La démocratie est-elle soluble dans le vote électronique ?
Plusieurs universités ont organisé des consultations électroniques au sujet du blocage de leurs locaux par des étudiants contestant la loi LRU. C’est le cas de l’université de Picardie qui, ce vendredi 27 mars 2009 a voté le principe d’un tel vote sur la question du blocage. Il semble donc nécessaire et utile de revenir sur ce vote électronique, ce qu’il peut faire ou ne pas faire.
Tout d’abord, revoyons la position de la très sérieuse ASTI, la Fédération des Associations Françaises des Sciences et des Technologies de l’Information :
« La Fédération des Associations Françaises des Sciences et des Technologies de l’Information appelle à ne pas recourir au vote électronique anonyme au nom du principe de précaution.
L’ASTI est convaincue que les sciences et technologies de l’information peuvent contribuer positivement au développement de la démocratie. Elle tient cependant à alerter les pouvoirs publics sur l’impossibilité, en l’état actuel de la technologie, de réaliser un vote anonyme contrôlable directement par les électeurs et en conformité avec les dispositions de la Constitution et du Code électoral. Des recherches se développent mais n’ont pas encore abouti à des systèmes permettant l’exercice d’un contrôle démocratique indiscutable. Dans l’attente de ces avancées scientifiques et technologiques, l’ASTI recommande que de telles recherches soient poursuivies et que pouvoirs publics, partis politiques et société civile ne recourent en aucune manière au vote électronique anonyme, y compris au moyen de machines à voter. »
Pourquoi cette insistance sur l’anonymat et pourquoi celui-ci rendrait ces consultations incontrôlables ?
Le vote électronique est utilisé ou pourrait l’être dans certain cas de façon très efficace et tout à fait démocratique. Quelques cas :
- l’assemblée nationale. Le vote de nos députés n’est heureusement pas secret : ils ont des comptes à rendre. L’électronique est dans ce cas une facilité. Les députés peuvent voter simplement et rapidement en tournant une simple clef sur leur pupitre. En cas d’erreur (ça arrive) le député, ou ses collègues, s’en rend vite compte puisque son vote n’est pas secret et le problème est corrigé aussi vite ?
- Les votes du projet Debian (http://www.debian.org/vote/), même chose, le vote n’est pas secret, chacun peut donc vérifier que son vote a bien été pris en compte. L’ordinateur permet ici un vote mondial, à distance, pour de nombreux votants et d’utiliser la méthode de condorcet qui serait difficile à mettre en oeuvre pour un nombre important de votants et de candidats (ou propositions) sans l’informatique.
- des assemblées d’association (http://www.fdn.fr/reglement.pdf par exemple), encore une fois, le vote n’étant pas anonyme il est vérifiable.
Pour chacun de ces exemples, il est possible, après le vote de recompter les bulletins, et de refaire, éventuellement à la main, tout ce qu’a fait la machine. L’électeur sait que son bulletin, celui de son voisin, tous les bulletins, sont pris en compte et n’ont pas été modifiés au passage. C’est primordial.
Nous avons donc là des scrutins sincères, mais non anonymes, tous basés de fait sur le principe de l’assemblée (générale, de conseil, nationale). Ce n’est malheureusement pas vers ce type de solution que se tournent actuellement les universités.
Un autre système de vote, anonyme celui-là, marche pas mal. Il n’est pas électronique : c’est notre bonne vieille urne - qui n’est transparente que depuis 1988. Une fois le bulletin dans l’urne on ne peut pas remonter jusqu’à l’électeur et savoir ainsi ce qu’il a voté, cependant celui-ci sait, gràce à la transparence de l’urne, que le bulletin qu’il a déposé est celui qui est dans l’urne. L’électeur viendra ensuite dépouiller, compter et recompter s’il le faut. Depuis ses origines tout est fait dans le code électoral pour qu’il n’y ait pas de doute possible sur le résultat du vote. Lisez ou relisez ce code, on n’y fait confiance à personne et toutes les modifications qui ont eu lieu vont dans le sens de plus de méfiance envers tous les acteurs pour plus de maîtrise par l’électeur.
Ce système n’est pas parfait mais c’est actuellement le meilleur qu’on ait trouvé pour consulter anonymement les citoyens et que le résultat de cette consultation soit accepté par tous, même les perdants.
Nous avons là un vote anonyme et sincère. Il y a bien quelques tentatives de fraude à la marge mais elles nécessitent la complicité de l’ensemble du bureau de vote. Les plus efficaces de ces fraudes touchent le plus généralement à la listes des inscrits (on fait "voter les morts") et pas au processus électoral lui même.
Voyons maintenant à quoi ressemblerait un vote électronique se voulant anonyme.
Pour qu’il y ait anonymat il doit y avoir déconnexion complète de l’information bulletin de vote et de l’information électeur. Il ne doit pas être possible, pour un bulletin donné, de remonter à l’émetteur de ce bulletin.
C’est une chose qui, en elle même, est difficile à réaliser en informatique. Il est en effet bien plus facile de perdre de l’information sans faire exprès (bug) que de faire exprès de la perdre. On va donc passer par des procédures compliquées et dont la complexité sera encore aggravée par tous les bouts de cryptologie nécessaires à la confidentialité du vote émis depuis l’ordinateur de l’électeur. Afin de comprendre le fonctionnement d’un tel système de vote il est nécessaire d’être un informaticien chevronné, et cela ne suffit pas à garantir un fonctionnement sans bugs (inhérent à tout programme informatique complexe).
Comme il y a anonymat, l’électeur ne va pas pouvoir vérifier que son vote a bien été pris en compte. De deux chose l’une, soit l’application lui permet de voir un message « Vous avez voté telle proposition » , et il y a un lien votant/bulletin, donc pas d’anonymat, soit il ne le permet pas et le votant ne sait pas ce que la machine a déposé dans l’urne. On notera au passage que si la machine indique « Vous avez voté telle proposition » cela ne donne de fait aucune indication sur le contenu réél de l’urne virtuelle.
On nous dit que ces systèmes sont bardés de certificats et d’huissiers. Allons jusqu’au bout de cette démarche. Pour les prochaines élections européennes plaçons une urne dans une pièce fermée, cette urne est surveillée par une armée d’experts en tout genre et la porte est gardée par un huissier. Pour voter vous donnez votre bulletin à l’huissier, il entre dans la pièce, ferme la porte, et revient quelques secondes après en disant « à voté » . Nous avons reproduit ici le fonctionnement du vote électronique anonyme.
Combien de temps pensez-vous que le consensus républicain tiendra avec un tel système ?
Instaurer un tel vote électronique dans une université participe au lent travail de sape mené par des entreprises qui ne sont même pas malhonnêtes mais qui flairent là un énorme filon. La démocratie est le cadet de leurs soucis mais pouvoir annoncer à des maires ou des gouvernements en mal de NTIC des références comme les universités, les prudhommes ou de grandes entreprises, voila qui les intéresse fortement. Habituer les citoyens à de tels usages, faire que le moment venu ces citoyens ne jugent pas nécessaire de se révolter contre ces systèmes est un travail patient de dealers, ils savent très bien faire ça et ont formé d’excellents commerciaux, ne vous laissez pas abuser.
Une fois un tel système mis en place et accepté par la population, sa prise en main par un gouvernement, une faction, une mafia sera enfantine et passera totalement inaperçue.
Pour plus d’informations sur les dangers des ordinateurs de vote visitez le très complet http://www.ordinateurs-de-vote.org/ dont cet article s’inspire grandement.
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