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Accueil du site > Tribune Libre > Sursis ou Renaissance

Sursis ou Renaissance

 Peut-être les deux à la fois. J’ai longtemps hésité. Plusieurs semaines. Puis finalement j’ai décidé de me jeter à l’eau : conter ici la nouvelle aventure qui m’est arrivée un jour de février dernier. Le 15 précisément. Jour anniversaire de mon épouse. Une aventure que ma gibecière déjà bien remplie n’avait encore jamais emmagasiné de pareille. Elle sera, espérons le, la dernière du genre avant la Grande, l’Ultime, celle du Départ définitif. 

 Dans cette armée de mots, ordonnés sous la forme d’un témoignage bel et bien vécu, nulle quête de pitié ou de condescendance. Non, simplement une sorte de thérapie personnelle. Faire partager en me soulageant, un épisode essentiel de la vie sur terre qui peut être la rupture, mais aussi, qu’un sursis ou bien une alarme ainsi que, paradoxalement, la renaissance d’un vieil homme redevenu tout neuf.

 Février 2014 donc. Le 15. Un samedi. Mon épouse, femme remarquable de tendresse, d’affection et d’intelligence approche ainsi très près de la soixantaine alors que moi-même suis à deux mois, presque jour pour jour, de devenir octogénaire. En fin de matinée, nouvelle séance de chimio thérapie afin d’effrayer le crabe qui demeure niché dans mon poumon d’ancien fumeur. Plus faible que les précédentes, celles de l’année dernière, qui, essayant de stopper la maladie, m’avaient bouffé la quasi-totalité de ma force et empoisonné mon sang, me précipitant dans des accès de fièvre, le délire et l’extrême faiblesse. Je suis en forme. La nuit approche et j’ai déjà dîné d’un bon plat de pâtes arrosées d’une sauce légère et de quelques petits pois. J’adore. La paix et bientôt la télé. Il est près de 20 heures.

 Soudain tout bascule. En moins de cinq minutes. La respiration se fait saccadée puis de plus en plus difficile. Nausée, vomissement arrivent très vite entre deux plaintes. L’oxygène s’est barré et mes narines ne servent plus à rien tout comme ma bouche grande ouverte. J’étouffe. Insupportable. L’impression de se noyer à l’air libre, cherchant en vain à respirer et entrevoyant à travers un regard de fou mon épouse s’agiter, téléphoner. Je la sens à peine lorsqu’elle m’aide à prendre place dans un taxi où je crois me débattre alors que je demeure immobile, gueule, trou béant, guettant le moindre courant d’air, au-delà de la vitre baissée et poitrine sur le point d’exploser. Bon sang, je sens que je glisse vers la sortie, lentement mais sûrement, vaincu, conscience envolée et les yeux ouverts !

 Dernière image : un ascenseur, assis dans un fauteuil roulant, une femme vêtue de blanc, l’air effrayé et mon épouse, joues inondées par un ruissellement de larmes. Mon visage était devenu bleu. D’un seul coup, le trou. Rien. L’oubli. Le vide. Le cerveau m’avait abandonné. L’écran de mon ordinateur interne est devenu noir. Va savoir vers quelle destination on m’a envoyé. Il était, me dira-t-on, moins de 20 heures 30.

 Nous sommes le dimanche 16 février et il est six heures. L’une après l’autre mes paupières ont libéré le regard. Je veux parler, impossible. Les mâchoires sont maintenues fortement écartées ainsi que les narines. Des tuyaux transparents plongent dans ma gorge et dans mon nez, laissant apparaitre, d’un côté, un liquide bizarre qui gargouille, de l’eau mélangée à du sable et du sang, couleur repoussante et sale, de l’autre, dans le nez courre l’oxygène salvateur. Sur le dos de la main gauche, là où les veines sont à fleur de peau, bien grasses, une longue seringue a été enfoncée dans l’une d’entre elles. Elle est équipée de trois bouchons. Des tuyaux (encore) abreuvent deux d’entre eux. Plus fins que les précédents, reliés à des flacons suspendus au dessus de ma tête. En somme une série de pipelines qui aspirent au tréfonds de mon poumon la merde qui s’y est logée, et de l’autre qui déversent l’élixir destiné à stimuler et nourrir mon sang et mon cœur.

 Je suis allongé pratiquement nu, les vêtements que je portais ayant été déchirés, découpés à grands à grands coups de ciseaux à la va vite, me dira mon épouse plus tard. A mes côtés me tapotant les joues, un homme, l’urgentiste de formation chirurgicale, responsable du service des soins intensifs qui m’a rendu la vie. Dans une clinique rustique mais au personnel efficace, à dix minutes en voiture de notre domicile.

 Verdict : infarctus et œdème du poumon !

 La veille, une fois apaisée la sarabande des infirmières courant dans de ci de là sous les ordres secs de cet homme providentiel, le magicien, aurait dit aux alentours de minuit à ma femme : « Nous avons fait tout ce qu’il fallait faire. Maintenant votre époux est entre les mains d’Allah. » Il faut croire que l’au-delà, et je lui en suis reconnaissant, a pensé que je venais à lui beaucoup trop tôt. Pourtant j’ai du aller très loin, ayant navigué dans le noir et je ne sais où, pendant pas loin de dix heures.

 La suite sera un long cortège de jours difficiles, souvent semé de souffrances physiques mais aussi morales. Transport cahoteux dans une ambulance brinquebalante vers Tunis où m’attend, dans une clinique super sophistiquée, le Service des Soins Intensifs. Alors là, la honte. Tout nu dans un lit bardé de tuyaux et de fils reliés à un écran-témoin électronique chargé d’indiquer va savoir quoi (le pouls, l’oxygène, tension artérielle, l’heure la date, et peut-être…la météo ?) Comme seul cabinet d’aisance une culotte de plastique, qu’un colosse féminin vient changer de temps à autre. Sans vergogne et en vous retournant à chaque fois comme une crêpe. Et surtout le bavardage incessant d’une nuée d’infirmières et également un long jeûne, la qualité de la nourriture n’étant guère à mon goût. Ma présence dans ces lieux est programmée pour y subir une coronographie. Mon colosse au féminin, change ma culotte de nourrisson, me rase consciencieusement l’aine sans dire un mot comme d’habitude, après m’avoir fait un brin de toilette sommaire et rude. Ensuite avec l’aide d’un gringalet elle me soulève comme un paquet de chiffons et me voilà en route vers la salle d’observation et d’opération. Une cathédrale aseptisée, bardée de larges tuyaux et d’écrans tactiles. Examen et pose de deux stents (des ressorts) dans l’une de mes artères because la « graisse ».

 Retour au bercail. Sous oxygène et couché plusieurs jours. Défilé de visites. Parents et amis. Je mange peu. Des heures de sommeil. Des montagnes de cachets et de piqures. Et ce n’est qu’au début du mois d’avril que je retrouve un peu de punch. Timide. Résultat ? Le corps reste faible et craintif. En ville le pas est devenu lent, très attentif. Pour traverser une rue le vieillard s’y prend à plusieurs reprises. Six coups d’œil à droite et six autres à gauche. C’est qu’il ne peut plus (ou pas encore) courir. Il mange peu ayant perdu une bonne quinzaine de kilos, ce qui le ravit.

 Heureusement, Dieu Merci et Inch’Allah, la matière grise fonctionne très bien. De mieux en mieux. La mémoire s’est enrichie. Dans son crâne il est redevenu tout neuf et surtout, le crabe, l’infarctus, l’œdème, il s'en fout royalement !


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10 réactions à cet article    


  • alinea alinea 15 mai 2014 12:14

    Bonjour Henri,
    Je suis étonnée que vous n’ayez pas ressenti une fatigue anormale avant que vos poumons de ne remplissent ; il y a 25 ans jour pour jour, mon amie d’enfance est morte d’un oedème pulmonaire, pas détecté par ses proches ; seule avec ses trois enfants en bas âge, l’ainé, à onze s’est affolé quand il était trop tard, les secours sont venus pour rien !
    J’aime la médecine à ces moments-là, et soyez sûr que je ( et nous évidemment !) suis très contente de vous avoir lu après avoir constaté votre absence !
    Pour rire : moi aussi j’ai mangé des pâtes avec des pois ( mais gourmands les miens !!), et moi aussi je viens de faire passer un article qui relate un accident que j’ai eu il y a dix jours ! smiley
    C’est bien Agoravox, non ?
    Merci Henri, et prenez soin de vous


    • Henri Diacono 15 mai 2014 18:31

      Pour sûr qu’Agora est merveilleux,Alinéa. Sans lui j’ai l’impression - et la certitude - de continuer à nourrir ma passion pour le journalisme, passion qui m’a permis de« passer l’essentiel de ma vie en vacances ». Et puis au fil des pages on fait de rencontres, on y trouve des fidèles, des amis avec lesquels, à travers l’éther, on débat en s’appréciant.

      Deux jours avant mon hospitalisation rapide,ou du moins deux nuits avant, j’avais ressenti une brève douleur horizontale dans la poitrine, signe avant coureur d’un infarctus. Je n’en avais pas tenu compte. Tout comme un essoufflement ensuite que j’avais mis sur le compte du crabe.

      En outre, ici,pour ne pas faire trop long je n’ai pas voulu m’étendre sur le flot de visites que m’a valu cet accident,visites accompagnées comme le veut la tradition ici de victuailles de toutes sortes, ainsi que le dévouement de mon médecin généraliste, véritable médecin de famille (citoyen rare aujourd’hui) qui depuis longtemps est devenu un ami avec qui j’aime tant discuter de religion et politique.

      Au fait nous serons à Marseille avec mon épouse du 17 au 24 au Mercure Prado afin de rendre visite à ma sœur, la choyer, puis l’emmener vivre avec nous à Kélibia.

      A bientôt et merci comme toujours.


    • Richard Schneider Richard Schneider 15 mai 2014 16:49

      Bonjour Henri,
      Prenez bien soin de vous. J’espère que vous pourrez encore longtemps nous parler de « votre » Tunisie que vous nous faites aimer. Moi, je lis quasiment tous vos articles
      Mes meilleurs vœux de rétablissement.
      À bientôt,
      RS


      • Henri Diacono 15 mai 2014 18:38

        Richard, heureux et flatté de vous avoir comme lecteur fidèle. Vous savez avec les 80 ans dépassés, j’essaierai de de lutter encore quelques (ou plusieurs) années. Je ferai tout mon possible. En évitant, je crois, de trop fréquenter les services de santé. J’aimerai tant que dans ce domaine on me foute la paix. D’autant que ma vie ici bas m’a donné tout ce qu’un homme pouvait désirer.

        Cordialement


      • robert 15 mai 2014 22:37

        Bonsoir Henri, je n’ai que 59 ans et vous venez de décrire mon future proche, je vous comprends si bien et je suis bien content que vous soiyez encore parmis nous. Courage à vous mais je sais bien que vous en avez je vous embrasse.


        • Henri Diacono 16 mai 2014 07:10

          Allons,allons Robert, parler de futur proche (concernant ce qui m’est arrivé entre 78 et 80 ans) lorsqu’on a à peine 59 ans, c’est jouer avec le pessimisme. Si vous dites cela parce que vous fumez trop, un excellent conseil ayez la volonté d’arrêter. Je dis bien arrêter net. Vous souffrirez quelques jours, grossirez un peu et puis tout redeviendra normal, poumon et artères compris. Sachez enfin que le moral et la volonté de VIVRE sont les meilleurs ingrédients pour vaincre les maux et...les hommes.
          A bientôt. Je vous embrasse. 


        • Abou Antoun Abou Antoun 16 mai 2014 09:24

          Henri, nous vous lisons toujours avec beaucoup d’intérêt. Continuez tous vos combats.


          • Henri Diacono 16 mai 2014 12:39

            Bien sûr Abou, que j’ai l’intention bien ancrée au fond de ma panse, de continuer à combattre dans la joie la plupart du temps. Histoire de continuer à me faire plaisir et vous intéresser. Dans un cas comme l’autre, infarctus et crabe, ont été vaincu pour l’un et effrayé pour l’autre, justement par ma désinvolture à leur égard.
            Merci à vous et à bientôt ici même dans une dizaine de jours environ.


          • jako jako 16 mai 2014 16:00

            Bonjour Henri, je prends connaissance de votre texte et je suis bien content que vous soyez là parmis nous. Vous faites un peu partie des meubles ici et j’ai toujours apprécié vos prises de positions je vous souhaite tout ce que vous et votre famille méritent. sincères salutations.


            • Henri Diacono 16 mai 2014 17:55

              Merci Jako....Faire partie des meubles sur Agora est des plus beaux compliments qu’on puisse faire sur ce site, sans rire. Je resterai parmi vous encore longtemps car je ne crains pas la patine qui fait toute la valeur de tout ce qui vit ici bas.
              Salut à vous... et à bientôt.

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