L’affaire Snowden dévoile-t-elle l’acceptation d’un totalitarisme sournois ?
L’afflux permanent de révélations concernant Edward Snowden dépasse de très loin celles fournies par Wikileaks. La première différence est que la diffusion des informations est progressive, différence du scandaleux Wikileaks. Ceci entretient un perpétuel traumatisme mais, paradoxalement, ces révélations semblent n’étonner que les hommes politiques. Pourtant, l’ampleur internationale de l’événement semble inégalée depuis le 11 septembre 2001. Il est bon de se demander quels traumatismes individuels ou sociétaux ces révélations ont produit. Existe-il des recours politiques et juridiques ?
Commençons par un bref rappel historique.
Les écoutes de grande ampleur datent des années 1970, mais ici avec la NSA elles sont beaucoup plus intrusives et si elle n’est pas la seule, c’est la NSA (National Security Agency) qui est la première impliquée.
En France, Laurent Chemla est le premier informaticien français à avoir été inculpé puis relaxé pour piratage informatique « depuis un Minitel ! », en 1986. Nous avons beaucoup progressé depuis et son piratage en fait aujourd’hui un enfant de chœur.
Déjà en 2002 il écrit le livre Confessions d'un voleur : Internet, la liberté confisquée, où il décrit sa vision d'Internet : « Je me souviens qu’à cette époque, quand je disais “Internet”, mes amis me regardaient comme si je débarquais d’une autre planète. J’avais beau leur dire que ce bidule allait révolutionner le savoir humain, ils me regardaient d’un air apitoyé et retournaient à leur travail. » Ce livre est gratuitement consultable sur Internet.
(Source Wikipédia).
1) De quelle façon cet espionnage systématique est-il réalisé et qui est concerné ?
La NSA procède en accédant aux données des grandes plates-formes, accès aux mails, surveillance des citoyens du monde entier, surveillance des dirigeants, des ambassades, des institutions internationales, avec l’aide d’autres services de renseignements. Elle installe des back-doors (portes dérobées des chevaux de Troie), dans les logiciels qui siphonnent les informations. Et l’utilise la DPI (deep packet inspection), technologie qui pénètre dans les paquets d’informations circulant sur les réseaux, ainsi que des données qui circulent dans ces réseaux, les routeurs, les câbles etc. Elle procède parfois aussi par requêtes légales auprès des opérateurs et des plates-formes.
Ces révélations ont d’abord porté à notre connaissance la surveillance du grand public, avec comme alibi le Patriot Act censé nous protéger contre le terrorisme international (sic). Mais par la suite c’est la surveillance des entreprises, des administrations et des hommes politiques qui ont été révélées et là, il semble que nous ayons accédé à un autre degré de prise de conscience.
2) Quelle est la réaction du public, des entreprises et en quoi et-ce différent ?
En général notre réaction de personne privée est de se dire « Je m’en moque puisque je n’ai rien à cacher ». Et c’est là le drame car nous acceptons, de facto, de sortir de la démocratie pour entrer dans une ère sécuritaire aux motivations douteuses. Le grand public a-t-il la volonté d’avoir une vie privée ?
Au niveau européen, de l’intérieur, avant ces dernières révélations concernant l’écoute des entreprises et des milieux financiers, tant que ce n’était que des personnes privées cela n’avait pas la même importance. La prise de conscience de l’écoute politique n’a pourtant pas amené à des prises de décision en rapport avec la gravité des faits. Rappelons-nous la réaction stupéfaite du premier ministre Jean-Marc Ayrault, disant ne pas comprendre comment un allié, un ami (re-sic) comme les États-Unis pouvaient nous surveiller. L’affirmation est tellement ridicule que l’on ne peut que se demander « Y a-t-il complicité ? »
Les personnalités, politiques à commencer par Barack Obama et Angela Merkel n’ont pas changé leurs habitudes et ont gardé leurs téléphones portables non sécurisés mais il est vrai, moins ludique et moins ergonomiques. La DGA (Direction générale de l'armement) a fourni aux hautes autorités de l'Etat et aux forces armées un nouveau téléphone portable capable de chiffrer les conversations mais il n’avait évidemment pas de liste de contacts !
In fine, n’allons-nous pas avoir deux usages du numérique, l’un pour utiliser des grandes plates-formes et l’autre, privé ? Mais cela ne correspondrait-il pas déjà à notre nouvelle manière de vivre avec le numérique ?
3) De quels moyens de défense disposons-nous ?
Comment réagir, n’est-il pas trop tard déjà, on ne peut plus rien faire maintenant ? Qu’est-ce que la vie privée maintenant ? Mais au-delà peut-on en reculer l’échéance ? Un futur où le citoyen n’aurait plus le contrôle de sa vie intime correspond à la définition de la dictature.
Que peut la CNIL française contre la NSA ? Le combat est devenu incertain car la confiance envers Internet est remise en cause. Les industriels de l’Internet se font de plus en plus intrusifs et les données personnelles du point de vue de l’économie sont constamment piratées. Ne faudrait-il pas protéger sa vie privée à la façon de droits d’auteur ? Le levier juridique est-il suffisant à cet égard ?
Techniquement le service sécurisé Calliope est une approche et il en a existé aux États-Unis comme chez nous et il en existera d’autres. Mais cela suffira-t-il à éviter l’espionnage de masse ? Une messagerie sécurisée qui ne concernerait que quelques milliers d’utilisateurs ne fait pas peur à la NSA.
Aujourd’hui on utilise le protocole PIP qui a plus de 40 ans. C’est une tentative pour changer le réseau. On se dirige vers des centaines de milliards d’objets connectés. L’avenir ferait disparaître les serveurs uniques et qui seraient répartis entre les utilisateurs. Mais les Américains détiennent encore les clés du pouvoir d’architecture. Les principaux cryptologues sont formés par la N SA. Il faudrait imaginer qu’ils acceptent d’adopter une démarche démocratique !
http://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_d%27IPv6
Traumatisme européen mais on a vu le conseil européen reporter à 2015 la législation sur les données personnelles ! Il y a des antagonismes avec nos voisins britanniques sur la vie privée le contrôle économique dans la perspective est totalement différente. De plus la France l’Espagne et d’autres ont également participé à cet espionnage avec la NSA. Fleur Pellerin ne s’est pas précipitée pour réagir, sinon pour rappeler qu’Alcatel-Lucent était une entreprise stratégique et c’est pratiquement la seule à pouvoir tirer des câbles transatlantiques.
(Fleur Pellerin est la Ministre déléguée auprès du ministre du Redressement productif, chargée des Petites et Moyennes Entreprises, de l'Innovation et de l'Economie numérique).
La contrainte perçue de façon économique ou juridique est pourtant d’abord technologique outre-Atlantique. L’Allemagne et le Brésil souhaitent lui donner une dimension internationale.
Bernard Benhamou est un expert français d’Internet et spécialiste de la société de l’information. Il a retenu la dignité de Edward Snowden. Il est actuellement délégué aux usages de l'internet au ministère de la Recherche et de l'Enseignement supérieur, maître de conférences à l’Institut d'études politiques de Paris et chargé d'enseignement à l'Université de Paris I Panthéon-Sorbonne.
Défenseur de la neutralité des réseaux, il a été, en 2000, candidat au conseil d'administration de l'ICANN, organisme chargé de la régulation des noms de domaine.
http://www.netgouvernance.org/NG2/Accueil_Netgouvernance.org.html
Il nous dit : Nous laissons notre trace dans nos Smartphones etc. En cinq ans les informations ont beaucoup évolué. Sommes-nous tant touchés par cette affaire ? Jusqu’où ira-t-elle ? Le fait que les géants de l’industrie soient menacés rend l’intrusion plus importante. Qui sont les premières victimes ? Les services de renseignements sont les premiers à en souffrir.
La NSA à des budgets 10 fois supérieurs à ceux de la CIA. Le rapport des Américains avec le reste du monde se trouve délité c’est donc une dégradation de l’image américaine. Il semble que les services français ont eux-mêmes approchés des Hackers. Les grandes entreprises bien qu’elles aient largement collaboré, nous-mêmes mais semble-t-il très peu. Si les choses deviennent plus compliquées pour la protection des données ils garderont leur moteur de recherche. L’image de Google est atteinte de plein fouet, en particulier celle de ses ingénieurs.
Le chantage au départ était celui du Patriot Act. Les niveaux de sécurité de l’Internet mondial sont donc suffisamment bas pour que la NSA puisse écouter tout le monde, y compris les transactions économiques et financières en diminuant le niveau de cryptage. Mais ce qui veut dire que tout le monde peut entrer dans ces données facilement. Traumatisme aussi pour ceux qui fabriquent l’ingénierie d’Internet. Internet, lieu de la communication et de la démocratie.
La sécurité qui jusqu’ici n’attirait pas grand monde fait aujourd’hui le plein. Les concepteurs Internet sont atteints puisque leur projet, qui est de plaire à un public, se trouve saboté, à l’intérieur même de Google. La communauté Internet devient donc hostile aux USA.
Pour conclure, revoyons nos classiques que d’aucun jugeront certainement trop anti-américains.
http://www.nybooks.com/articles/archives/2003/may/01/anti-americans-abroad/
Rappelons-nous de cette formule que François Mitterrand prononça juste avant de mourir.
« La France ne le sait pas, mais nous sommes en guerre avec l'Amérique. Oui, une guerre permanente, une guerre vitale, une guerre économique, une guerre sans mort apparemment. Oui, ils sont très durs les Américains, ils sont voraces, ils veulent un pouvoir sans partage sur le monde. C'est une guerre inconnue, une guerre permanente, sans mort apparemment et pourtant une guerre à mort ».
(Source : Le dernier Mitterrand de Georges-Marc Benamou – Date de publication : 27/1/1997 – Editeur : Plon – Omnibus).
L’autre extraite d’un article du Monde Diplomatique. « Quand les Américains voulaient gouverner la France. » Ajoutons… et maintenant, le monde !
http://www.monde-diplomatique.fr/2003/05/LACROIX_RIZ/10168
Et pour terminer Hubert Beuve-Méry en 1944, créateur du journal Le Monde :
« Les Américains constituent un véritable danger pour la France. C'est un danger bien diffèrent de celui dont nous menace l'Allemagne ou dont pourraient éventuellement nous menacer les Russes. Il est d'ordre économique et d'ordre moral. Les Américains peuvent nous empêcher de faire une révolution nécessaire, et leur matérialisme n'a même pas la grandeur tragique du matérialisme des totalitaires. S'ils conservent un véritable culte pour l'idée de liberté, ils n'éprouvent pas un instant le besoin de se libérer des servitudes qu'entraîne leur capitalisme. Il semble que l'abus du bien-être ait diminué chez eux la puissance vitale de façon inquiétante. »
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