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Accueil du site > Tribune Libre > Yann, Genepiste : « la prison marche sur la tête »

Yann, Genepiste : « la prison marche sur la tête »

Tous les jeudis, Yann Leglas joue au Trivial Poursuit. Avec des détenus. Depuis plus d’un an, cet étudiant en sciences politiques à Bordeaux de 23 ans est membre du Groupement d’étudiants national d’éducation aux personnes incarcérées (GENEPI). Avec ses camarades il intervient dans les prisons. Certains donnent des cours, d’autres proposent des activités sportives et ludiques. Calme, presque timide, le jeune homme a eu connaissance de cette action par une amie en droit déjà engagée. Séduit par « le discours construit » de l’association, il s’est intéressé à ce monde particulier de l’univers carcéral.

De sa première visite en prison, il retient des images : « Nous avons eu accès à tous les bâtiments, j’ai vu les quartiers disciplinaires, c’est hyper impressionnant. Pénétrer dans une prison, c’est entrer dans une ambiance, close par les grands murs d’enceinte, entendre les bruits des parloirs sauvages et des détenus qui hurlent, sentir les odeurs de bouffe, apercevoir quelques enfants dans la nurserie au travers des grilles du quartier des femmes. »

Moment de partage avec les détenus

Malgré les deux heures de trajet en bus pour se rendre à la maison d’arrêt de Gradignan (Gironde), l’attente pour passer tous les contrôles de sécurité, Yann ne raterait pour rien ce rendez-vous hebdomadaire. « Je me sens utile par rapport aux détenus. Je n’ai pas la prétention d’agir dans la réinsertion. Je veux juste leur faire oublier l’endroit où ils sont pendant deux heures. »

De ses camarades de jeux, l’animateur ne connaît ni leur casier, ni leur passé. Eux, généralement plus âgés, se demandent souvent pourquoi un étudiant sans histoire prend la peine de leur accorder du temps. Tous sont volontaires pour participer à l’animation. Il faut montrer sa bonne volonté en prison, ça remontera aux oreilles du juge. Mais pour ces détenus sélectionnés par l’administration pénitentiaire, la visite de Yann est aussi un moment de rencontre et d’échange. Deux heures prises à la surveillance du gardien où on se raconte la semaine passée et les déboires de l’incarcération. Le Genepiste, lui, ne demande rien. Il écoute, attend le moment pour parler et garde toujours une juste distance « nécessaire ». Mais le jeune homme tient à préciser : « En prison, on a des gens normaux, encore plus soucieux des marques de politesse. Il faut sortir de la caricature. Jamais je ne me suis senti en danger. »

Après un an d’action, d’abord avec des mineurs, ensuite avec des majeurs, Yann porte un jugement sévère sur la prison. « C’est un système qui marche sur la tête, complètement antiproductif, affirme-t-il. Il faut être fort pour garder sa dignité. 40% des détenus de Gradignan, une maison d’arrêt comme bien d’autres surpeuplée à plus de 150%, sont sous traitement médical. Le système broie les personnes. Seulement deux mois de détention suffisent pour perdre son boulot et ses relations familiales. »

« La réinsertion est une catastrophe »

Les problèmes de la prison, ce bénévole connaît. Passer de l’autre côté du mur lui permet de réfléchir aux solutions concrètes pour améliorer non seulement la condition des détenus, mais aussi tenter de réhabiliter le sens de la peine. « La prison remplit parfaitement son rôle qui consiste à isoler de la société un condamné, mais la réinsertion est une catastrophe. Il faut agir sur ce point en commençant par respecter le numerus clausus (NDLR, selon le code pénal, l’emprisonnement individuel est un droit et devrait être la règle en prison). Lutter contre la surpopulation carcérale ne passe pas nécessairement par la construction de nouvelles prisons, qui évite de se poser les bonnes questions. » Parfois confronté à la critique de vouloir faire de la prison un hôtel 4 étoiles, Yann oppose à « ces conservateurs » la réalité de la vie en établissement pénitentiaire. Il tente de convaincre, et avance ses propositions. « Il faut préserver des marges d’autonomie au détenu et lui permettre un accès valorisant au travail. Le travail en prison est une mascarade, qui se résume à des activités très peu qualifiées et sous payées. Enfin, le détenu devrait être contraint de réfléchir au sens de la peine en collaboration avec le juge. »

Ce discours, Yann le tient aussi à l’extérieur. Le GENEPI propose des actions de sensibilisation. Lui a choisi d’intervenir en milieu scolaire. Pas de Trivial Poursuit pour la classe de seconde qu’il a rencontrée pendant quatre heures, mais un discours « ni béat, ni moraliste » pour parler de la prison : « D’abord il faut déconstruire les préjugés car pour les adolescents la prison, c’est Michael Scofield dans Prison Break. Seulement ensuite on peut parler de la réalité. Ils sont assez réceptifs. »

Réputé austère, le milieu de la prison attire Yann. Comme Genepiste, il a appris que les situations ne sont pas intangibles, que bien souvent le dynamisme d’un directeur d’établissement permettait de faire bouger les choses. A Sciences-Po Bordeaux depuis trois ans, Yann a enfin trouvé sa voie. Ses rencontres, son expérience, ont forgé son ambition de diriger un jour une prison. Pour cela il faudra réussir le concours de l’Ecole nationale d’administration pénitentiaire. Chaque année, une cinquantaine de fonctionnaires sont formés à l’école d’Agen. Parmi eux seulement quelques-uns l’ont choisi, les autres débarquent à l’école selon les aléas des concours administratifs. Yann, lui, a fait ce choix, persuadé « qu’il y a des choses à faire » et convaincu « du rôle très important du directeur dans les relations avec les détenus ».


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1 réactions à cet article    


  • Piergil 22 septembre 2008 01:06

    Tout ceci est bel et bon, mais vous ne semblez pas connaître le système carcéral, malgré vos efforts méritoires.

    1. Si vous êtes en préventive :

    1.1. Le délai est de deux ans ( délai correctionnel maximal) , en fonction de la décision d’un juge d’instruction, la plupart du temps maintenue

    1.2. Aucun délai pour les crimes.

    C’est la pire des situations, car vous êtes présumé innocent et ne pouvez en aucun cas prévoir le moment ou vous serez remis en liberté ou savoir si l’incarcération sera maintenue.

    2. Si vous avez eté jugé  : Votre sort est préférable par le jeu des remises de peines (non systématique) et des graces présidentielles.


    Autre point de vue , l’administration pénitenciaire est sensible à ne pas mélanger tous les délinquants (ou présumés tels) sans discernement, contrairement à une idée générallement admise.

    Il ne faut pas la clouer au pilori, elle fait ce qu’elle peut avec les moyens du bord.

    C’est un ancien détenu du D5 à Fleury Mérogis qui vous le dit ( et tant pis , si je choque)

    Par contre , j’insiste sur les conditions d’extraction pour comparaîre devant un juge d’instruction, devant lequel vous devez soutenir votre défense ( Paris, lieu dit la souricière, sous le Chatelet)

     - Levée 5 h du matin

     - Transport incohérent (bruits et insultes des autres détenus)


    -  Fouilles corporelles humiliantes, y compris en public


    - Quatre à cinq heures de cellule debout, par manque de place


    - Hygiène déplorable


    - Promiscuité

    Conclusion : La torture physique n’exsite plus, dommage au moins elle était visible


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Emilie


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