« Bidonnage » : Le retrait de la double nationalité
Dernier avatar dans la « légèreté » avec laquelle les médias prétendent faire des « sondages » et traitent l'information alors qu’ils ne font que mettre en ligne des « questions internet » qu’ils savent dès le départ bidonnées.
Dimanche matin, Marine Le Pen était interrogée lors du « Grand Rendez-vous » (Europe 1, i-Télé, Le Monde) sur les incidents dans la nuit de jeudi à vendredi dans plusieurs villes de France ayant suivi la qualification de l'équipe d'Algérie en 8ème de finale de la coupe du monde de football.
Marine Le Pen avait, faisant preuve d’opportunisme, demandé à ce que la France « mette fin à la double nationalité » des Français d’origine Algérienne.
Quelques heures plus tard, faisant preuve de réactivité, le Site Le Point intégrait cette question Internet sur son site :
« Faut-il retirer aux Français d'origine algérienne leur double nationalité ? »
Mais Le Point présentait cette question Internet comme un « sondage ».
Il faut rappeler que :
1. On ne peut s’appeler « sondage » qu’une technique d’interrogation ou l’échantillon interrogé est strictement défini et construit en respectant des proportions censées rendre l’échantillon « représentatif » de la population qu’il est censé réprésenter.
Ces proportions ou « quotas » se doivent de reproduire des proportions d’âge, de sexe, de CSP, de zones géographiques ainsi que parfois des proportions spécifiques à la question posée. comme par exemple l’orientation politiques, le vôte aux dernières élections ou l’origine ethnique.
Par ailleurs, bien évidemment, dans un « sondage », une personne ne peut répondre qu’une fois et ce n’est pas la personne qui décide de répondre au sondage, c’est l’institut qui la contacte en la tirant au sort et en respectant ces critères de construction..
2. Or Le Point (comme bon nombre de médias) par recherche de « coups » en matière d’audience appelle volontairement « sondage » ce qui n’est qu’une « questions internet » sans aucune construction d’échantillon et dont les réponses – on le sait parfaitement bien et Le Point ne l’ignorait pas - ne sont représentatives de rien.
Très rapidement, les résultats à cette question Internet prennent des allures très extrémistes puisque lundi matin, sur plus de 9000 répondants, 81% d’entre eux se prononcent pour le retrait de la double nationalité aux ressortissants d’origine Algérienne.
Interpellé sur les réseaux sociaux, et notamment Twitter, Le Point retire rapidement la question de son site.
Lundi matin, dans un échange de tweet, le directeur du Point Etienne Gernelle a ce simple commentaire : « le "sondage" en question était lamentable et consternant. Il a donc évidemment été retiré. ».
C'est un peu court en matière de déontologie journalistique et pour justifier une pratique douteuse.
L'astroturfing par les militants du FN.
Que s'est-il passé ? Le site du Point a été victime de ce qu’on appelle de l’astroturfing par des militants ou des sympathisants du Front National.
L’Astroturfing est la création par différentes techniques d’un trafic artificiel. Ici en loccurrence le « bourrage des réponses à la question Internet » soit par une seule et même personne soit par un groupe de militants s’étant donné le mot.
Quelques personnes ont donc voté plusieurs milliers de fois en utilisant des logiciels d’IP flottantes ou (de façon plus artisanale mais tout aussi efficace) des militants se sont donné le mot pour voter chacun plusieurs dizaines de fois et orienter le résultat de la question Internet.
On peut penser que dès l’apparition de la question Internet sur le site du Point, l’astroturfing du site s’est mis en place.
Sachant que différentes affaires ont fait grand bruit sur les manipulations de ces questions Internet, le directeur du Point ne pouvait ignorer ce qui allait se produire.
La révélation du bourrage des questions Internet en novembre 2013
« L’affaire a éclaté le mercredi 27 novembre 2013 au cours de l’émission « soir 3 ».
L’émission avait pris l’habitude de poser des « questions Internet » par l’intermédiaire de son site Francetvinfos. La question du jour était : « Etre licencié pour le port du voile vous choque-t-il ? », question liée à la décision de justice dans l’affaire de la crèche Baby Loup où une salariée de la crèche avait été licenciée pour port du voile islamique.
Au moment de donner les résultats obtenus à cette question, l’animateur, alerté par un message sur son oreillette annonce que l’importance anormale des votes sur un temps court laisse supposer un « piratage » et qu’en conséquence le résultat ne serait pas annoncé.
Quelques jours plus tard, Le journal Le Monde publiait le témoignage d’un internaute revendiquant avoir plusieurs fois « falsifié » des sondages en ligne. [1]
L’article expliquait que l’Internaute revendiquant ce piratage avait réussi en moins d’une demi-heure à voter 64 000 fois dans le cadre de la question du jour ce qui avait déclenché le refus de présentation des résultats.
L’internaute en question, s’est expliqué sur un autre site [2], décrivant sa technique et précisant que sa méthode était accessible sans connaissance informatique spécifique. Il n’avait en rien effectué un piratage, il avait juste utilisé les possibilités actuelles des navigateurs.
Le blocage de la possibilité de voter plusieurs fois consistant la plupart du temps, par les sites pratiquant les « questions Internet », au rajout d’un simple « cookie » sur l’ordinateur ayant déjà voté, il suffit en général de supprimer ce cookie pour pouvoir voter de nouveau. L’internaute en question avait simplement automatisé la procédure, pour reproduire l’opération plusieurs dizaines de milliers de fois en quelques minutes, utilisant une extension permettant d’adopter une IP flottante.
Quand il a commencé ses votes massifs, le « oui » sur le site Francetvinfos était à 69 % pour 64 891 votes. Une demi-heure plus tard, et près de 64 000 votes automatiques, plus tard, le « oui » était à 83 % sur 128 082 votes.
Ce même internaute, faisait remarquer que les votes massifs étaient une pratique habituelle chez les militants de droite comme de gauche et chez de nombreux internautes qui se mobilisaient sur les réseaux sociaux pour fausser ces consultations régulières. Malgré cela, ces questions Internet perdurent et sont présentées sur les sites d’information et les médias comme des « sondages ».
Il s’étonnait que des chiffres issus de systèmes de votes non contrôlés, non vérifiés, non sécurisés, et très faciles à « bidonner » soient présentés à la télévision comme sérieux et fiables. »[3]
Le Point ne pouvait donc ignorer ce qui allait se passer : l'affaire du site de France 3 qui avait fait la une de tous les journaux était trop récente.
Ce bourrage de la question internet par les sympathisans du FN a débouché sur ces résultats que le directeur du Point a fait mine de découvrir alors qu’ils étaient parfaitement prévisibles : 81% des personnes interrogées sur un peu plus de 9000 votants déclaraient qu’il fallait retirer aux Français d’origine Algérienne leur double nationalité.
L'utilisation intentionnelle et répétée du mot "sondage" par un support d'information censé être "sérieux" pour faire croire aux internautes à la fiabilité des chiffres produits est en passe de devenir un classique de la manipulation de la part de sites Internet d'information.
Un nouvel exemple du cynisme et du manque de déontologie en matière de journalisme.
_____________
[1] http://www.lemonde.fr/actualite-medias/article/2013/11/29/ce-n-est-pas-le-premier-sondage-en-ligne-que-je-fausse_3522512_3236.html. Le Monde.fr | 29.11.2013 Par Alexandre Piquard.
[2] Article sur : http://www.al-kanz.org/2013/11/28/f...
[3] Gérard DAHAN, « La manipulation par les sondages – Techniques, impacts et instrumentalisations », L’Harmattan, mai 2014.
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