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Une parcelle de liberté

Petite chronique piquante à partir du choix qui suit un accroc dans une vie.

J'ai d'abord voulu écrire cette histoire vraie à la troisième personne, en effet, le "il" étant par définition l'expression de l'anonymat, me semblait plus facile à développer car plus discret et moins inquisiteur que le "je" qui va définir ce récit.

 

Nous sommes au printemps de l'année 2015, à la demande insistante de mon médecin, pour la première fois de ma déjà longue existence, je me vois contraint de rendre visite à un cardiologue pour un contrôle. Contrôle coutumier pour mon épouse, exceptionnel en ce qui me concerne. Au cours de l'examen du spécialiste, je vois son visage changer de texture, l'examen se prolonge pour finir par un coup de sabot sur le haut du crâne : vous avez un anévrisme conséquent de l'aorte ascendante. Merde ! Qu'est ce que c'est que cette saloperie ? Explications données par le praticien, il s'agit d'une dilatation du vaisseau en question avec risque de rupture. Celui-ci mesure la bagatelle de 57 millimètres de diamètre, alors que sa taille devrait se situer autour de 30 millimètres. Si cet enfoiré éclate... pfttt.... plus de bonhomme ! Pourtant je suis entré dans le cabinet du cardiologue en bonne santé et je vais ressortir malade, le cerveau tricote ; je suis arrivé jusqu'ici sans anicroche, je dois pouvoir continuer sur le même chemin, tout au plus je marcherai sur des œufs. L'oiseau de mauvaise augure, ci-devant, s'est peut-être trompé de diagnostic. Mais ce dernier devance la question qui me brûle les lèvres en me signifiant que je peux prendre un autre avis, malgré qu'il soit totalement sûr de son constat.

Dans un premier réflexe je me sens bravache, prêt à assumer le risque d'un accident définitif ; du moins c'est ce que je crois me poser comme une décision courageuse. Et puis cette épée de Damoclès qui me menace, impossible de l'occulter, elle est là, je la vois suspendue au-dessus de ma tronche, prête à ma faire payer le moindre faux-pas. Je n'aime pas sentir la menace d'un accident fatal rôder autour de mon foyer et s'immiscer avec ruse dans le cours de ma vie, traînant à sa suite son cortège de peines, de larmes et de tristesse. Malgré que la décision semble m'appartenir, je sens bien qu'elle m'échappe. Mon sort ne dépend plus de moi, raisonnablement, je dois me remettre entre les mains de la chirurgie.

Renseignements pris, l'intervention consiste à ouvrir la boîte qui donne accès au cœur. En bon bricoleur, j'imagine déjà la scie circulaire et les écarteurs pour parvenir à l'organe déficient, et les raccommodages enjolivés d'un peu de broderie exécutés par des mains habiles. En réalité, je n'ai aucune idée de la méthode et du résultat qu'on me décrit nécessairement comme une réussite. Je dois avoir confiance et adhérer pleinement pour que l'opération, tout de même très délicate, soit un plein succès. Dans la bouche de l'anesthésiste, mes réticences pourtant justifiées, sont un frein à la bonne conclusion de l'intervention sur et surtout à l'intérieur de mon corps sans défense.

Évidemment, je ne suis pas le premier dans ce cas. Tous les jours des chirurgiens pratiquent cette même opération avec brio. Et puis c'est moins grave qu'une maladie type cancer. J'écoute et j'entends bien ces paroles vraies et cependant si peu convaincantes. Elles ne sont d'aucun secours pour qui va passer sur le billard. A ce moment on est seul, absolument seul, malgré toutes ces mains qui s'affairent autour de nous.

 

Le fameux jour est arrivé, il est treize heures, c'est le moment de mon transfert à travers les couloirs sur mon lit de peine. Il est environ quatorze heures quand mon esprit disparait, je sombre, les experts peuvent se mettre à l'ouvrage, ce n'est pas moi qui vais vous déranger dans votre besogne. Bye bye et bon vent !

 

D'après le chirurgien, l'opération aura duré environ six heures et trente minutes, elle fut bien évidemment une réussite !

La première voix qui accompagne mon début de réveil est douce et agréable, elle est féminine.  

" Bonjour ! Il est minuit trente, vous avez été opéré, l'intervention s'est bien déroulé. Votre épouse était très inquiète, elle est venue vous rendre visite. Vous allez vous réveiller tout doucement, vous êtes ici en réanimation"

Sensation désagréable, bruits nouveaux, je ne suis pas encore en mesure de penser clairement, mais j'ai froid, j'ai très froid. Je le dis, mais aucun son ne sort. Je recommence, je crie, toujours pas de son. Je sens quelque chose de désagréable au fond de ma gorge. Je suis en panique totale, j'ai perdu la parole ! C'est alors que la voix m'interpelle de nouveau avec douceur.

"Vous avez été intubé, nous allons introduire un petit tube à l'intérieur du tuyau pour nettoyer les poumons et nous vous retirerons l'ensemble délicatement. Ne craignez rien vous n'aurez pas mal." 

L'opération s'effectue comme indiquée. Mon réveil semble totalement effectif ; quand je veux amorcer un mouvement avec ma main droite, je constate qu'elle est solidement attachée. Nouvelle peur panique, je ne peux pas bouger. La voix qui m'accompagne dans mon réveil me susurre de ne pas m'énerver ; en détachant ma main droite, elle me dit : "Je vais vous libérer un petit peu la main gauche, je la détacherai totalement lorsque vous serez tout à fait réveillé".

 

Le matin arrive avec un petit déjeuner frugal avalé difficilement et une toilette réparatrice. Vers quinze heures, on me propose un saut de cabri vers le fauteuil, j'accepte l'invitation, la plus grosse difficulté consiste à faire suivre toute le tuyauterie et tous les appareils reliés. A seize heures c'est le moment de ma première visite. Je suis content de revoir mon épouse, ma voix est faible, je dois faire un effort sur chaque mot. Mais je suis content. L'heure de visite sera partagée entre mon épouse et mon fils, une seule personne à la fois, réanimation oblige.

 

Je m'avance à grand pas vers la partie la plus désagréable de mon séjour. Vers vingt heures, on doit libérer ma chambre de réanimation, on me transfère donc dans le service voisin qui se nomme "les soins intensifs". J'y resterai deux jours et demi et deux très longues nuits. Si la compétence et la gentillesse de tous les intervenants du service est indiscutable, par contre le lieu est vieux et sinistre, indigne d'un établissement de soins en 2015. Les box sont exigus, pour ne pas dire minuscules, et étouffants. La climatisation vous crache sa vapeur fétide au visage. Aucune intimité possible dans cet environnement d'une autre époque. Une sorte de mini cour des miracles. Bien sûr j'exagère ! Cependant je me suis senti tellement mal, moralement mal, que je ne pourrai pas oublier. Pour faire populiste, je dirais, comme je l'ai entendu sur place dans la bouche du personnel, que les administrateurs de cette clinique devraient impérativement aller faire un petit séjour dans cette ambiance. Je dois y ajouter le bruit incessant des appareils, la moindre anomalie sur un patient est prétexte a de stridentes litanies de sons ; on pourrait presque s'imaginer au milieu d'une rue très embouteillée.

Heureusement la fin de mon court passage dans le service des soins intensifs fut égayé par les incrustations d'images plus fofolles les unes que les autres. Si je n'ai rencontré aucun éléphant rose, j'ai par contre réussi à admirer quelques colossales et furtives araignées. J'ai croisé des enfants qui rentraient sans doute d'une ancienne guerre des boutons. J'ai tenté de déchiffrer de nombreux signes cabalistiques sur les murs autour de moi. Un de mes compagnons d'infortune a même rencontré Dieu ; je n'ai pas eu cet honneur, cependant je jurerais avoir croisé quelques anges protecteurs enveloppés de voiles vaporeux.

Cette image illustre le N° de mon box

 

La suite et la fin de mon séjour dans une chambre confortable me donna peut-être un aperçu du paradis après avoir visité un bout d'enfer. Là, j'exagère encore, probablement un traumatisme récurent qui me poursuit ! Durant cette période j'ai cru discerner une rivalité entre certains services. Lors de contrôles demandés par le chirurgien, certains intervenants d'autres unités ont réagi avec beaucoup de retard et j'ai pu constater certaines réticences dans la pratique des examens complémentaires.

 

Aujourd'hui j'ai récupéré la totalité de mon autonomie et une bonne part de mon tonus. Seule ma voix a été "abimée" par l'opération (corde vocale détériorée), un long processus de récupération est en cours. Je bosse mes gammes !

Maintenant, je sais que j'ai fait le bon choix. L'avenir m'apparait comme une renaissance, je l'espère !

 

Dd


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