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Torture et festivités

 

Un texte des lumières ...

Dans le "dialogue du chapon et de la poularde" (1), Voltaire met en scène deux volailles qui, castrées et sur le point d'être mangées, dénoncent la cruauté des hommes. La poularde : "Une maudite servante m’a prise sur ses genoux, m’a plongé une longue aiguille dans le cul, a saisi ma matrice, l’a roulée autour de l’aiguille , l’a arrachée" ... Le chapon : "ils nous mettent en prison pendant quelques jours, nous font avaler une pâtée dont ils ont le secret, nous crèvent les yeux pour que nous n’ayons point de distraction (on crevait bien les yeux du chapon à l'époque (2), ndr) ; enfin, le jour de la fête étant venu, ils nous arrachent les plumes, nous coupent la gorge, et nous font rôtir."

Pour le philosophe, la cruauté envers les animaux n'est d'ailleurs qu'une composante de la cruauté humaine, laquelle s'exerce aussi sur d'autres humains : "pour ce qui est de rôtir des hommes, rien n’a été plus commun parmi cette espèce ... on en avait rôti plus de vingt mille pour de certaines opinions". Enfin, l'auteur dénonce la justification de l'inacceptable : "Ils ne font des lois que pour les violer ; et, ce qu’il y a de pis, c’est qu’ils les violent en conscience. Ils ont inventé cent subterfuges, cent sophismes pour justifier leurs transgressions. Ils ne se servent de la pensée que pour autoriser leurs injustices, et n’emploient les paroles que pour déguiser leurs pensées."

 

... perdu dans les âges sombres

La castration des volailles (appelée chaponnage) est pratiquée sur les poulets et quelquefois sur les pintades (environ 1,5 millions/an en France) entre les âges de 5 et 10 semaines. Chez le jeune poulet mâle (futur chapon), une ou deux incisions d'environ 4 cm sont pratiqués à vif dans le bas ventre arrière, permettant d’y glisser une pince à castrer et d’arracher les testicules (elles sont à l'intérieur du corps). Sa crête et ses barbillons sont également coupés (toujours à vif). La castration est parfois fatale (hémorragie interne, lésion des poumons (3)) mais le plus souvent, l'animal pourra être engraissé et passera les dernières semaines de sa vie confiné dans une petite cage en bois appelée épinette.

Selon un rapport de l'INRA remis au ministère de l'agriculture en décembre 2009 (4), "il ne fait aucun doute qu'un oiseau étant programmé pour une castration chez un vétérinaire est soumis à une anesthésie et reçoit un traitement de douleur adéquat. En revanche, la castration effectuée chez le poulet de chair en élevage de production (appelée chaponnage) est réalisée sans aucune mesure, ni pour prévenir ou éviter la douleur pendant l'intervention, ni pour apaiser la douleur postopératoire". Pourtant, il est possible d'endormir l'animal de manière simple et non invasive (isoflurane, sévoflurane) et il existe toute une gamme d'analgésiques pour calmer les douleurs opératoires et post-opératoires (5).

 

Novlangue et diversion

Le chaponnage étant interdit en Belgique depuis 2001, la ville de Bruxelles a passé un contrat avec une société Française (SACPA) pour stériliser ses pigeons. Dans une vidéo tournée en caméra cachée par l'association de défense des animaux GAIA, on peut constater que des pigeons sont mal anesthésiés pendant l'ablation de leurs organes génitaux (6)(7). En France, les actes chirurgicaux sur des animaux doivent être effectués par des vétérinaires. Cependant, la castration chirurgicale des animaux autres qu'équidés et carnivores domestiques est un cas dérogatoire (article L243-2 du code rural (8)). Malgré le décret "prescription-délivrance" du 24 avril 2007 (possibilité de prescriptions vétérinaires sans examen clinique (9)), l'utilisation des analgésiques et anesthésiques reste globalement réservée aux vétérinaires. Autres freins à leur utilisation, une perte de temps et d'argent pour les éleveurs (10) ...

Ainsi va notre société où des vétérinaires ont pour mission de veiller à la santé du consommateur tandis que les éleveurs ont le droit de triturer des animaux vivants. Comment s'arrange-t-on avec ça ? La novlangue (11). Il suffit de remplacer les mots "torture" par "savoir-faire", "maltraitance" par "tradition" ou "retard Français" par "patriotisme alimentaire" ; le tour est joué. Le chapon peut même devenir glamour, comme en témoigne le reportage de TF1 "Concours de beauté pour les chapons" (12). Le directeur de la santé animale et du bien-être des animaux à l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) explique les bienfaits du chaponnage (13) : rien de plus normal. La guerre, c'est la paix, la liberté c'est l'esclavage, la mutilation c'est le bien être ...

 

Législation européenne "couille molle"

L'Organisation Mondiale de la santé animale (OIE) énonce que "Le chaponnage chirurgical ne doit pas être effectué sans les méthodes de contrôle de la douleur et de l’infection appropriées. Seul du personnel formé et qualifié peut le pratiquer sous la supervision d’un vétérinaire." (14). Au niveau Européen, on nage dans le blabla. Dans sa recommandation du 28 novembre 1995, le comité permanent de la convention européenne sur la protection des animaux d'élevage déclare au paragraphe 2 de l'article 21 que "La mutilation des oiseaux doit être interdite en général" puis au paragraphe 3 "Nonobstant le paragraphe 2, la pratique de la castration chirurgicale peut être tolérée là où il s'agit d'une tradition établie depuis longtemps et autorisée par la loi nationale." (15).

Les actes juridiques obligatoires sont eux mêmes aseptisés. La directive européenne du 20 juillet 1998 (16) énonce à la fois que "Les États membres prennent les dispositions pour que ... lesdits animaux ne subissent aucune douleur, souffrance ou dommage inutile." (article 3) mais aussi que "les règles nationales en la matière sont applicables dans le respect des règles générales du traité." (Annexes/19.Mutilations) ou que "Les méthodes d'élevage naturelles ou artificielles qui causent ou sont susceptibles de causer des souffrances ou des dommages aux animaux concernés ne doivent pas être pratiquées" mais que "Cette disposition n'empêche pas le recours à certaines méthodes susceptibles de causer des souffrances ou des blessures minimales ou momentanées, ou de nécessiter une intervention non susceptible de causer un dommage durable, lorsque ces méthodes sont autorisées par les dispositions nationales" (Annexes/20.Methodes d'élevage). Bref, la maltraitance des animaux doit être bannie sauf là ou elle est autorisée ...

 

Lobbys-réalité et consommateurs rêvés

Avec une telle douceur juridique, les choses ne sont pas prêtes de changer : "Les douleurs là, elles ne sont pas inutiles au moins ?" - Bien sûr que non ! La viande est meilleure, on respecte les traditions et nos élevages restent compétitifs. Faites nous confiance, on s'occupe de tout. D'ailleurs, on a même écrit un livre sur le bien être animal (17). D’après Christiane Lambert, 1ère vice-présidente de la FNSEA : "On voit ainsi circuler de nombreuses images montrant des élevages où le bien-être animal n'est ni respecté, ni même envisagé. Ce n'est pas le cas chez nous ! " (18). Ben voyons ... (19). Curieusement, la même FNSEA s'inquiète de la reconnaissance de l'animal en tant qu'être sensible dans le code civil (20) : "... une évolution juridique qui risque de remettre en cause la pratique même de l'élevage, le savoir-faire des éleveurs en matière de bien-être animal ... " (21).

Le cynisme des producteurs reflète malheureusement l'apathie des consommateurs. Selon une enquête menée par l'Afssa en 2006-2007, le mode de production d'un produit alimentaire intéresse beaucoup moins le consommateur que son prix, son goût ou encore sa marque (22). Faire souffrir des animaux, personne n'est pour ... tant qu'il n'y a pas d'efforts à faire. "La philosophie nous apprend à supporter sereinement le malheur des autres" disait Oscar Wilde. Et puis il y a ceux qui comme moi, ne digèrent pas la souffrance ; les "végétariens de l'extrême" comme ils disent à la télé (23). Des gens qui savent très bien manger sans mettre un foie malade dans le cul d'un poulet sans couilles ... un chapon farci au foie gras si vous préférez.

 

Jérôme Henriques

 

Références

(1) Le dialogue du chapon et de la poularde, Voltaire (1763)

(2) Dictionnaire des Alimens, ... (1750), page 335

(3) Effet du chaponnage sur les performances de croissance et les caractéristiques de carcasse du coquelet, page 35

(4) Synthèse du rapport d'expertise réalisé par l'INRA à la demande du Ministère de l'Alimentation, de l'Agriculture et de la Pêche et du Ministère de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche (décembre 2009), page 267

(5) Mary Ellen Goldberg : Pain Management for Vetenary Technicians and Nurses Appendix III.2. Analgesia for birds (Longley 2008, Carpenter 2013) page 342

(6) Bruxelles : "Boucherie sur pigeons vivants"

(7) Stérilisation des pigeons pour la ville de Bruxelles, GAIA

(8) Article L243-2 du code rural

(9) La prescription et la délivrance des médicaments vétérinaires

(10) Synthèse du rapport d'expertise réalisé par l'INRA (4) pages 295 et 296

(11) La Novlangue (1984)

(12) TF1, "Concours de beauté pour les chapons"

(13) Pas de chants de noël ni de crises cardiaques pour les chapons

(14) Organisation mondiale de la santé animale (OIE), Groupe ad hoc sur le bien-être des poulets de chair et les systèmes de production animale (Juin 2009)

(15) Recommandation du 28 novembre 1995 du comité permanent de la convention européenne sur la protection des animaux d'élevage

(16) Directive européenne du 20 juillet 1998

(17) FNSEA, Jeunes Agriculteurs, CIFOG, etc. : Bien être des animaux - Recueil des actions des partenaires agricoles

(18) FNSEA : Bien-être animal, parlons-en !

(19) Association L214, "A quand un noël pour les animaux ?"

(20) Statut de l'animal : la FNSEA craint des répercussions sur l'élevage

(21) Lettre ouverte de Xavier Beulin (président de la FNSEA) au Président de la République suite l'adoption dans le code civil d'un nouveau statut juridique pour les animaux

(22) Etude Individuelle Nationale des Consommations Alimentaires 2 (INCA 2), page 159

(23) M6, "Ces végétariens de l'extrême"


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9 réactions à cet article    


  • Croa Croa 17 décembre 2014 15:21

    Merci pour ces révélations ! Ici la tradition dite paysanne ne vaut pas mieux que l’industrie de la bidoche et tous ces gens sont complices en somme.  smiley


    • popov 17 décembre 2014 17:18

      Les diverses lois concernant un traitement plus humains des animaux vont dans le bon sens, même si elles sont un peu trop timides et facile à contourner.

      Malheureusement, il y a maintenant tout ce commerce halal sur lequel l’état ferme les yeux. L’abattage halal ou casher par égorgement, qui contrevient à la loi et devait en principe n’être permis qu’à titre exceptionnel et au cas par cas devient la norme. Au moment où on commençait à faire pression sur les éleveurs concernant le bien-être des animaux, voila qu’on réintroduit une coutume barbare dans les abattoirs en l’honneur d’un dieu égorgeur.

      Exemple d’abattage halal sans étourdissement : https://www.youtube.com/watch?v=hYJ_qIDfY6U



        • brieli67 17 décembre 2014 19:31

          le volatile à 3 mois est vraiment coriace !!


          sauf les poulettes qui commencent à pondre

          cqfd même la volaille bio est hormonée - la castration chimique est tolérée et que les importations sont controlées.
           5 jours de piscine - l’oie plus que 15 jours.

          Les meilleurs poulets les « poussins » chez nous les Mischtkraezerli et en Suisse alémanique
          au chaud, à l’obscurité ils bouffent comme des chancres
          et se transforment en « ortolan »

          • foufouille foufouille 18 décembre 2014 10:23

            j’ai mangé un coq d’un an qui était meilleur que ton chapon. c’est moi qui l’ait élevé par contre.


          • Ruut Ruut 18 décembre 2014 07:45

            La souffrance animale doit cesser.


            • Tillia Tillia 18 décembre 2014 09:00

              Manger de la viande une fois par semaine devrait être largement suffisant, jusqu’au moment où on pourra s’en passer définitivement.


              • Krinou Krinou 18 décembre 2014 21:17

                Ce que raconte l’auteur est absolument épouvantable !


                J’ai essayé d’être végétarienne pour être plus conforme à mes valeurs mais je suis une carnivore, je ne peux pas me passer de viande.

                A défaut de m’en passer, comme Tillia, je limite ma consommation.



                • Le p’tit Charles 21 décembre 2014 10:42

                  Gavage des animaux avant celui des humains...

                  Joyeuses Fêtes...dans ce « Maelstrom » de bouffe...

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