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Trafic de patrimoine culturel : voilà comment les marocains nous dépouillent...

Le sort de nos forgerons de talent ou ce qu’il en reste, me fend toujours le cœur devant tant de gâchis, devant une telle gabegie culturelle à ciel ouvert. Tout à l’heure, je suis passé voir un jeune forgeron qui me sert de guide quand je cherche ou je dois faire faire une pièce particulière. Cette fois, je voulais tout simplement un « mag-reuj » de chez nous, une bouilloire telle que j’en ai toujours connue autour de moi avant que même l’inox Français ne soit remplacé par une vulgaire ferraille venue d’on ne sait trop où. 

C’est dans la cuisine de l’artiste portugaise Isabel de zeinart que j’en ai vu un des plus charmants. Tout simple avec quelques touches de chez nous en cuivre. J’explique donc la chose à mon forgeron et nous voilà partis à pied au cœur du marché « leh-moum » à savoir le petit marché au charbon qui vient après le grand marché Capitale. Quelques mètres carrés où l’on trouve pêle-mêle sous un nuage de mouches, un rayon de bijoutiers spécialisés dans l’or, des étals de fruits et légumes face auxquels des rangées de marchands de mort aux rats et autres poisons contre les cafards et autres viranes, puis en équerre les marchands de viande. Tout ce beau monde vit en bonne intelligence comme coupés du monde.

Le jeune forgeron entre ici et là, salue et se renseigne. On lui explique qu’on ne trouve plus ce genre de chose par ici sauf peut-être chez quelqu’un là-bas. Nous voilà en direction de là-bas. On atterrit chez un autre forgeron en train de réparer un fer à repasser Philips… Soudain je vois à côté de son matériel de thé, le mag-reuj en question. C’était le sien ou celui d’une grande dame de Tevrag-zeina si on en croit sa rhétorique pour monter les prix.

Il nettoie la chose comme il faut, fait ici et là quelques réglages, passe le tout au sable, à la flamme, aux petits coups de marteau et hop ! une heure et demie plus tard voilà le mag-reuj tout neuf. J’en profite pour voir si je ne trouverai pas ici quelques autres trésors. Voilà bien quelques morceaux d’authentiques théières de jadis, mais on m’explique qu’on ne peut les utiliser que sur du charbon car cela fond au gaz. Ne sachant pas faire le thé et n’ayant hélas personne pour me le faire comme il faut, au charbon, je renonce à lancer une commande pour rafistoler toutes ces précieuses antiquités car il faut s’en servir sinon à quoi bon ?

Pendant cette matinée, j’ai eu tout loisir de discuter avec mon forgeron, comme on dit mon électricien, mon plombier ou mon ami, j’ai ainsi découvert l’ampleur d’un détournement culturel sans précédent au profit du Maroc. Déjà les vendeuses de hsérates, les nattes maures, qu’on trouve dans une ruelle à l’ouest du marché Capitale, m’avaient dit que les plus belles cachées à l’intérieur dont j’en voulais une, étaient pour des marocains qui n’allaient pas tarder à passer. 

Cette fois mon forgeron m’a tout expliqué sans savoir qu’il parlait à un journaliste.

J’avais lancé la discussion à propos du sort des forgerons en demandant pourquoi le ministère de l’artisanat n’ouvrait pas aux meilleurs des ateliers avec tout le matériel nécessaire pour travailler dans les meilleures conditions et sauver non seulement un savoir-faire mais aussi pour pouvoir former des apprentis, comme on en voit chez les menuisiers et autres ouvriers artisans ? 

Il m’a alors expliqué comment le monde des forgerons et du travail bien fait a été assassiné à petit feu non seulement par une mafia au cœur du ministère mais surtout à cause de la précarité généralisée qui fait que désormais à force de vouloir vendre moins cher, tout est devenu de la pacotille dont ne veulent même plus les touristes quand il y en a. De là les expos minables qu’on envoie à l’étranger salir le travail des vrais forgerons mauritaniens.

Pendant qu’on parlait en marchant, Dieu a fait qu’il a reconnu devant nous un très vieux maure qui semblait tenir dans sa main quelque chose roulé dans un petit sachet. Il m’a dit : « regarde ce vieux, depuis hier il cherche à vendre un vieux cadenas maure en excellente qualité mais il ne trouve personne. Il est venu à moi en désespoir de cause et il en voulait juste 12000 mais je ne les avais pas. Là il va s’arrêter chez les marocains qui habitent là-haut…

En effet devant nous à 15 mètres, le vieux maure blanc s’est arrêté dans une petite ruelle entre la route des quincailleries qui aboutit au marché des poulets à médina 3 et le grand marché de l’autre côté. J’avais laissé mon scooter beaucoup plus loin et nous étions partis à pied. Nous voilà devant le vieux maure. Salutations. Je me mets en retrait et j’écoute discrètement. En effet le vieux dit qu’il est repassé à l’atelier du jeune forgeron mais il n’était pas là. Je m’approche, je salue, je regarde en direction de la main de ce vieux monsieur à l’air honnête et démuni avec une énorme barbe blanche.

Le jeune forgeron redemande à voir et voilà sous nos yeux un magnifique cadenas de chez nous qui servait à fermer les grands sacs de voyage. Jamais rien vu de tel, dans un tel état. Un pur trésor. Je me renseigne sur le fonctionnement, je regarde la mécanique, les différentes couches de métal, les motifs et je demande si c’est à vendre. 

Le vieux me lance d’un trait « tu veux acheter ? » comme quelqu’un qui vient de traverser le désert rencontre une possibilité de verre d’eau. J’acquiesce. Il me dit 20 mille d’un ton que je ne n’oublierai jamais comme s’il tentait sa dernière chance de vendre à un bon prix avant de monter là où on allait l’égorger. 

Malheureusement, je n’avais pas sur moi ladite somme. Je lui demande d’attendre 10 minutes et je serai de retour. Là, il m’a regardé comme s’il avait déjà entendu cela mille fois ou comme un condamné à mort qui n’a pas tout ce temps, comme quelqu’un qui doit trouver de l’argent tout de suite pour soigner un proche, une épouse, régler mouchkile haleun ! Il a baissé un peu la tête en regardant en direction des escaliers dans le petit bâtiment blanc…

Le jeune forgeron avança et nous voilà repartis vers son atelier. J’avais laissé là mon scooter sans lequel je ne pouvais pas courir débusquer la somme à cette heure avec la « circulation ». En route pendant dix minutes, le jeune forgeron m’a expliqué où ce vieux maure allait monter…

Ainsi, selon lui, et Dieu sait que c’est un honnête homme, il y a des commerçants marocains qui ont de l’argent à savoir selon lui 6 à 8 millions à chaque fois. Ils achètent depuis des années tout l’artisanat qui a de la valeur soit le très vieux soit ils font faire selon le modèle ancien mais ils achètent à très bas prix quand les gens sont pris à la gorge par les affres du quotidien de plus en plus cruel. Il ajouta que l’artisanat ancien de valeur part ensuite au Maroc où c’est revendu à de riches touristes comme étant du travail de marocains car de toutes les façons pour le Maroc, nous sommes tous des sujets jusqu’au fleuve Sénégal.

Il m’a raconté que ces marchands marocains vont même à l’intérieur acheter les colliers de perles précieuses aux femmes qui vendent tout en ces temps de difficultés. Il m’a même expliqué comment. La femme à l’intérieur appelle le mari qui essaye de survivre à Nouakchott pour lui dire que des gens lui ont proposé telle somme pour le collier ou autres, le mari fauché dit qu’il faut vendre, il lui en achètera un autre qui ne viendra jamais. Ndeyssane…

Ainsi depuis des années, ce sont des camions entiers pleins de nattes anciennes, de rahal et des sacs pleins du meilleur du patrimoine culturel artisanal mauritanien qui vont au Maroc. Ce qui fait mal au jeune forgeron mauritanien c’est quand il entend ensuite des touristes ou autres lui dire que le travail des marocains est mieux que le travail des mauritaniens alors que les pièces qu’on lui montre en photo sont de chez nous.

En Mauritanie, il est interdit de faire sortir du pays tout ce qui relève de l’archéologie mais on peut tout faire avec l’artisanat même s’il s’agit de choses anciennes faites d’une main de maître pendant qu’à l’étranger, on expose régulièrement un travail vulgaire et souvent monstrueux ; une insulte aux talents de nos artisans dont le travail a traversé les âges avant de prendre le chemin de l’étranger pour laisser sur place ce qui a pris le chemin du reste à savoir la scène politique notamment…

Sitôt arrivé devant mon scooter, je vole à la recherche du vieux maure. Je zigzague pour retrouver la ruelle, je me perds puis l’œil partout me voilà où je l’ai quitté. Je demande si quelqu’un a vu le vieux redescendre, on me dit qu’il est là-haut. Je monte, je tape à plusieurs portes, on m’ouvre, une femme avec plusieurs enfants en bas âge qui m’assure qu’elle a vu le vieux redescendre de là-haut. Je redescends, je me renseigne encore. Là arrive un autre maure qui me dit que le vieux est bien redescendu et qu’il est parti en remerciant Dieu.

Je démarre en regardant partout certain de le reconnaître de dos comme je le vis la première fois. Je scanne tous les boubous blancs de dos, un turban sur la tête mais cette démarche inoubliable ne répond nulle part. Je ralentis en me disant que c’était écrit et me voilà à chercher à passer au milieu des voitures pour rentrer chez moi à cette heure de pointe.

A propos de patrimoine national, bientôt verra le jour à Nouakchott la Fondation VGL initiée par un ami de longue date, Thierry qui a grandi en Mauritanie et qui mérite d’être naturalisé. Pendant une quinzaine d’années par pure passion, il est devenu collectionneur de tout ce qui a trait à la Mauritanie. Cela a commencé modestement par des cartes postales d’époque puis tout le reste est venu : médailles, perles, bracelets, billets, pièces, livres, centaines de photos d’époque incroyables achetées une à une etc. Il a ainsi rencontré l’association des amis de la Mauritanie ou des anciens de Mauritanie, une association dissoute depuis où l’on trouvait d’anciens colons. Il dispose d'une formidable collection qui ferait pâlir d’envie le désert musée national.

Tout cela aurait pu être vendu en France ou ailleurs, il a préféré tout garder ici. Il en parlera certainement lui-même en temps utile.

 

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3 réactions à cet article    


  • Séraphin Lampion P-Troll 23 mai 2015 12:45

    « Dieu a fait qu’il a reconnu devant nous un très vieux maure »


    Il devati bien avoir entre1 500 et 2 500 ans, car depuis que la « Mauritania » romaine a disparu, les descendants des maures s’appellent autrement.


    • blablablietblabla blablablietblabla 23 mai 2015 16:55

      le marocain en arabe c’est un chekem du mot chkima , un« mouchard » et rien d’autre  !

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