Entre résignation et domestication
Il semble que cette alternative soit la seule valide actuellement, tant la pression qui s’exerce sur les citoyens pour qu’ils acceptent les nouvelles règles de la démocratie et de l’économie à la sauce Macron se fait présente.
La résignation, d’abord
Elle s’exerce par le fameux TINA (There Is No Alternative – il n’y a pas d’alternative) conceptualisé par Margareth Thatcher, et qui s’est traduit par la disparition de toute forme de contestation sociale en Grande Bretagne. Bien sûr, l’opposition de catégories sociales entre elles comme on le fait actuellement en France (les actifs contre les retraités par exemple) a été d’un grand secours, la fameuse « convergence des luttes » n’ayant pas été au rendez-vous et n’étant pas d’actualité chez nous.
Bien évidemment, le dispositif devant mener à la résignation, n’est pas exempt de brutalités. Les mineurs anglais en ont gardé quelques souvenirs cuisants. Pour l’instant, en France, la brutalité est seulement verbale et est le fait du Président élu qui ne se ménage pas en matière de phrases provocantes et stIgmatisantes. Fini la bonhommie de l’ancien Président et des « casses-toi pauvre con » de son prédécesseur. Aujourd’hui, c’est droit au but entre les fainéants, ceux qui ne sont rien, ceux qui foutent le bordel et ceux qui devraient travailler pour se payer un costume, mais la technique d’opposition entre catégorie est bien sous-jacente. Elle procède de l’idée du clivage entre ceux qui se reconnaissent dans ces propos, qui en sont légitimement outrés, et les autres qui considèrent qu’ils ne s’adressent pas à eux parce qu’ils s’estiment, pour quelques temps encore, comme des privilégiés.
Ces coups de boutoir qui représentent une grande nouveauté dans le paysage politique français provoquent tout de même quelques remous, et les conseillers du Prince s’évertuent à minimiser le propos en disant par exemple que ceux qui « foutent le bordel » sont deux syndicalistes, renforçant la conviction de la masse silencieuse du troupeau des suiveurs-marcheurs.
Pour le reste, on ne voit pas de trop plein d’indignation dans les médias, juste du factuel qui consiste à rapporter le dérapage et ensuite relayer le message de la cellule communication de l’Elysée, comme si tous les relais d’opinions, passant outre le fait que le Président et sa majorité avaient été mal élus, étaient convaincus du bien-fondé du programme politique mis en œuvre sous la houlette et la surveillance stricte de la finance et de l’économie.
La domestication, ensuite
Une fois résigné, il ne reste plus au citoyen qu’à aborder l’étape ultime, celle de la domestication, c’est-à-dire accepter sa transformation durable au profit du système et en vue de répondre à ses besoins.
Le vieil adage « On ne mort pas la main de celui qui vous nourrit » prend alors tout son sens et la société entière, sauf ceux qui dirigent et manipulent, s’adapte aux exigences des maîtres et entretient une relation de soumission lui permettant d’avoir le minimum de confort et l’impression d’une reconnaissance très relative.
Ce mode relationnel dans lequel le citoyen ne l’est plus procède du fait qu’il est interchangeable dans l’instant et que le moindre faux pas ou coup de patte mal interprété peut le conduire à la SPA sans indemnités et mettre en difficultés sa meute.
La domestication est propice aux glissements de statuts puisque, de celui de demandeurs d’emploi, le citoyen pourra se retrouver dans celui de travailleur pauvre, payé à l’heure ou à la tâche, à pied ou à vélo pour livrer la bouffe formatée à ceux qui « n’ont plus le temps de déjeuner » et qui devront se contenter d’un bout de barbaque élevé aux hormones venu tout droit des USA.
La domestication, c’est aussi l’oubli, l’oubli de ce que qui s’est passé auparavant, favorisé par l’ingurgitation de programmes télévisés indigents et l’ultra présence de la publicité.
Avant, il y avait le plein emploi, la sécurité sociale, la retraite par répartition, moins de riches avides de se remplir un peu plus les poches et un système bancaire qui ne spéculait pas sur l’avenir d’un pays. Aujourd’hui lorsqu’on se hasarde à rappeler cette époque on se fait traiter au mieux de vieux con et au pire de celui qui a précipité le pays dans le marasme et la dette : le parfait bouc émissaire si utile pour ceux qui nous dirigent, et toujours la technique du clivage.
On attend avec hâte que cette génération disparaisse afin d’effacer des mémoires cette funeste époque, stade ultime de la domestication.
Le consentement, enfin
La domestication ne signifie cependant pas l’abandon de toute idée de révolte, et c’est pourquoi, il faut absolument convaincre le citoyen de la place qui est la sienne dans la société, c’est-à-dire un pion au service de l’enrichissement des quelques-uns.
Il faut donc modifier les éléments de langage qui s’appliquent aux 10 % des français les plus riches qui possèdent la moitié du patrimoine, ne plus parler des 3520 ménages qui se partagent 400 milliards d’euros, sans compter les 300 (15 % de notre PIB) planqués par les riches de tous poils dans les paradis fiscaux qui font de notre pays l’un des plus dissimulateurs qui soient.
M. Gattaz (qui achète actuellement un domaine viticole pour la modique somme de 30 Millions d’euros) nous avait déjà habitués à parler des « créateurs de richesses » qui ont tout de même une furieuse tendance à oublier les créations d’emplois quand ils engrangent les 20 milliards annuels du CICE.
Aujourd’hui, il faut donc favoriser « les investisseurs » en ne taxant plus leurs lingots, leurs yachts et leurs véhicules de luxe. C’est sûr, avec tout cet argent économisé par les riches, ceux-ci vont investir, créer des emplois, redresser le pays…
Qui peut encore croire à une telle fable ? Eh bien de plus en plus de personnes touchés par le syndrome du larbin, ceux qui étaient domestiqués avant qu’on le leur demande et qui pensent bénéficier de l’aumône des riches pour passer un week-end au parc d’attraction ou acheter à 150 euros le maillot de Neymar.
Et puis, il y a les idiots utiles ceux qui reprennent comme des mantras la fable du retraité plus aisé que le jeune en oubliant que cela est dû au nivellement des salaires par le bas ces trente dernières années, à cause du chômage (variable de contrainte très forte) et de l’exemption des cotisations sur les faibles salaires.
Il y a aussi ce brave retraité qui témoigne sur BFMTV, qui se dit privilégié avec ses 3000 euros de pension, qui se bas la coulpe en disant que lui et sa génération ont bien profité du système, qu’il a endetté le pays et qui se déclare prêt à partager (pour gagner son paradis ?). Les riches et les économistes bien en cours en rient encore et se tapent sur les cuisses. Un témoignage pareil, c’est du pain béni pour les riches.
Il y a ces éditorialistes qui reprochent à cette génération de vouloir le beurre et l’agent du beurre, ceux qui nous parlent des 56% de dépenses publiques en oubliant de dire que la diminution envisagée est avant tout celle des dépenses de santé ou de retraite (mais on mourra plus vite et c’est bon pour l’économie), ceux qui culpabilisent en nous parlant du modèle Allemand qui a retrouvé le plein emploi, sans nous parler des millions de travailleurs pauvres sans droits que la politique Schröder à engendrée ni nous dire que les femmes dans ce pays sont fortement incitées à rester à la maison pour élever les enfants.
Voilà, la machine à obtenir du consentement est en marche et écrase tout sur son passage. Mauvaise foi, oubli, statistiques tronquées, culpabilisation, injures, tout est bon pour que le bon peuple comprenne enfin que tout ce qui est fait actuellement c’est pour son bien et non pas pour que les plus riches continuent de s’enrichir, jusqu’à plus soif, jusqu’à l’indécence.
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