Cette affiche, publiée par Le Canard Enchaîné, présente de dos une jeune femme en short avec pour slogan incrusté sur ses fesses « Chi mi ama mi segua », « Qui m’aime me suive ». Deux procédés d’expression incompatibles sont ainsi associés pour provoquer la détonation qui doit capter l’attention.
Un leurre d’appel sexuel ordinaire
L’un est évidemment le leurre d’appel sexuel le plus ordinaire qui soit, puisque le short se prête par fonction à sa mise en scène. Le postérieur féminin est photographié en gros plan entre taille et mi-cuisses dans une totale mise hors-contexte sur fond clair uni pour à la fois ne pas distraire le regard et faire ressortir chair et short par contraste. Le voyeurisme du lecteur peut se repaître à volonté des courbes féminines offertes, d’autant que le short est volontairement ultra court pour n’envelopper que partiellement des formes généreuses qui débordent.
Le double jeu rituel de l’exhibition et de la dissimulation est ainsi assuré par le jean lui-même dont la toile moule les hémisphères fessiers de si près qu’il montre autant qu’il cache les zones sexualisées revêtues. Le peu qui est dissimulé vise toutefois à stimuler le réflexe de frustration dont est attendue pour son soulagement la pulsion d’achat. « L’objet du désir » qu’est le mannequin exhibé, n’étant pas accessible, il ne reste au lecteur, pour apaiser son inconfort, qu’à le convertir dans un échange mental en "désir de l’objet" : il lui suffit de déplacer son désir et de le reporter sur l’objet associé qui ressort de cette proximité auréolé des feux de l’érotisme : le short, lui, est à portée de bourse, si l’on ose dire.
Paradoxe et parodie profanatrice
À cette stratégie ordinaire du leurre d’appel sexuel, l’affiche « Jesus Jeans » associe un contexte qui, en revanche, ne l’est pas. Cette exhibition sexuelle est, on ne sait pourquoi, placée dans un univers totalement inattendu, celui de la religion chrétienne ouvertement symbolisée, d’abord, par le nom insolite donné aux jeans, « Jésus », et, ensuite, par le slogan qui est la parodie d’une parole fondatrice de son créateur : « Chi mi ama mi segua ».
Un rapprochement aussi incongru de deux domaines aussi opposés est au minimum un paradoxe, c’est-à-dire une contradiction apparente. Au pis, c’est une contradiction irréductible qui ne se résoud que par l’humour, cette façon de parler sérieusement de quelque chose de léger ou inversement, fût-il de mauvais goût. L’association entre sexe et religion chrétienne est d’autant plus incompatible que la seconde est connue pour réglementer sévèrement l’usage du premier. Or, la formule fondatrice christique « Chi mi ama mi segua » devient ici par parodie un slogan vantant le dérèglement sexuel.
Au-delà du choc asséné à la raison, le cœur du lecteur peut en être affecté, s’il est chrétien. La religion est une autorité que ses fidèles ne peuvent supporter de voir tournée en dérision sans éprouver une violente aversion contre l’agression. Ce détournement de la parole même du Christ en manifeste de licence sexuelle ne peut que déclencher en eux de violents réflexes de répulsion et de condamnation, voire d’humiliation et donc de légitime défense. Ce qu’ils considèrent comme sacré est à leurs yeux profané.
L’attrait de la transgression
Cette stratégie présente donc un autre paradoxe : vendre ne nécessite-t-il pas de susciter le réflexe d’attirance ou d’identification et non le réflexe de répulsion ? En fait, « Jesus Jeans » ne s’adressent pas aux fidèles mais à des consommateurs baignant dans une société encore imprégnée de culture chrétienne, comme l’est celle d’Italie. Sous couvert d’humour, dans une société qui règlemente strictement nombre de conduites, il leur est proposé, comme exutoire à la façon du Carnaval dans le passé, un acte de transgression provisoire sans conséquence. Car l’interdit et sa transgression rendent l’objet défendu plus désirable encore. Le Christianisme est même la religion à en avoir offert une belle illustration dans cette scène de transgression qu’est le péché originel d’Ève et d’Adam goûtant aux fruits défendus de l’arbre de la connaissance au Paradis Terrestre. Ici la transgression est d’autant plus tentante qu’elle peut se faire sans risque ni châtiment.
Cette publicité n’est pas la première à jouer ainsi sur l’association détonante entre sexe et religion chrétienne. On a déjà vu sur une affiche de film une jeune femme demi-nue parodier le Christ en croix (« Ave Maria » de Jacques Richard, 1984), ou Volkswagen, le dernier repas du Christ, la Cène, peinte par Léonard de Vinci pour promouvoir un nouveau modèle. Les Chrétiens ont raison de crier à la profanation de leurs croyances. Mais n’assiste-t-on pas, même si elle est d’un goût douteux, à une revanche inévitable dans une société civile sécularisée qui pendant des siècles a subi le joug du puritarisme pudibond d’une religion dominante ? Paul Villach