Yvan Colonna, bouc émissaire attitré
Il y a dix ans, le moindre article ayant trait à Yvan Colonna était suivi, sur le web, d'une litanie de commentaires plus haineux et partiaux les uns que les autres. De procès en procès, le ton changea insensiblement. Les déclarations de la famille et de la Défense ont peu à peu eu quelque écho au sein de l'opinion publique, y instillant enfin le doute. Des livres, notamment ceux, remarquables, de Gérard Amaté, sont venus les corroborer. Les multiples distributions de tracts ont véhiculé l'information, la vraie. Nombre d'entre nous qui dénonçons une condamnation programmée où la présomption d'innocence et le bénéfice du doute, pourtant piliers du Droit français ont été bafoués, ont sans relâche débattu, multiplié les "plaidoiries" dans leur entourage, sur les sites des media, dans des blogs, en toute occasion ; "plaidoiries" dont on a pu enfin retrouver des traces çà et là au fil des commentaires. Cela n'a certes pas infléchi le cours de la "Justice" et Yvan Colonna n'en a pas pour autant concrètement bénéficié mais peu à peu le discours populaire a commencé à changer de teneur. Et puis, avec le temps, le cas d'Yvan Colonna a semblé ne plus préoccuper grand monde. Cependant, à la faveur des évènements tragiques qui ont mis la Corse sous les feux de l'actualité au cours des derniers mois mettant en lumière l'incapacité des pouvoirs publics à résoudre la moindre affaire criminelle, celle de l'assassinat du préfet Erignac ayant souvent été évoquée par incidence, les commentaires se sont de nouveau multipliés. Certains d'entre eux, indécrottablement légitimistes ont continué à vomir leur vindicte aveugle mais les plus nombreux, j'ai pu le constater, ont affiché des opinions allant du bénéfice du doute à la certitude de l'innocence d'Yvan Colonna, bouc émissaire probable d'obscures manipulations. Au grand dam des tenants de la condamnation à tout prix, le vent avait tourné. Situation très embarrassante pour ceux qui s'obstinaient à infliger à Yvan Colonna un statut de DPS alors que sa conduite est irréprochable pour, au mépris de la loi, lui refuser un rapprochement auprès des siens. D'autant plus embarrassante que l'affaire était depuis peu portée devant la Cour Européenne des Droits de l'Homme. Il y avait donc urgence à remettre de l'huile sur le feu, à noircir le personnage, à en donner l'image d'un homme prêt à tout conforme à celle d'un tueur de préfet. On avait bien déjà essayé lors du dernier procès avec la vraie fausse lettre de menace d'Yvan Colonna à Pierre Alessandri, mais la ficelle était si grosse que la mèche avait fait long feu. Il fallait trouver plus médiatique, plus sensationnel et quoi de plus frappant dans l'imagerie populaire qu'une évasion. Une évasion qui octroierait d'office à Yvan Colonna une place auprès des Mesrine et autres Ennemis Publics N°1. Et attention, pas n'importe laquelle, la plus spectaculaire, violente, "jusqu'au-boutiste" : avec explosifs et hélicoptère ! Bien qu'osant tout, ils nous épargnèrent le porte-avion…de justesse. Dans tous les media, ce fut le buzz. Certains manièrent le conditionnel mais d'autres, récidivant dans le mépris de la présomption d'innocence n'hésitèrent pas à titrer : "Yvan Colonna transféré à Réau : il préparait une évasion." La Chancellerie, quant à elle, dit avoir procédé à un "transfèrement de précaution" motivé par des soupçons de projet de tentative d'évasion suggérés par un recoupement d'informations. En clair, encore une fois, comme au cours des enquêtes, de l'instruction, des procès : rien de probant, à peine une hypothèse, autant dire, un invraisemblable scénario de plus monté de pièces hétéroclites. Aucun détail, pas plus de communication officielle émanant du Ministère de la Justice ou de l'Intérieur. La directrice de la centrale d'Arles se refusa à communiquer le motif de cette décision et réfuta la tentative d'évasion. Quant au personnel de l'établissement pénitentiaire, il dit n'avoir rien remarqué d'anormal dans le comportement du détenu. Et puis, plus rien. Black-out. L'annonce explosive n'était qu'un pétard mouillé. De la poudre aux yeux de l'opinion publique destinée de surcroit à alourdir à charge les futurs débats de la Cour Européenne et avant tout, dans l'immédiat, un prétexte à justifier ce énième coup tordu : un détenu qui tente de s'évader justifie par là-même son statut de DPS qui lui interdit tout espoir de rapprochement. Et puis, il y a le contexte : les Corses seraient ataviquement violents et complices tacites des mauvais coups commis dans l'île. De là à en tirer un prétexte au refus de rapprochement des prisonniers corses à Borgu, il n'y a qu'un pas et Yvan, qualifié d'office d'assassin de préfet, évadé potentiel bénéficiant de soutiens dans l'île en serait l'illustration probante toute trouvée. Les ministres de l'Intérieur et de la Justice se succèdent, les acteurs changent mais les rôles restent les mêmes fidèles à cette pensée de Montaigne tirée des Essais, vieille de plus de quatre siècles mais toujours d'actualité : "C'est un usage de notre Justice d'en condamner quelques-uns pour l'avertissement des autres. On ne corrige pas celui qu'on pend, on corrige les autres par lui." Yvan Colonna, bouc émissaire attitré.
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