Violence
La violence est une pulsion de vie ; une pulsion légitime de survie. Certes nombre d'animaux proies ne l'ont pas, face au prédateurs qui les prennent au cou, car avant la violence, il y a la fuite. Mais les vaches ont des cornes, les chevaux des coups de sabots, et seul face à une biche, l'homme sera KO.
L'homme est la proie des proies, le plus faible animal, qui a conçu pour sa défense des outils , des armes. Mais il a ancré au fond de son cerveau primitif cette vérité ; son savoir ni son intelligence ne l'en protège, ainsi, il tuera la couleuvre aperçue bien que celle-ci, et il le sait, ne représente aucun danger : l'homme est la proie de sa propre peur. Et là réside tout son danger.
En développant son intelligence, pour la survie de son espèce, l'homme a traîné tout un tas de scories inutiles et nuisibles ; l'intelligence n'est pas pure, elle s'agrémente d'illusions, de fantasmes, de croyances, de certitudes non partagées, et surtout, elle n'aide pas à dépasser la peur initiale.
Il serait aussi prétentieux qu'inutile d'essayer de faire le tour de tout ce qu'engendre cette réalité première ; pour un peu on dirait la totalité de l'histoire humaine ; mais j'ai envie de m'attacher, au gré du vent qui passe, à quelques-unes de ses manifestations !
Il y a le duel, froid, organisé, maîtrisé dans les brumes poétiques d'un matin d'hiver en clairière. Un homme perdra la vie, deux peut-être, mais qu'est la vie face à l'honneur ? Et qu'est l'honneur ? Toute abstraite, toute empreinte de beauté aristocratique, la mort comme summum du courage. On nous le vend comme une obligation, si on est un gentilhomme. Le feu de l'arme a supplanté l'acier de la lame, la rapidité ou la ruse, le combat. Et tout est dit ; l'arme à feu banalise la mort, la rend instantanée si le coup est réussi, pas d'échauffement, le corps est raide, c'est au fond une loterie. Je donnerais cher pour ressentir ce que ces hommes ont ressenti, juste avant de mourir, pour un mot, une calomnie ; pour saisir la puissance d'un mental qui bannit la raison de ses étroits horizons. Ceux qui restent et les pleurent étaient bien peu de chose et la beauté du monde un bien piètre décor qui s'efface et s'oublie pour une pique à l'orgueil.
Mais cela n'est rien, cette violence entêtée parce que inimaginée se pratique entre adultes consentants.
Le consentement ! Une puissance, un pouvoir que ne terrasse pas la volonté, que ne gère pas l'intelligence mais qui plombe la liberté.
La violence inouïe des guerres, au service de quelques intérêts des puissants ; oui, on le sait, mais que fait-on de ce savoir ? Le savoir n'a aucun pouvoir, qui n'empêche pas le paysan de partir au combat, qui ne protège pas la victime de hasard, qui ne console pas les survivants. Au nom de quoi tue-t-on et se fait-on tuer ? Une croyance partagée, une idéologie imposée, un ordre donné. Au nom d'un nationalisme, d'une communauté, on part en guerre aussi pour venger une ancienne blessure ; l'Allemagne humiliée ressoude sa puissance dans le nazisme, puis, longtemps après, mêlant la défaite des deux guerres, prend l'initiative et une part active dans l'éclatement de la Yougoslavie, pays constitué juste après la première, et partagé dans la deuxième. « Nous avons gagné ! » dirent-ils, une fois le chaos mis dans les Balkans. Les Chiites minoritaires, toujours discriminés sinon persécutés, qui partent en Irak à la conquête d'un pouvoir, disons sur le modèle iranien.
Plongeons-nous un instant, comme on fait une minute de silence, dans l'absurdité de tout ça.
Le savoir n'a aucun impact sur la décision ; nous savons tous qu'il nous faudrait cesser de consommer comme des abrutis, de souiller les eaux, de polluer l'air, de désoler la terre, mais nous ne faisons rien. Nous savons tous que la vie est notre seule richesse, et sa santé ; nous faisons tout pour la bousiller, la spolier ou l'ôter.
Nous semblons tous plus prompts à nous unir dans la violence ou la haine que dans l'élan de l'amour ; cela prouve le mal profond en nous. Ce n'est pas l'homme qui est ainsi, c'est l'homme « civilisé », car il semble bien que cette civilisation ne tienne que sur des atouts usurpés à la vie. Bien évidemment, la religion est facteur de civilisation, d'union d'un peuple, donc de séparation d'avec les autres. Pour faire tenir ensemble cette multitude d'humains, unis sous les mêmes valeurs, il faut bien rogner sur quelque chose ; on discrimine plus ou moins violemment les minorités, et dans l'individu lui-même, on rogne sa singularité ; que ce soit les obligations de faire, contre son propre rythme ou ses propres tendances, ou bien les interdits qui bloquent les énergies ou la créativité, ce vivre ensemble, pour bien le faire, demande de grands sacrifices. Or un sacrifice ne se supporte que pour un plus grand bien ! Et de plus grand bien il n'y a pas. Ou il n'y a plus.
On dit que la violence sociale vient d'une exclusion, d'une impossibilité pour certains d'acquérir les objets que les publicitaires donnent à convoiter ; puis, le temps passant, on dit qu'il y a de la violence sociale parce qu'il n'y a pas de boulot pour tout le monde, que certains se retrouvent exclus du grand cirque ; puis le temps passant encore, on dit qu'il y a de la violence sociale parce qu'il y a choc de civilisations.
C'est vrai que les plus pauvres, les plus exclus cumulent toutes les tares, en plus ils sont noirs ou bruns, et logés dans des cités dont certaines municipalités interrompent de temps à autres les services de transport pour aller à la ville. Il paraît que c'est pour protéger les Français, mais les autres le sont aussi, français ! Cette violence faite aux pauvres ne me semble pas constitutionnelle, en revanche, rêvée dit-on, par de plus en plus de gens !
Ailleurs, les plus pauvres, les exclus, ceux qui sont blancs de peau, d'abord il y en a moins, ils ne sont pas agglomérés, et en plus ils sont confits dans l'alcool, sans logis, sans abri même, depuis longtemps, pas tout jeunes, un âge en tout cas où la fatigue a eu raison de l'énergie nécessaire à la violence.
Est-ce enfoncer une porte ouverte de dire que la violence engendre la violence ? Si oui, pourquoi le fait-on ? La violence actuelle est d'un genre spécial, elle est insidieuse au point que certains peuvent la nier, en chacun de ses détails, mais c'est vrai surtout pour ceux qu'elle n'est pas sensée atteindre : les nantis ; et quand je dis nantis, je parle de la population, des classes moyennes supérieures ou moyennes, selon leur tempérament ; tout le monde n'a pas la même sensibilité à l'enfermement. Donc cette violence sournoise, qui laisse pantois, provoque des réactions de compensations, d'évacuation d'une pression. Ce n'est pas celle dont on parle, bien sûr, car elle n'est ni organisée ni très visible non plus, mais elle fait ambiance, sur la route, dans les commerces, en ville ; réactions virulentes pour un rien, affirmation de soi brutale, sans motif apparent, repli sur soi affiché comme sans remède. Elle est pourtant quotidiennement l'avatar des toutes les autres. Et à ma connaissance jamais expérimentée par l'être humain, qui vivait jusque là une violence beaucoup plus singulière, personnalisée et, du coup, susceptible d'être contrée ou de trouver réponse. Les abus des pouvoirs n'ont pas toujours été aussi mortifères ; certes la religion et son église ont fait du mal aux âmes, mais leur pouvoir n'avait pas nos moyens pour les atteindre toutes.
Ceci dit, de tous temps les sociétés ont porté des violences par le simple fait de brimer les libertés des peuples ( les hauts placés dans certaines sociétés pudibondes sont eux-mêmes étouffés par leur éducation confite dans les interdits, sexuels ou apparentés, ce qui rend « ces gens-là » enclins à des comportements pervers dont je ne vous fait pas le dessin) ; on avait alors pensé que désigner un bouc émissaire était un bon moyen de défouler les foules de temps en temps, comme on perce un abcès ; il y eut le vrai carnaval aussi, journée du tout permis, pas forcément violent d'ailleurs, mais où chacun était autorisé à laisser libre cours à ses excentricités ; le bal masqué était aussi un bon moyen de se laisser aller à quelque incongruité. Et puis les guerres, naturellement, si j'ose dire.
Qui pourrions-nous désigner comme bouc émissaire pour soulager cette tension qui ne va pas tarder à devenir intolérable, en sachant qu'un bouc émissaire a une bonne gueule de coupable, même s'il est innocent, même s'il n'est qu'un rouage dans une machine qui le dépasse ? Il nous en faudrait plusieurs, pour que chacun y trouve son compte ; je proposerais bien BHL et Hollande, si rigoureusement ma mère ne m'avait défendu de les nommer ici ! Mais on pourrait en trouver d'autres !!
Des guerres, je n'en ai jamais vécues, mais j'ai lu les « confessions » de certains anciens d'Algérie, et entendu des femmes bosniaques, à Sarajevo, pendant la guerre en Yougoslavie. Ce que j'en ai retenu de primordial, est la mise en place, involontaire, même inconsciente, d'une soupape, ou la sécrétion d'une substance plus probablement, qui anesthésie, rend ordinaire le vécu insoutenable. On le découvre un beau matin, on s'en rend compte, si toutefois on a quelques capacités à ce recul. Néanmoins je n'ai jamais entendu parler, dans les médias, dans les livres, de ces souffrances jamais guéries de tous ces hommes qui peut-être n'ayant pas vécu le pire n'ont pas eu droit à leur analgésique naturel et sont revenus traumatisés, sans que rien, jamais, ne soit fait pour leur faire recouvrer la santé. Certaines vies brisées, oui, en tout cas de nombreuses très amochées. Toutes atteintes.
Une blessure à l'orgueil, quoi plus douloureux ?
Mais qu'est-ce que l'orgueil ? Juste une idée exagérée de sa valeur ! Alors , quand une grande part de l'humanité, au lieu de quêter la sagesse, au lieu de choyer la sagesse populaire qui est le bon sens et la décence, s'aveugle à ses démons, tous les autres trinquent ! Seulement, le problème est que les hommes ont inventé des dieux qui eux-mêmes mènent des guerres, saintes, certes, et que toutes les religions sont là au fond pour dire : la Vie, quelle importance ? Il y a un fond de vérité dans tout cela car il est bien évident qu'aucune espèce sur cette planète ne se soucie d'un individu ; la survie, c'est l'espèce, l'individu est tellement éphémère et insignifiant ; les civilisations alors ne portaient pas aux nues la personne, cette espèce d'approximation pleine de mauvais sens, mais le religieux, comme élan spirituel. Si nous n'étions aujourd'hui à ce point imbibés d'individualisme, nous serions beaucoup moins enclins à nous investir dans la compassion, la sympathie, le soutien. C'est donc une vraie question de savoir si ce culte de l'un est un progrès, et que nous n'en serions que sur la première marche, ou bien au contraire s'il serait bon d'éradiquer cette chimère de la tête des hommes. On se mord la queue : nous ne sommes rien, ni les uns ni les autres, alors pourquoi se battre pour des leurres ? Nous sommes tout l'un et l'autre, alors pourquoi s'entre-déchirer au nom d'une hiérarchie inepte ?
Mais se mêle à tout ça et de façon immémoriale, l'atavisme animal qui protège son espèce, et son espace, et chasse l'intrus ; sauf s'il est seul, humble ou chargé de cadeaux. Dix abeilles qui viendraient, chargées de miel, dans une ruche voisine, soit qu'elle se trompent soit que la leur soit orpheline, passeraient inaperçues ; à cent, c'est la guerre. Mais si la ruche investie est faible, et pressentie telle par les conquérantes, la conquête réussit sans trop de dégâts. J'ai l'intime conviction que l'homme est assujetti aux mêmes lois que les autres, mais mêle à ses instincts les productions nauséabondes de son mental. « Avez-vous besoin de religion, de Dieu, d'enfer, de paradis ? Tout ceci est la création d'un mental insatisfait et divisé. » nous dit Swâmi Prajnânpad.
La violence est le fait du « je », du « nous », jamais satisfait...
Nos congénères humains se battent dans tous les coins, comme autour d'un os !!!
La douleur de la violence intérieure
Et puis il y a elle, la violence des humbles, celle qui vient de profond, que l'on tait parce que l'on est faible, mais qui fait irruption pour un rien remarquable, une douleur ravivée ; un « je » aussi, humilié. Pourquoi la mère, à bout, en manque de tout, soudain, ne le supporte plus, lui, l'enfant qui la confond dans sa faiblesse, par un seul regard, par une seule quête, et tout est dit ; la mère, acculée, veut l'empêcher de voir et peut-être et surtout de lui faire voir cette faille, cette incapacité en elle, cette fatigue ; et pourtant c'est si rapide, si nerveux parfois, la mère qui tabasse son gamin, juste parce qu'il a besoin de ce qu'elle ne peut pas donner, un peu d'amour, d'attention et de soin, mais toujours et tous les jours alors qu'elle n'en peut plus, elle qui ne reçoit rien, elle qui doit aussi prendre sous son aile l'autre , le grand, le mari, et que par dessus tout, il la toise , la ramène et ne manque jamais l'occasion de la rabaisser, l'humilier, et il faudrait qu'elle donne encore et encore, elle qui n'a rien reçu, des taloches, des mamours, des taloches et jamais l'assurance de sa légitimité.
Et lui, ce petit bout, rempli de larmes et d'amour désespéré, qui encaisse pour faire grand, qui épanche comme il peut dans ses dessins d'enfants, ses chansons, ses sautillages, et qui cherche encore à consoler, à plaire, à se faire tout petit, jusqu'à l'explosion, quand ce n'est plus tenable, et que le père rapplique. Et le père qui tabasse sa fille.
La violence, cette faiblesse, ce désarroi, qui se donne comme un virus, inguérissable transmissible … l'homme qui bat la femme qu'il aime ou qui l'aime, il ne sait plus, parce qu'il est sûr de ne pas la mériter, que le lien est éphémère jusqu'à l'insupportable, tellement qu'il faut arrêter la douleur de la peur de perdre...ou bien cette femme qui accepte tout, en silence qui panse, qui choie, qui acquiesce de cette soumission insupportable « tu vas t'arrêter dit !! », arrête d'accepter tout de moi, vil, veule et pas aimable ; battre jusqu'à faire disparaître... couper court.
Violence, toujours défenderesse ; défendre c'est interdire pour protéger. L' Homme, ici comme ailleurs dévoie sa force, aujourd'hui plus que jamais il affiche les abus de son pouvoir avec morgue, la violence en est banale, mais elle le fut de tous temps ; le fait est que l'homme n'a que peu de capacité à se mettre dans la peau de l'autre.
Il semble que l'on ne s'attache qu'à la violence physique, parce qu'elle se voit, et qu'à l'ère de l'image, la vue occulte les autres sens. Mais une violence plus sournoise, parce qu'invisible, en tout cas pour ceux qui ne savent pas voir, même proche d'eux, est la violence morale : la destruction de la psyché, voire de l'âme, pourtant elle est celle qui empoisonne la vie ordinaire ; c'est beaucoup plus difficile à accepter, il vaut mieux se contenter de montrer la violence dans des circonstances extraordinaires ; que ce soit la guerre au loin, ou la violence de quelles factions que ce soit, ici, plus proche. En attendant, la violence psychique, est l'arme fatale des pouvoirs à l'encontre de leur peuple ; ni vu ni connu, si j'osais ! Délabrer un être, de toutes les manières possibles, sans qu'il y ait effusion de sang, sauf si on arrive au suicide, est exactement l'arme employée aujourd'hui ; chacun, vivant ces attaques dans son intimité, n'a plus de secours que lui-même, isolé, culpabilisé, dénié amoindri, il s'en remet s'il le peut encore aux bienfaits de Big Pharma via la docte gente médicale, à mon avis tout à fait ignorante de l'ampleur de cette guerre menée. Ou bien à l'alcool , la drogue, anesthésie temporaire. Et l'on parle de malaise...
Mais ceci est un sujet en soi, et pour toutes ces raisons, difficile à cerner.
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