaire ou en groupe, un amusement distrayant histoire de faire passer le temps « libre », simple bulle d’air expectorant la brume bileuse d’une morosité professionnelle. Le temps libre est une récréation, à l’image de bambins usant de la cour comme d’un défouloir - ou d’un exutoire - avant une nouvelle session derrière une table, en silence, et d’avaler tout ce que l’on juge nécessaire qu’ils maîtrisent afin d’être parfaitement préparés au monde dans lequel ils seront bientôt les acteurs[4] - voire les outils…- actifs.

Serions-nous réduits à l’état de boulons agencés selon les besoins ? Pis encore, façonnés dès les primaires à remplir les « socles de compétences », ou autant de pions qui combleront les cases de l’immense jeu d’échecs qu’est le « monde professionnel » ? Sous cet angle, l’artiste n’y a clairement plus sa place.

Osons la répétition, la production artistique est donc devenue une simple activité du dimanche, un passe-temps après le travail, un « loisir », une liberté contrôlée au sein d’un temps déterminé.

Autocratie de la valeur travail

Le travail se résume aujourd’hui au résultat. Le processus nécessaire à l’éclosion d’un résultat, n’est plus du travail. En d’autres termes, le travail se limite à la production d’une idée sans considérer le chemin et le temps nécessaire à son émergence. Est aujourd’hui considéré comme travailleur, une personne qui s’emploie à « matérialiser » son travail, au quotidien. Assurer une présence de 8h, durant 10 mois et demi sans interruption. Voilà...ce que sont les « vrais » travailleurs. La seule valeur travail est celle de celui qui s’emploie à une tâche que l’on juge nécessaire ou qui « sert à quelque chose ». Sens unique de la notion d’utilité ou jugement de valeur porté sur ce que l’on pense utile ou pas, existe-t-il encore une place pour la diversité des modes de pensées et de fonctionnements ? Au-delà des considérations autour de la notion d’utilité, la valeur travail s’articule aujourd’hui autour du rendre visible et de la matérialisation en un temps record.Un seul sens au travail : produire de façon productive. Une seule valeur travail : l’utilité ou la nécessité. Un seul mode d’emploi « valorisé » voire « recherché » : un CDI temps plein.

Nous y voilà...acteurs et actrices forcées à la figuration d’une note sur la partition du temps pensée de façon utilitariste. Choisir la note jouée ? Choisir le rythme du jeu ? N’y pensons plus. Du Jean-Sébastien Bach sinon rien. Un seul ton, un seul rythme à l’image de la monotonie du choix unique. 

Fermez donc les écoles de cinéma, fermez donc les instituts d’arts-plastiques ou plutôt, considérez qu’il ne s’agit là que de faire mumuse avec un pot de peinture ou de prendre des clichés de vos réunions familiales. Parce qu’après tout, ces jeunes ne sont formés qu’à une activité du dimanche...qui ne sert à rien d’autre que de se récréer. 

Travailler ou créer, il faut choisir

Pourquoi, à l’heure actuelle, s’inscrire dans une école formant à l’un ou l’autre métier de l’art ? Les perspectives d’avenir sont bien sombres. La question se pose...réellement. Pourquoi « fabriquer » consciemment de jeunes précaires ? S’inscrire en école d’art, aujourd’hui s’avère professionnellement suicidaire. Si l’on n’a pas la chance d’avoir un ticket d’entrée personnifié, à quoi bon tenter l’expérience ? S’engager dans la folle aventure artistique nécessite un aménagement du temps de travail...et ça n’est pas nouveau. Mais ce reclassement - ou déclassement ? - ne touche pas uniquement les artistes. Il suffit de lire que la majorité des « inactifs » se trouve dans la tranche des jeunes diplômés de master et des jeunes docteurs. En filigrane, à quoi bon s’inscrire à l’Université si ça ne produit que de jeunes gens surdiplômés qui n’auront que l’option d’être stagiaires non rémunérés en espérant, secrètement, décrocher un poste[5]. A quoi bon ? C’est ce que l’on préconise d’ailleurs : réduire le nombre d’années d’études parce qu’après tout, penser, passer du temps à s’instruire, à lire, à comparer, à critiquer...ça ne sert à rien ou ça dessert le système global dans lequel « on » souhaite nous embarquer. Comme le disait Pierre Jourde dans un article du Télérama (du 31 Mars 2009) afin d’expliquer la prise de position des universitaires français qui sont descendus dans la rue ...

« (...)Voici brusquement les universitaires de toutes tendances politiques, les présidents d’université les plus modérés, les chercheurs les plus prudents, gauche et droite mêlées, qui se retrouvent dans la rue, à lever le poing avec des étudiants et de jeunes chercheurs. (...) Nous formons les futurs professeurs, et on nous demandera de les recruter, non plus sur ce qu’ils savent en littérature ou en sciences, mais sur des critères techniques étroits. Dans tous les domaines, il s’agit de ne former que des visseurs de boulons soumis, étroitement rivés à leur tâche. Et cela concerne l’éducation dans son ensemble, de la maternelle à l’université. Les universitaires manifestent contre cette vision de la société. (...)Nous ne voulons pas former seulement des techniciens soumis, aux compétences étroites, mais des hommes et des citoyens. Nous pensons que la recherche est d’autant plus créatrice qu’elle n’est pas soumise à des objectifs purement utilitaires. Que le sens d’une vie ne se résume pas à des savoir-faire techniques. Qu’un professionnel est d’autant plus efficace que sa vision n’est pas étroitement limitée à son domaine de compétence. Que la culture est partie intégrante du fait de devenir homme. » » http://www.telerama.fr/livre/a-quoi-sert-l-universite-ou-a-quoi-devrait-servir-l- universite,39420.php

Aujourd’hui, combien sont-ils à qui l’on suggère de troquer le terme doctorat pour maîtrise améliorée afin de séduire l’employeur ? Combien sont-ils à qui l’on reproche d’être « trop » ? Ils sont TROP et TROP nombreux à l’être. Quelle option leur reste-t-il ? Se gommer une partie du cerveau histoire de se dégager du savoir accumulé ? Mentir, jouer à l’idiot et surtout, ne jamais penser que l’on puisse penser ? Quelle place à la multiplicité ? Le terreau des idées ne se trouve-t-il pas dans la confrontation des points de vue ? Une multiplicité qui permet de dépasser une pensée unique, qui permet la fouille de tréfonds habités de possibles insoupçonnés. S’arrêter de rêver, c’est s’arrêter de penser, de créer...c’est aussi s’arrêter de confronter, de choisir, et c’est, au final, renoncer à s’offrir des possibles. Limiter à ce point l’accès au statut d’artiste - en élaguant la périphérie - c’est se contenter de jouer le jeu de la restriction en abattant le couperet sur ceux dont la voix est si ténue qu’elle ne peut être entendue. A nouveau, restreindre c’est réduire les possibles et faire le choix du choix unique.

Une pétition circule http://petition.smartbe.be/, vous êtes seuls juges…

 

[1] Pour en savoir plus, je vous conseille de parcourir le document pdf que l’on trouve en libre accès sur internet : « Les droits humains, comment faire ? » Liège, le 20 Octobre 2005. Le statut juridique de l’artiste et l’accès à la culture pour tous.

[2] Association qui fait office d’interpédiaire entre l’Onem et de nombreux artistes.

[3] ONEM : Office National pour l’Emploi.

[4] A lire (ou à relire) , La barbarie douce ou La modernisation aveugle des entrerpises et de l’école. Jean-Pierre Le Goff, 1999, Paris : Broché.

[5] A lire, « Profession stagiaire », dans le Courrier International du 9 Juin 2011 (n°1075)


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5 réactions à cet article    


  • loco 14 décembre 2011 22:54

     bonsoir

     « les abus ont été nombreux »  : se plaindre de la règle, regretter l’obéissance, quand on parle ainsi la langue du maître, est-ce cohérent ???


    • roro46 15 décembre 2011 11:23

      Cher Complottoutestcomplot,
      je vous invite à venir passer une semaine avec moi, afin de vous faire découvrir le joyeux monde des artistes qui se la coulent douce pendant que suer.


      • roro46 15 décembre 2011 11:24

        que vous suEZ


      • Fred59 15 décembre 2011 11:34

        France ou Belgique, mêmes arguties, même volonté de détruire la capacité à créer.

        Je vous invite à prendre connaissance du CV de notre ’super-ministre européen du travail’ Bruno Coquet (indisponible depuis peu sur wikipedia) ici et  ; On peut penser qu’une pensée ’européenne’ se met en place discrètement. A rapprocher d’un autre élément, la volonté de soutenir le sous-titrage au détriment du doublage. Certaines cultures ont accès au libre marché mondial, d’autres doivent être circonscrites ^^

        M. B.Coquet nourrit depuis 2007 son opinion, que l’on peut résumer ainsi : ’l’art se porterait mieux avec des subs directes plutôt qu’avec un soutien anonyme de l’emploi’. Evidemment, avec de telles idées,plus d’art dérangeant...
        La méthode est simple : on utilise des rapports aux données de base foireuses (graves fautes du rapport Latarjet par exemple, qui sert de base à toutes les analyses depuis 2004) et là-dessus on colle des analyses très brillantes de technicité.

        De l’autre côté, les ’partenaires sociaux’ français ont trop souvent tendance à considérer que seuls deux types d’art sont légitimes : l’art lucratif (côté syndicats patronaux) et l’art subventionné (côté syndicaux). Le reste serait sacrifiable... La production indépendante et l’ensemble de la société française peuvent redouter une alliance objective des partenaires sociaux contre l’intérêt général.

        Ainsi, On a progressivement inventé de nouvelles situations à qualifier d’abus. Ainsi, si vous êtes technicien vidéo et qu’une compagnie de théatre vous recrute, les heures ne seront pas comptabilisées : le spectacle vivant et la vidéo, ce sont deux codes NAF différents (codification statistique de l’insee sur l’emploi principal)
        Elargissons le point de vue :
        C’est comme si vous étiez cuisinier 1 an dans une cantine scolaire, retour au chômage, et là, pas d’allocs au motifs que vous étiez cuisinier dans une entreprise dont la vocation première est l’enseignement. Salarié indélicat que vous êtes !

        Dernière toquade à la mode : tenter de faire rentrer dans le code du travail la notion d’intentionnalité : si vous avez été d’une manière quelconque à l’origine de votre emploi, alors peut-être êtes vous en fait un travailleur indépendant ? Du coup, vous n’aviez pas à cotiser à l’assurance chômage, n’est-ce pas ? Vous étiez, disons...auto-entrepreneur ?
        En creux, cela reviendrait à terme à ne conserver le contrat de travail que dans les cas de travail contraint.

        Il faut se rendre compte qu’au-delà des éléments de langages (il y a des abus, ils ne travailleraient pas assez...), ce que l’on veut empêcher, c’est surtout que les intermittents travaillent et cotisent trop. Pas par rapport au marché réel, non : juste trop pour les finances de l’Unedic.


        • Zanini 15 décembre 2011 15:28

          Un article sur les nouvelles mesures de l’Onem et pas un mot sur les 24000 personnes qui vont en être exclue dans les prochains mois, juste sur les artistes et leur précieux status, belle conscience citoyenne et apres on s’étonne que le populisme gagne du terrain.

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claire


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