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L’ouverture paradoxale

A l’approche des jeux olympiques de Pékin les contradictions de notre monde occidental entrent en collision avec les choix du gouvernement chinois. A qui voudrait-on faire croire que les membres du comité olympique, les investisseurs étrangers, les grands groupes internationaux, les gouvernants du monde ’démocratique’ découvrent ces fausses notes ?

Pour ceux qui voyagent en Chine ou qui en ont une certaine connaissance rien de nouveau à ces non-événements chinois que constituent la censure sur internet et dans les médias, la pollution, la surexploitation des ressources naturelles, la répression policière, la corruption. La Chine s’ouvre au reste du monde, certes, mais selon ses propres règles. Le pays joue de son influence pour surfer sur la crête de la vague libérale. Le bilan général ne peut être alors décrit que métaphoriquement comme un verre à moitié plein ou à moitié vide. Tout dépend du point de vue. Les plateaux de la balance dans tous les cas sont en équilibre instable. De quel côté vont -ils pencher ? Quelle direction le mouvement de mondialisation actuel va-t-il prendre ? La Chine est un acteur de taille mais nous avons aussi des atouts que nous bradons. C’est le paradoxe de cette mondialisation.

Face à la Chine, des pays qui répondent à des critères d’expansion économique volontaristes et qui font de la spéculation financière une arme. Les entreprises sont hypnotisées par des résultats perçus comme étant faciles à atteindre sur un marché chinois qui a l’avantage d’être immense et relativement vierge. Les délocalisations permettent de réaliser des économies immédiates sans vision à long terme. Des gains rapides rendent aveugles sur d’autres terrains comme le processus démocratique. Les investisseurs étrangers en Chine ne s’embarrassent pas de ces questions-là.

Les réactions sont plutôt mitigées. Quand il s’agit de pays comme la France, les seuls sujets de conversation actuels tournent autour du pouvoir d’achat, le prix du carburant, la hausse des produits alimentaires, le chômage, les salaires à la baisse. Cette tendance salariale se généralise aussi en dehors du cadre de la France. L’Angleterre est touchée et s’en inquiète.... Ceux qui ont l’imprudence de vouloir changer de travail ne retrouvent plus des salaires qui prennent en compte une expérience professionnelle précédente. Car les salaires diminuent à chaque nouvelle mission et n’ont plus rien à voir avec ceux des "salariés" qui ont la chance de pouvoir rester "employés".

Nous avons donc des populations aux priorités différentes : la première, celle qui est installée dans un emploi régulier stable et qui thésaurise sur son ancienneté, ces salariés-là auront une bonne retraite à taux plein ; de l’autre côté, une population précarisée qui souffre plus que la moyenne et qui atteint maintenant les membres de la petite bourgeoisie, la classe moyenne inférieure, les "jeunes", les "séniors" de plus de 45 ans, que ceux-ci soient en recherche d’emploi ou dans des emplois menaçés non pérennes.

L’ambiguité de cette tendance se trouve dans la lecture des chiffres économiques et financiers. Ainsi l’enrichissement global demeure réel et sert de prétexte grâce aux manoeuvres des spéculateurs et d’investisseurs qui exportent leurs pratiques vers des pays émergeants.

Ceux qui bénéficient encore d’un bon emploi craignent cet avenir incertain. Certains d’entre eux font le pari de rester "riches", c’est-à-dire à l’abri financièrement avant que leur monde de salariés ne s’écroule. Beaucoup d’autres sont menacés de paupérisation. En fait tout le monde s’accroche à ses avantages et a tellement peur de les perdre.

Peu de personnes songent à changer d’état d’esprit. Au contraire ! Toutes les politiques vont dans le sens des restrictions des avantages sociaux. C’est la loi du marché qui prime ; cette inéluctabilité. Les idéaux démocratiques ne durent pas dans des contextes difficiles. C’est bien connu, en état de guerre, personne ne parle de démocratie. Nous sommes maintenant en Europe en alerte maximale et prêts à faire un trait sur notre histoire, le siècles des lumières, les combats sociaux n‘auront plus de résonnance dans la société civile divisée. Les chômeurs, les petits salaires, les personnes en difficulté sont en passe de devenir un réservoir d’individus rejetés ou corvéables à volonté pour le reste de la société qui ne veut plus entendre parler de solidarité, de partage des richesses. Les petites retraites sont oubliées. Visiblement la peur étreint, paralyse, rend égoïste comme l’attrait de salaires hypothétiquement élévés permettent le remplacement de valeurs humanistes par des notions discutables de responsabilité sociale des entreprises.

Car les grands groupes qui s’implantent en Chine ne se battent pas trop pour faire appliquer des lois plus clémentes en droit du travail pour leurs employés situés loin, là-bas en Chine ou ailleurs dans le monde des pays émergeants.

D’un autre côté, La Chine et les Chinois. Eux croient à cette ouverture. Ils en ressentent les avantages et les bienfaits. Même si leur vie quotidienne ne s’améliore pas, ils constatent les changements ailleurs dans leur société et espèrent en récolter les bénéfices dans un proche futur. Ils n’ont pas atteint le stade de désillusion que nous connaissons en Europe. Cette Chine surdimensionnée fait loucher d’envie toutes ces entreprises internationales. Elles en veulent toutes un morceau à tout prix. Seulement la Chine est dirigée par un parti communiste, seul interlocuteur pour tout entrepreneur étranger en Chine. Une chine gouvernée d’une main de fer par un parti communiste qui met en place des mesures libérales. Le parti exerce un contrôle pour éviter l’emballement de l’économie et garder un oeil autant sur les entreprises un peu trop individuelles chinoises que sur les initiatives étrangères.

Le pays passe par une défiguration du paysage rural et citadin, une dégradation de l’environnement, un développement vertigineux de l’économie et du monde des finances, une révolution dans les relations personnelles, familiales et sociales.

Les programmes de constructions monumentales détruisent les relations de voisinage et ce qui restait des traditions ancestrales et de la culture chinoise. Que ce soit un quartier rasé ou une région entière, ils sont remplacés par des complexes immenses de logements collectifs, des propriétés individuelles, des zones commerciales, des bureaux, un environnement destiné à une population de cadres aux revenus moyens-supérieurs, des constructions de luxe pour un royaume de nouveaux consommateurs. La nouvelle génération a bien intégré ces valeurs occidentales de satisfaction immédiate des désirs par l’achat effreiné de biens de consommation.

Cependant l’autre aspect est a prendre en considération : le parti communiste à lui seul ne peut rester au pouvoir dans un pays aussi grand sans un certain appui général du peuple chinois. Le gouvernement doit déployer des stratégies qui séduisent toutes les couches de la société chinoise. Sa préoccupation essentielle est de rester en place tout en rassurant à l’extérieur mais aussi en satisfaisant les revendications qui viennent de l’intérieur. L’exercice d’équilibre est brillant.

Par exemple, de nouvelles lois en matière de droit du travail ont été votées pour améliorer la protection des travailleurs. Sur le terrain l’application de ces lois a du mal à être transcrite. Cependant les changements sont lents mais perceptibles. Le parti sait bien qu’il ne peut pas vivre en autarcie s’il veut que la Chine fasse partie du concert des nations développées et industrialisées. Il accompagne le changement.

Mais aussi les chinois exploités dans leur travail, expropriés de leur propriété, ont des recours dans un cadre juridique ou sur la place publique. Internet est surveillé mais les brêches existent. Les révoltes grondent et le gouvernement y est très sensible. Il fait des gestes pour calmer le mécontement. Les mouvements de révolte sont sans doute réprimés mais l’image d’un parti qui se préoccupe des plus defavorisés reste forte. Lors du tremblement de terre au Sichuan, le président, le premier ministre se sont déplacés immédiatement sur le lieu de la tragédie et en ont préssenti l’envergure. L’image d’un état à la rescousse pour corriger les écarts et les injustices sociale ne s’est pas écroulée. Les gouvernants sont experts en communcation et gérent les crises comme leurs partenaires étrangers. Le discours ambiant incorpore une dialectique et nos idéaux démocratiques vus sous un prisme chinois.

En Europe nous avons beaucoup de choses en commun avec cette multitude de chinois qui travaille dur et qui essait de s’y retrouver dans ce mouvement mondial des échanges. Les chinois s’organisent et se mobilisent pour lutter en faveur de leurs droits.

La société civile chinoise est vibrante et réclame une démocratisation de la Chine. Dans une mondialisation des problèmes sociaux, les travailleurs chinois détiendrait la clé de notre pouvoir d’achat. S’ils refusent d’être exploités, s’ils refusent la censure, leur combat permettrait de nous recentrer en Europe sur le rôle de ces entreprises internationales dans cette économie chinoise mais aussi de critiquer notre propre pratique de la démocratie. Si les salaires sont à la baisse chez nous, les salaires des cadres supérieurs en Chine ont rattrapé nos salaires de cadres. Il semblerait que nous nous trompions de cibles.

Les étudiants chinois participent à des programmes d’échanges et reviennent en Chine surdiplômés après avoir passé des années à l’étranger et avec l’intention de s’installer dans leur pays. Un changement de société en Chine est inéxorable comme chez nous.

Si en Europe l’écart entre les riches et les pauvres se creuse, par contre l’économie chinoise est en expansion et la Chine accueille beaucoup de talents étrangers attirés par les résultats économiques du pays et les perspectives d’emploi. Du point de vue économique, la Chine a autant besoin de nous pour se développer que nous avons besoin d’elle.

Au lieu de fustiger les chinois, il faudrait que sans doute que nous pensions à nous associer à eux dans un combat mondialisé. A nos yeux les travailleurs chinois sont exploités... mais regardons de près nos conditions de travail. En Chine le code du travail évolue lentement dans le bon sens, les militants, au risque de leur vie parfois, se battent pour des conditions plus humaines de travail en prenant comme exemple nos pays européens. Alors que chez nous, nos entreprises ne cessent de jouer le jeu inverse et imposent des rythmes de travail et des salaires toujours au rabais. Le seul combat pour une vie meilleure pour tous est dans le respect du cadre international. Imposer des régles et des systèmes de régulations qui améliore le sort de tous.

Nous pourrions assister à un mouvement de démocratisation lente et surveillée par un parti communiste soucieux de son image à l’extérieur comme à l’interieur. Mais aussi nos pays dits démocratiques devraient avoir le courage d’appliquer ce qu’ils mettent en exergue, leurs valeurs démocratiques, en donnant l’exemple. Ainsi, nous, donneurs de leçons pourrions-nous passer pour des partenaires un peu moins arrogants pour la Chine. L’ouverture passe par là aussi.


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6 réactions à cet article    


  • Cug Cug 9 août 2008 14:26

    Je suis d’accord, mettons à terre le néo-libéralisme anglo-saxon de l’oligarchie financière qui corromp la planète et ses habitants.


    • zelectron zelectron 9 août 2008 15:13

      @cug C’est trop tard, la planète est déjà contaminée (condamnée ?) Quelles trahisons du libéralisme ! (à l’instar d’un socialisme ou d’autres) Les humains prennent en compte une théorie politique ou religieuse voire philosophique et s’arrangent pour la pervertir au lieu d’élaborer leurs rapprochements et synthèses (cqfd)



        • Antoine Diederick 10 août 2008 01:33

          A l’auteur, vous écriviez :

          "Au lieu de fustiger les chinois, il faudrait que sans doute que nous pensions à nous associer à eux dans un combat mondialisé. A nos yeux les travailleurs chinois sont exploités... mais regardons de près nos conditions de travail. En Chine le code du travail évolue lentement dans le bon sens, les militants, au risque de leur vie parfois, se battent pour des conditions plus humaines de travail en prenant comme exemple nos pays européens. Alors que chez nous, nos entreprises ne cessent de jouer le jeu inverse et imposent des rythmes de travail et des salaires toujours au rabais. Le seul combat pour une vie meilleure pour tous est dans le respect du cadre international. Imposer des régles et des systèmes de régulations qui améliore le sort de tous."

          Bonne réflexion que ce passage de votre article, qui pourrait être un message aux syndicalistes européens et autres....le vrai travail est en Chine....


          • L'enfoiré L’enfoiré 10 août 2008 10:35

            @L’auteur,

             Bon résumé de la situation. Je mettrai un lien de votre article sur le mien que je ferai paraître après les jeux.
             Tout est imbriqué aujourd’hui. Plus moyen de faire semblant. En un mot, quand il faut y aller, faut y aller.


            • anomail 11 août 2008 12:25

              >"En Chine le code du travail évolue lentement dans le bon sens, les militants, au risque de leur vie parfois, se battent pour des conditions plus humaines de travail en prenant comme exemple nos pays européens. Alors que chez nous, nos entreprises ne cessent de jouer le jeu inverse et imposent des rythmes de travail et des salaires toujours au rabais"

              Simple effet de vase communiquants.

              >"Le seul combat pour une vie meilleure pour tous est dans le respect du cadre international. Imposer des régles et des systèmes de régulations qui améliore le sort de tous"

              Avec des états domestiqués par la haute finance nous n’en prenons malheureusement pas le chemin.

              Extrait de "Un capitalisme au-delà du marché" pubilé ce jour sur Marianne 2
              http://www.marianne2.fr/Un-capitalisme-au-dela-du-marche-_a90062.html

              "[...] les thèmes de la privatisation à outrance, de la « dérégulation » des marchés (entendue comme l’abolition des interventions régulatrices de l’État, abandonnant à la haute finance le contrôle des marchés), du retrait de l’État sont alors orchestrés, organisés en un ensemble doctrinal et idéologique adéquat."




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