Une réflexion de Friedrich datant de 1882 ?
Travail et ennui (Gai Savoir & 42)
« Se trouver
un travail pour avoir un salaire : - voilà ce qui rend aujourd’hui presque
tous les hommes égaux dans les pays civilisés ; pour eux tous le travail
est un moyen et non la fin ; c’est pourquoi ils mettent peu de finesse
au choix du travail, pourvu qu’il procure un gain abondant.
Or, il y a des hommes rares qui préfèrent périr plutôt que de travailler
sans plaisir : ils sont délicats et difficiles à satisfaire, ils ne
se contentent pas d’un gros gain lorsque le travail n’est pas lui-même
le gain de tous les gains. De cette espèce d’hommes rares font partie
les artistes et les contemplatifs, mais aussi ces oisifs qui passent
leur vie à la chasse ou bien aux intrigues d’amour et aux aventures.
Tous cherchent le travail et la peine lorsqu’ils sont mêlés de plaisir,
et le travail le plus difficile et le plus dur, s’il le faut. Sinon,
ils sont décidés à paresser, quand bien même cette paresse signifierait
misère, déshonneur, péril pour la santé et pour la vie. Ils ne craignent
pas tant l’ennui que le travail sans plaisir : il leur faut même beaucoup
d’ennui pour que leur travaille réussisse. Pour le penseur et pour l’esprit
inventif, l’ennui est ce calme plat de l’âme qui précède la course heureuse
et les vents joyeux ; il leur faut le supporter, en attendre les effets
à part eux : - voilà précisément ce que les natures inférieures
n’arrivent absolument pas à obtenir d’elles-mêmes ! Chasser l’ennui
à tout prix est aussi vulgaire que travailler sans plaisir. »