Tiens, voilà un bon traumatisme ! T’inquiète pas, t’ira ensuite chez le psy...
L'actualité britannique de ce matin m'a fait m'interroger sur une problématique au sujet de laquelle je ne pourrai avoir de regard dit professionnel, n'étant ni psychologue, ni assistante sociale, ni sociologue, ni enseignante, ni, ni, ni. Juste le regard d'une personne ordinaire, qui se pose des questions, sachant que de toute façon les réponses sont supposées ne pouvoir être apportées que par ces professionnels, donc des gens forcément compétents, qu'il faut écouter religieusement et croire sur parole. Nos avis ne comptent guère dans ce genre de problématiques. Cela ne nous empêche pas de les donner.
Je suis certes un peu dure, notamment en écrivant "dit" professionnel. Je le suis car les "professionnels", tels les psychologues, sont des gens qui ont suivi un parcours universitaire qui les a amenés à suivre un programme composé de nombreux, très nombreux livres à lire, ce que toute personne motivée peut faire par elle même, sans avoir besoin de passer par la case fac.
En effet, à part le fait que les psychologues (1) ont passé des partiels, des examens pour valider leur travail et contrôler leurs connaissances, qu'est-ce qui les différencie d'une autre personne n'ayant pas passé ces examens, car n'ayant pas suivi le cursus universitaire officiel, mais qui aura lu exactement les mêmes bouquins, donc qui aura engrangé les mêmes connaissances ?
Le fait de pouvoir poser des questions à leurs profs ? Peut être. Le fait d'avoir eu l'esprit formaté ? Sûrement, j'y reviendrai plus loin. Mais ce qui les différencie, c'est surtout l'expérience. Les connaissances sont purement théoriques, l'expérience, elle, est pratique. Cela dit, l'expérience, comme toute expérience, s'acquiert avec le temps, et je me méfie un peu du système dans lequel nous vivons, qui veut que les psychologues, parce qu'ils ont leur diplôme en poche, croient détenir la vérité, et placardent, parfois pour l'unique raison qu'ils ont lu dans un livre que c'est comme ça et pas autrement, des troubles de ceci et des troubles de cela sur le front de ceux qu'ils se plaisent à appeler leurs "patients", oubliant par la même qu'il se crée surtout, à mon sens, une relation de marchand à client. Quel cynisme, me direz vous...
De là à oser dire que les psychologues n'ont pas vraiment intérêt à ce que nous allions bien, à ce que nous pensions ne pas avoir besoin d'eux, il n'y a qu'un pas. Allez, je le franchis, je saute le pas, et hop ! car je ne peux m'empêcher de penser si c'était le cas, si nous allions bien, ils seraient au chômage. (Tiens, c'est drôle, en voulant taper l'accent circonflexe sur le mot "chômage", mon doigt a dérapé sur le clavier, et j'ai tapé un dollar... Voilà ce que ça a donné avant que je procède à la correction : ch$omage. J'aurais peut être dû laisser le mot ainsi, je trouve que cela exprime bien mieux ce que je pense.)
Un peu comme les marchands de tabac. On prétend vouloir que les gens arrêtent de fumer pour préserver leur santé, mais les intérêts financiers du tabac sont tels qu'en réalité, on a tout intérêt à ce que les gens continuent de fumer.
Les psys sont bien sûr indispensables à certaines personnes, et heureusement qu'ils sont là pour leur venir en aide. Loin de moi bien entendu l'idée de critiquer, ou pire, juger, ceux qui ont recours à un thérapeute, quel qu'ils soit, mais il me semble qu'il y a également une tendance, dans nos sociétés, à vouloir à tout prix trouver un trouble, une épouvantable névrose, derrière chacun de nos bobos, et vouloir nous faire croire que sans l'aide d'un "professionnel", nous ne serons pas capables de trouver une solution à nos problèmes. On se précipite chez "son" psy à la moindre contrariété, et bien des parents, souvent débordés par leur progéniture, bref, par ce qu'ils ont eux même créés, mais aussi immatures, peut être, se font épauler pour des choses aussi simples que "comment dire à mon enfant que..."
Vous l'aurez compris, je suis un peu méfiante envers les psychothérapeutes, non que je pense que leur seul objectif est de se remplir le portefeuille (car même s'il y a sans aucun doute des brebis galeuses dans le métier, des personnes qui ne sont là que pour se remplir les poches, je reste persuadée que l'écrasante majorité a le réel désir de venir en aide à leurs "patients"), mais parce que je me méfie de ce qu'on leur enseigne, et de la façon dont ils le mettent par la suite en pratique.
L'expérience, si elle s'acquiert forcément sur le terrain, est également influencée, déterminée, par l'idée que l'on a des troubles à traiter, et du rôle que l'on doit jouer. Donc par ce qu'on a appris, par ce qui a été enseigné. On a une idée préconçue, et c'est cette idée là que l'on met en pratique. L'expérience future se bâtit autour de cela. Elle ne peut se détacher de la théorie pour ne se construire qu'autour du vécu.
La psychologie est comme toutes les sciences, elle évolue avec le temps. Ce que l'on pensait vrai il y a quelques décennies ou quelques siècles a souvent, si ce n'est toujours, été contredit par la suite. C'est pourquoi ce qu'apprennent les futurs thérapeutes, en matière de compréhension des troubles et en matière de traitements (médicamenteux ou non) proposés, ne peut être que la vérité du moment. Ce qu'on pense être vrai à l'époque où on le dit.
C'est drôle comme, lorsqu'il s'agit de sciences, quelqu'elle soit, on dit toujours aux élèves, ou aux auditoires lors des conférences : "Chers élèves, chers auditeurs, la science est en perpétuelle évolution. Avant, on pensait que ceci cela, mais on s'était trompé ! Maintenant, heureusement, on a compris que... on sait que..." Eh bien non, on ne sait rien du tout, pas plus que celui qui nous a précédé et qui s'est trompé, alors qu'il croyait lui aussi, sur le moment, à son époque, savoir.
Car cinquante ans, ou deux cents ans après cette tonitruante déclaration, on verra un autre professeur, un autre conférencier, dire exactement la même chose au sujet de celui qui l'a précédé sur l'estrade.
On devrait dire : "Maintenant, de nos jours, on pense que...Jusqu'à ce que, peut être, une nouvelle découverte nous apprenne que..."
Lorsque je disais que si nous allions bien, ça n'arrangerait pas les psy, je ne plaisante pas lorsque j'affirme (de façon prétentieuse, je le reconnais) qu'il y a un peu de vrai dans cela. Parfois, j'ai le sentiment que les psys tiennent absolument à nous trouver des troubles là où il y a peut être un problème à régler, certes, mais rien de grave. Ou du moins pas encore trop grave. Il me semble que, s'ils peuvent améliorer une situation, ils peuvent aussi contribuer à l'empirer. Quand on ne crée pas la névrose de toute pièce, là où elle n'existait pas.
Il y a quelques jours, un petit garçon de trois ans a disparu au Royaume Uni. Son corps vient d'être retrouvé. Je ne sais pas encore, n'ayant pas écouté les dernières informations, s'il s'agit d'un accident ou d'un crime. A la radio, ce matin, le présentateur informait du fait que les enfants de sa classe avaient sûrement vu son visage à la télévision, et qu'il fallait leur expliquer ce qui s'est passé. Pour ajouter ensuite que les enfants allaient bien sûr bénéficier par la suite d'une aide psychologique.
J'ai mis de côté mon travail de la matinée, tant pis, je rattraperai, et je suis allée sur internet pour lire des articles s'interrogeant sur le bien fondé de tout dire aux enfants.
Faut-il vraiment tout dire aux enfants ?
Je n'ai trouvé que des articles à l'attention des parents qui détaillent, comme un vulgaire mode d'emploi, l'attitude à suivre au cas où il fallait révéler à son enfant une situation de chômage, un deuil, un divorce... Papa a trompé Maman... Oui, mon chéri, tu es adopté... Bref, des situations qui concernent directement l'enfant dans la mesure où lui-même, ou son cadre familial, est concerné. Atteint.
"Evitez de leur dire ceci, dîtes plutôt cela", "faites attention aux mots que vous employez", "faites comme ci, pas comme ça"... Bref, on s'adresse à des parents qui bien sûr ne savent pas, ne peuvent pas savoir car ce ne sont pas des professionnels.
Si tous les articles que j'ai trouvés (je n'ai pas lu tout l'internet évidemment) ne sont pas d'accord sur le bien fondé de tout, absolument tout dire aux enfants, tous se cantonnent aux problématiques familiales. Rien n'est dit sur le fait de révéler, ou non, aux enfants, surtout aux très jeunes, ce qui se passe en dehors de leur cadre familial, dans le monde "extérieur", auquel il faut, je le conçois, les préparer, mais duquel il faudrait également, à mon sens, les protéger.
Car doit-on réellement informer les enfants au cas où l'un d'eux aurait été victime d'un meurtre ? En discuter avec eux ? Ne risque-t-on pas, dans pareils cas, de provoquer la réaction inverse de celle que l'on cherche à susciter ?
J'imagine déjà la maîtresse dans sa classe, réunissant, dès la première heure, autour des petits bancs, son groupe de bambins de trois ans ou trois ans et demi, à peine sortis du berceau et serrant peut-être encore, pour certains, leur doudou rassurant, et leur expliquant que leur petit camarade Untel s'est fait assassiner, que c'est pour cela qu'il ne le reverront plus jamais, qu'il faut se souvenir de lui, que ce que le monsieur ou la dame a fait est très très mal, que ce sont des choses qui arrivent dans notre société, qu'il y a plein de gens très très méchants, partout, tout autour de nous, qu'il faut qu'ils sachent car c'est dans cette société là qu'ils vont vivre etc...
Allez, on en rajoute une couche. Dis, Maitresse, comment il a été assassiné, untel ? Demande Bidule tout en suçant son pouce. C'est normal que le gamin demande, les enfants posent toujours des questions, et il faut absolument leur répondre. C'est ce que, désormais, on demande aux adultes de faire. C'est les psys qui le disent, alors... Je caricature, bien sûr, et pourtant... On demande aux gens de faire attention aux mots qu'ils emploient, afin, justement, de ne pas provoquer de dommages inutiles, mais au delà des mots employés, quelque soient les mots employés, les enfants doivent-il être tenus informés de tous les faits traumatisants ?
J'imagine ensuite la maitresse allant chercher la boîte de mouchoir posée sur un coin de son bureau pour les distribuer aux gamins en larmes, j'imagine les gosses terrifiés par le monsieur (ou la dame) en question, par l'image qu'ils s'en font avec leur imagination fertile d'enfant, j'imagine ceux qui feront des cauchemars la nuit suivante, qui refuseront de manger leur dîner, qui vomiront, peut être...
Les gamins sont traumatisés ? Pas de problème, on a la solution. Etape suivante dans le processus que l'on a engagé : une fois les enfants bien traumatisés, on les emmène chez le psy (la "cellule psychologique", comme on l'appelle en France). Tout simplement. Pour les aider, n'est-ce pas, à se remettre de ce traumatisme qu'on leur a volontairement, violemment, et très certainement inutilement, infligé.
Finalement, on les a préparés à une consultation psychologique qui n'aurait pas été nécessaire si on avait tu les événements, mais qui l'est devenue de par le traumatisme qu'on a créé et infligé à l'enfant. En croyant bien faire, bien sûr... On croit toujours bien faire...
Bref, sous prétexte qu'il est à la mode, du moins dans l'air du temps de la psychologie actuelle, de tout dire aux enfants, on applique à la lettre cette recommandation judicieuse, et on l'applique dans toutes les situations, même celles où il n'est pas nécessaire, il me semble, que l'enfant connaisse la vérité. Il ne s'agit pas là, en effet, de lui révéler un fait touchant la cellule familiale, afin de lever le voile sur des non dits, dissiper son angoisse due à celle qu'il perçoit chez ses parents, ou autre situation dans laquelle le bien être de l'enfant est en jeu. Ici, on lui révèle un fait qu'on aurait tout aussi bien pu passer sous silence, sans conséquences sur le bien être de l'enfant. On le traumatise autant qu'on le peut, on touille bien la névrose en train de naître dans ce petit être sensible et fragile, puis ensuite on l'emmène chez le psy pour essayer de réparer les dégâts que l'on vient de faire. Sans se poser de questions.
Comme on dit, à tout problème, il y a une solution. Logique, n'est ce pas, Mier Spock ?
Du reste, que fiche un enfant de trois ans collé devant la télé à l'heure des informations ? (Les élèves de sa classe ont dû voir son visage à la télé, a dit le présentateur). Si le gamin n'avait pas regardé la télé, des choses qui, de plus, ne sont pas de son âge ("de son âge"... cette expression a-t-elle encore un sens, de nos jours ? Je l'espère), il n'aurait même pas été nécessaire ensuite de passer par la case "révélations-explications", puis, fatalement, par la case "psy".
On estime que la société est violente, et on oublie que nous avons nous-mêmes créé cette violence que nous subissons ensuite de plein fouet. Alors, pour protéger nos enfants, pour les préparer à affronter le monde "dans lequel nous vivons", nous les exposons aussi jeunes que possible à cette violence, nous attendons, nous espérons d'eux qu'ils s'y habituent, voire même qu'ils se désensibilisent, et que cette exposition à la réalité crue leur fournira les armes dont ils auront besoin pour se défendre.
En gros, on passe aux enfants le message selon lequel la violence, le crime, les meurtres, y compris d'enfants, sont des choses normales, que cela arrive souvent dans notre société, qu'il faut s'y habituer, et que si l'on a besoin d'un aide car on ne parvient pas à faire face à cette réalité, les psys sont là pour nous épauler.
Il me semble que nous ne faisons que créer des problèmes supplémentaires, là où il y en a déjà bien assez. Qu'en exposant si jeunes les enfants à des vérités aussi dures, on ne fait que les déstabiliser, voire les détraquer, et les préparer en réalité à perpétuer, ne serait-ce que par leur insensibilité, voire leur indifférence, cette violence, une violence qui s'exprimera par la suite au quotidien à différents niveaux. On les passe au rouleau compresseur. On les détruit.
Sommes nous en train de créer de toutes pièces de futurs névrosés, voire pire, que les psys seront ensuite chargés de récupérer ?
Il faut bien continuer à faire tourner la machine...
A moins que dans vingt, trente, ou cinquante ans, de nouvelles théories psychologiques nous enseignent qu'il ne faut surtout pas, mais alors surtout pas, dire ce genre de choses aux enfants, et qu'il y a des cas où protéger l'enfant est plus important, plus salutaire, que tout lui révéler, le ferait-on en toute bonne foi, par amour de la vérité, et par principe de ne jamais la dissimuler.
(1) Je ne parle pas des psychiatres qui ont suivi une formation médicale, ni des psychanalystes qui, d'après ce que j'ai compris, peuvent n'avoir suivi aucune formation, juste s'être fait psychanalyser eux-mêmes, la démarche leur donnant ensuite, paraît-il, toute autorité pour se proclamer thérapeutes...
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