Des couloirs entiers du métro parisien avaient, il y a quinze jours, leurs murs tapissés de la même affiche répliquée en rafale : elle faisait la promotion du spectacle de Stéphane Guillon au Théâtre de Paris. L’humoriste était photographié, une pancarte autour du cou portant cette inscription : « Liberté (très) surveillée ».
Le pastiche du prisonnier d’opinion
- Une intericonicité
Le pastiche qui est une de ses armes favorites, saute ici aux yeux. Par intericonicité, sa photo en noir et blanc fait irrésistiblement penser au cliché anthropométrique de la police : l’intéressé est pris en gros plan de face, adossé à un fond uni de mise hors-contexte. L’éclat de lumière qui éblouit le visage et projette sur la toile de fond son ombre dans un violent contraste, feint d’écarter toute mise en scène inutile à la seule identification visuelle de l’individu suspect qui intéresse la police. Qu’importe donc que le flash surprenne l’intéressé dans une expression ahurie asymétrique, le sourcil droit levé en sursaut !
- Une photo anthropométrique détournée
Mais on pressent une ambiguïté volontaire dans la mimique : la grimace du prétendu prisonnier semble moins due à la lumière qu’à sa volonté de tourner en dérision l’image symbolique du contrôle policier qu’est la photo anthropométrique. Destinée à offrir d’un repris de justice la représentation la plus fidèle pour pouvoir, si besoin est, l'identifier, elle est ici dénaturée par une grimace inhabituelle de clown : sous le regards de ses geoliers, l’esprit du prisonnier trouve encore le moyen de leur échapper en leur faisant une farce.
En fait, dans ce pastiche, S. Guillon n’affronte pas des geoliers, mais ses spectateurs avec qui il simule une relation interpersonnelle par le procédé de l’image mise en abyme. La pancarte que porte S. Guillon autour du cou, confirme cette intention de dérision. L’inscription attendue est détournée. Au lieu des références de l’individu, on y lit un avertissement insolite que des tortionnaires se gardent d’écrire : « Liberté (très) surveillée ».
- Une image incompréhensible sans contexte
On mesure ici l’infirmité de l’image en raison d'un de ses procédés structurels, la mise hors-contexte. Le lecteur ne peut comprendre cette mise en scène misérabiliste de Stéphane Guillon déguisé en repris de justice s’il n’a pas en mémoire le contexte de son récent licenciement de France Inter, en juin 2010, pour s’être montré trop irrévérencieux envers sa direction et certains politiques comme M. Strauss-Kahn : l’humoriste lui avait consacré, en février 2009, une de ses chroniques de 7h53 les plus réussies, lorsque le directeur du FMI, avait été accusé de harcèlement sexuel par une de ses employés hongroises (1).
L’humoriste retourne donc son licenciement en titre de gloire pour promouvoir son spectacle au Théâtre de Paris en l’inscrivant dans le contexte d’une « liberté (d’expression) (très) surveillée » et stimuler le réflexe d’attirance du lecteur.
Un paradoxe, une caricature outrancière, une ironie involontaire
L’idée est ingénieuse mais elle se heurte à trois obstacles : un paradoxe, une caricature outrancière et une ironie involontaire contre lui-même.
1- Un paradoxe
Un premier obstacle est le paradoxe : n’y a-t-il pas une contradiction au moins apparente à s’exhiber ainsi en toute liberté, sur une scène comme sur des affiches à longueur de couloirs de métro, et à dénoncer dans le même temps une « liberté (très) surveillée » ? On ne nie pas que le licenciement de l’humoriste relève de l’atteinte à la liberté d’expression : le 28 janvier 2011, le tribunal des prud’hommes a condamné Radio France à plus de 200.000 euros pour l’avoir licencié « sans causes réelles ni sérieuses ». Mais l’excès de sa posture de prisonnier d’opinion ne discrédite-t-il pas sa dénonciation d’une censure qui le laisse la dénoncer en toute liberté ?
2- La caricature outrancière
L’arme de l’humoriste, objectera-t-on, est l’outrance de la caricature pour faire rire. C’est sûr. Mais la force de la caricature est de forcer le trait sans jamais défigurer sa victime : il faut que sous la charge, si exagérée soit-elle, le lecteur puisse toujours reconnaître ses traits, sinon il ne rit pas. N’est-ce pas justement le second obstacle rencontré par cette affiche ? Victime d’un licenciement et d’une atteinte à la liberté d’expression, S. Guillon peut-il pour autant forcer le trait jusqu’à singer un prisonnier d’opinion, portant pancarte autour du cou ? Cette figure de martyr de la liberté d’expression rend méconnaissable l’humoriste et, comme toute caricature outrancière, ne fait pas rire de ce qu’on ne reconnaît pas.
3- Une ironie involontaire dirigée contre lui-même
Le préjudice indéniable qu’il a subi, ne l’autorise pas non plus à poser en héros pour stimuler les réflexes de compassion et d’admiration ? C’est le troisième obstacle rencontré par cette affiche. Mis en série avec d’autres, comme l’est tout objet insolite découvert en archéologie pour comparaison, le sort de S. Guillon souffre d’être rapproché de celui de tant de martyrs dans l’Histoire. Du coup, ce pastiche, devenu parodie du prisonnier d’opinion, ne se retourne-t-il pas contre l’humoriste à son insu et malgré lui ? Stéphane Guillon ne s’exécute-t-il pas lui-même en public avec ses propres armes, l’humour et l’ironie ?
Comment n’a-t-il pas perçu le danger auquel il s’exposait en se prêtant à cette pantomime insoutenable ? Même un licenciement portant atteinte à sa liberté d’expression n’autorise pas à s’afficher en martyr quand d’autres ont payé de leur vie ou de leur liberté leur attachement à la liberté d’opinion. Or, ce manque de discernement chez S. Guillon n’est pas le premier. Il s’était déjà fait ridiculiser par VSD qui l’avait exhibé en février 2010 avec un croisillon de sparadrap sur la bouche (voir photo ci-dessous) (2). On pouvait alors penser qu’il était tombé dans un piège de l’hebdomadaire. Mais cette fois, avec cette affiche, pas de doute possible ! C’est lui-même qui se piège tout seul. Paul Villach
(1) Paul Villach,
- « « DSK « dynamité » par Stéphane Guillon sur France Inter, « façon puzzle » : méchanceté ou critique légitime ? » AgoraVox, 23 février 2009.
- « Une couverture digne de VSD : le fou rire indigne des époux Strauss-Kahn-Sinclair », AgoraVox, 27 octobre 2008.
(2) Paul Villach, « VSD exécute l’humoriste Stéphane Guillon en le passant par ses propres armes », AgoraVox, 16 février 2010.
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J’ai toujours du mal avec les réflexion du genre : "même ...
n’autorise pas à s’afficher en martyr quand d’autres ont payé de leur
vie« .
Est ce que vous diriez d’un SDF dans Paris se plaignant de la faim qu’il n’a pas le droit de parole en comparaison des famines chroniques en Afrique ? Parce qu’après tout, lui a des poubelles à fouiller ...
Certes, Stéphane Guillon n’est pas exécuté au pilori. Mais la liberté d’expression est un combat qu’il a choisi de mener, et qui me semble pertinent, même si d’autres combats plus »importants" existent peut être ...
D’autre part, je ne crois pas que M. Guillon cherche à faire pleurer dans les chaumières. Il utilise pour lui ce qu’on a voulu utiliser contre lui. Au pire, par orgueil ou prétention, il en rajoute un peu ... Mais j’ai envie de dire que c’est de bonne guerre ...
Ben disons que la liberté d’expressin M guillon n’a pas été atteinte à mon sens. Par contre il s’agit uniquement de la liberté d’expression sur le service public, ce qui n’est pas tout à fait la même chose car il peut racnter ce qu’il veut chez Ardisson...
Donc non, je ne trouve pas qu’il ait raison de se poser en martyr, car à mes yeux, et en appreciant parfois certaines de ses chroniques, j’estime qu’il n’a pas raison de le faire.
Bonjour. Je trouve cette analyse très intéressante comme je trouve très intéressante toute tentative de décryptage intellectuelle des phénomènes de société ainsi que des discours, des actes et des comportements politiques pour mieux les comprendre et aiguiser la vigilance citoyenne ( non pas pour couper les cheveux en quatre ou enculer les mouches ).Toutefois, cette analyse n’est-il pas ici un peu trop longue pour quelqu’un dont on dit qu’il joue au martyre ? Vous lui donnez du coup une grande importance ... quitte à en faire un martyre ... victorieux. Bien à vous. Patrick FLEURY.
Il est toujours intéressant de déchiffrer ces publicités qui nous manipulent mais personnellement je les trouve excellentes. Cela me rappelle le « leurre humanitaire » de Médecins sans Frontières « dans leur salle d’attente 2 milliards d’hommes ». Je ne déteste pas être manipulée du moment que c’est fait intelligemment et que je le sais.
Je savais, à la lecture de vos articles, que vous aviez un sens de l’humour très limité, je vous remercie de confirmez ce fait et que la liberté d’expression vous horripile (à part la vôtre bien sûr).
Bon article. Il n’est jamais facile de se moquer des humoristes ; car bien vite on vous retournera votre manque d’humour. Si
l’on peut rire de n’importe quoi, il n’est pas interdit de s’interroger
sur la qualité du rire, ni de la façon qu’il procède, ou cherche à vous
manipuler. Si il y a un genre humain que les humoristes recherchent, tout en faisant semblant de les détester, ce sont les censeurs. Le
censeur avec ses grands ciseaux surgit et fait un boucan d’enfer. Il
veut vous mettre un bandeau sur les yeux, écarte les gamins, menace les
clowns de prison. C’est à se demander s’il ne fait pas partie du numéro ? On s’interroge, on se réveille dans son fauteuil. « Qu’est ce qu’il a dit, qu’est ce qu’il a dit ? » Pas grand chose, mais ça fait un beau scandale de potache ! Comment qu’il s’appelle, le clown ?
Stéphane Zavata ? Il parait qu’il a dit prout à un puissant, et même lâcher des boules puantes ! En tout cas, qu’il se soit fait virer prouve bien sa valeur, sinon je n’y connais rien !
Car bien sûr on ne vire que les bons humoristes. Une chose qu’on avait oublié, comme les anciens francs, les plumes sergent major. Il
doit falloir retourner des tonnes d’archives pour trouver pareille
campagne de promotion que celle lancée par France inter, et son glorieux
capitaine, Philippe Val, ancien transgresseur repenti, passé du masque
du bouffon à celui d’inquisiteur. Depuis la fameuse affiche
d’hara-kiri sur la mort de De Gaulle et censurée, on baillait d’un ennui
prodigieux. La transgression, à l’image de la pornographie, n’était
plus ce qu’elle était. Les censeurs avaient disparu, avec tout le bloc de l’union soviétique, un iceberg dérivant au soleil des tropiques. Et avec avec elle,
l’interdit subliminal, qui donnait du piquant à la chose, et faisait
circuler des photos et des textes sous le manteau. Alléluia, le bon temps est revenu ! Pas étonnant qu’ensuite, monsieur Stéphane Guillon se promène avec tout son matériel. Des accessoires qu’il a piqué à France inter et qu’il n’est pas prêt de lâcher. Je veux dire, les ciseaux, le sparadrap sur la bouche, demain le goudron et les plumes. C’est bien la valeur de sa qualité, et un leurre pour les imbéciles, comme une légion d’honneur des bidonnés. Allez acheter vite vos places ! Et garde à vous les rires !
Au vu des réactions de supporters enthousiasmes, nul doute que Stéphane
Guillon fait là l’économie des bons soins d’une agence de com, et qu’il
n’a plus qu’à continuer à creuser le filon ! Un enseignement à
tirer : Il est très périlleux de s’en prendre aux gens sensés nous faire
rêver, ces histrions pas toujours inspirés, et qui compensent la
faiblesse de leur art par celui de la provocation à tout crin. Il est
des formes d’humour et de rires gras qui ressemble à de la charcuterie.
On bouffe des rillettes parce que c’est bon, en oubliant que ça l’est
moins pour le cholestérol, et que ça vous assomme l’esprit. Mais vous
passerez pur un pisse froid si vous demandez aux gens de revoir leur
régime, ou au moins de réfléchir sur les annonces publicitaires
encourageant à acheter leur produit. Alors attendez vous à prendre des tartes sur la gueule. Mais il y a une délectation aussi à être du bon coté de la tarte, et être la cible plutôt que le lanceur. Bravo à monsieur Villach qui a mis les pieds dans le plat ! Voilà
quelqu’un qui dérange, en décodant les mécanismes de l’aliénation
humoristique, qui est parfois aussi lourde que la footballistique ! Il ne suffit pas d’avoir un capital de sympathie et d’engranger des voix pour être pertinent !
Je souscris à votre analyse. Il est difficile d’aller à contre-courant du conformisme. Car l’anti-conformisme peut parfois devenir un autre conformisme. Paul Villach