2010 : Un Krach en formation professionnelle ?
Depuis quelques années le mot Krach revient en force dans tous les médias : Krach boursier évidemment, krach économique, immobilier, alimentaire désormais. Le Krach, cet effondrement brutal de valeurs, fait flores dans toutes les langues et nous pensons que ce terme doit maintenant aussi être considéré dans le domaine des apprentissages et des connaissances.
Pourquoi la France serait-elle menacée d’un tel « krach éducatif » en 2010 ?
Revenons un peu en arrière.
L’éducation et la formation sont dans notre pays divisées en trois branches :
- L’éducation initiale avec l’école obligatoire de 6 à 16 ans avec cette institution plus que centenaire qui s’appelle Education nationale
- La formation professionnelle qui comprend principalement les lycées professionnels (publics) et l’apprentissage (privé)
- La formation continue des adultes (appelée parfois formation professionnelle) qui doit prendre en charge les apprentissages des travailleurs tout au long de leur vie active.
Concentrons nous sur la formation professionnelle continue des adultes.
En 2004 une « grande » Loi fut votée : la Loi pour la formation tout au long de la vie. Cette Loi fut posée d’emblée comme une refondation pour une formation professionnelle plus que trentenaire (1971 sous Jacques Chaban Delmas) et devenue au fil du temps inadaptée aux besoins des entreprises comme des individus.
Cette Loi, qui recueillit un large consensus, faisait suite à un accord Interprofessionnel signé par tous les partenaires sociaux (ANI de septembre 2003), cette Loi donc fut considérée comme l’an 1 de notre formation version XXI ème siècle. Elle propulsait l’individu au cœur du projet professionnel et instaurait une coresponsabilité entre l’employeur et son salarié quant au développement des compétences et au maintien de l’employabilité. Ce paradigme en formation est tout entier incarné par un nouveau dispositif, inédit et supposé révolutionnaire le Droit Individuel à la Formation (DIF).
Le DIF devait donc dès 2005 (il fallait bien attendre que chaque branche professionnelle s’en empare et l’adapte à son contexte) reconstruire une formation professionnelle que tout le monde s’accordait à trouver inaccessible, coûteuse et inéquitable (1 000 € dépensés en moyenne par personne et par an mais 60 % des français qui ne vivaient jamais la moindre action de formation !)
En nivelant ainsi le droit à la formation pour tous et en créant ce doit universel et ouvert à tous le législateur pensa logiquement que la formation pourrait dés lors redevenir universelle, équitable et continue (tout au long de la vie).
En cette fin janvier 2009 nous pouvons affirmer qu’il n’en a rien été, que le monde du travail a refusé de jouer le jeu de la professionnalisation et du développement des compétences.
Pire, il existe désormais un risque flagrant de vivre un vrai clash social et éducatif en 2010 avec un dispositif devenu infernal alors que la crise économique n’a jamais rendu autant nécessaire la formation pour tous.
Comment en est-on arrivé là et pourquoi 2010 ?
Deux raisons à cela :
- Notre pays s’est engagé en l’an 2000 au sommet de Lisbonne pour une entrée dans la société de la connaissance et de l’information à l’horizon (qui semblait lointain) 2010. Dans un pays où 40 % des salariés ont un faible ou un très faible niveau de qualification (et alors que 15 % d’entre eux sont illettrés) cette entrée dans une société cognitive est un vrai défi que nous devions relever
- La Loi de 2004 et l’ANI (de 2003) avaient donc bâti le Droit à la formation sur cette échéance de 2010. En effet les salariés qui capitalisent leur droit à la formation à raison de 20 h tous les ans, verront leur compteur DIF bloqués en 2010 sur le taquet de 120 h -soit 20 h par an durant 6 années-.
Sachant que chaque année depuis 2005 à peine 5 % des salariés ont eu recours à leur DIF, on peut estimer que les compteurs de 95 % des salariés en CDI seront pleins en 2010. Ces 120 h pour 8 à 10 millions de salariés en CDI représentent environ 1 milliard d’heures de DIF accumulées depuis 2004. Ces heures cumulées constituent en théorie un vrai capital formation et beaucoup croient qu’il leur suffira l’année prochaine (la crise aidant) de demander à bénéficier de leurs heures de DIF pour se former durant 120 h et ainsi gagner en compétences, en employabilité, pouvoir rebondir vers d’autres métiers ou entreprendre une reconversion professionnelle.
Il n’en sera malheureusement rien, ce capital formation n’est absolument pas financé, anticipé, préparé et il n’a pu être provisionné par les entreprises (la comptabilité nationale a refusé en 2004 un provisionnement estimant que la formation n’était pas un risque) . Aujourd’hui personne n’est capable de dire qui paiera ces 25 ou 30 milliards d’euros de Droit à la Formation (la Cour des comptes arrive aux mêmes chiffres que nous)
- l’Etat sera bien en peine de trouver les 20 ou 30 milliards d’euros nécessaires alors qu’il aura déjà beaucoup à faire avec ses propres personnels qui accumulent eux aussi leurs heures DIF sans pouvoir les réaliser
- Les Organismes collecteurs (OPCA) ne pourront bien évidemment trouver de telles sommes, eux qui voient transiter 5 milliards d’euros dans leurs caisses tous les ans (et qui en prélèvent tout de même 10 % au passage).
- Les entreprises : L’immense majorité d’entre elles n’auront pas les ressources nécessaires pour organiser des départs massifs en formation, pour financer des DIF individuels de 120 heures (avec un coût unitaire de 2 000 à 5 000 euros)
- Les salariés : En France les salariés ne financent pas leur formation professionnelle et on a du mal à imaginer que les moins qualifiés pourront payer de leur propre deniers des remises à niveau, le maintien de leur employabilité et le développement de leurs compétences.
- Les organismes de formation : En l’absence de marché et de demandes ils n’ont pas construit les offres et les compétences nécessaires pour déployer le DIF dans les centaines de milliers d’entreprises qui vont devoir mettre en œuvre le droit à la formation.
Pour conclure.
La crise économique actuelle implique des renoncements à un modèle de société matérialiste qui s’était développé après guerre autour de trois piliers : l’automobile – le centre commercial et le crédit à la consommation. Nous sortons de la société de consommation et nos concitoyens doivent comprendre que leur pouvoir d’achat ne précédera plus jamais leur pouvoir d’apprendre. Que c’est par leur implication, leur mobilisation dans un projet personnel social et professionnel qu’ils pourront déployer leurs compétences et leur intelligence dans cette société des savoirs et de l’information qui est à notre porte
Cet équipement intellectuel et cognitif a été décrit et listé en 2006 par la commission européenne (les compétences clés en langues, informatique, communication…). Notre avenir social et politique commun ne souffrira pas qu’une majorité de travailleurs ne puissent déployer leurs compétences dans la nouvelle société des savoirs et de l’information.
Didier Cozin
Auteur de « Histoire de DIF » et du « reflex DIF » publiés tous deux aux éditions Arnaud franel.
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