On est fichés et on s’en fiche !
Deux évènements ont généralisé le fichage génétique des citoyens : l’affaiblissement de la CNIL et la loi Sarkozy dite de "sécurité intérieure" du 18 mars 2003. Désormais, le fichage génétique se fait sans contrôle a priori et se banalise : à l’école, en voiture, dans l’entreprise, sur Internet. Se développe même le fichage ethnique. Les risques de figurer par erreur dans un ficher de police sont accrus. Face à cela, que font les citoyens pour arrêter la dangereuse dérive ? Pas grand-chose !

La loi Guigou du 17 juin 1998 a créé le FNAEG (Fichier national
automatisé des empreintes génétiques), mais uniquement pour les auteurs
d’infractions sexuelles. La loi Vaillant dite de "sécurité quotidienne"
du 15 novembre 2001 a élargi le fichier aux atteintes volontaires
à la vie de la personne (actes de torture, de barbarie, de terrorisme,
autres cas gravissimes). Est arrivée la loi Sarkozy de "sécurité
intérieure" du 18 mars 2003. Les infractions les plus banales sont
introduites. Désormais, pas moins de 137 infractions peuvent entraîner
le prélèvement obligatoire de l’ADN. Une dégradation, un tag, un
arrachage de cultures OGM, vous y conduit aussitôt, et pour en sortir,
c’est moins net : en effet, même si vous êtes innocenté, le procureur
peut rejeter votre demande de retirer vos empreintes. Mais ne cherchez
pas dans la liste les infractions commises par les puissants de ce
monde : les délits financiers, tels le délit d’initié, la fraude fiscale
ou l’abus de bien social, ne débouchent pas sur un fichage ADN.
Vous refusez de vous soumettre au prélèvement d’ADN ? Vous êtes
passible en ce cas d’une amende de 15 000 euros et d’un an de prison
ferme. Pire : Si vous persistez dans votre attitude, vous serez
reconvoqué jusqu’à ce que vous cédiez. Refuser de donner son ADN est un
délit continu qui vous envoie directement à la case prison comme
récidiviste !
Bon ! Vous n’avez pas commis la moindre petite vétille illicite ? Pas
même un coup de pied dans une poubelle ou un réverbère ? Vous vous
pensez légitimement préservé de toute tracasserie policière. Vous
n’êtes cependant pas à l’abri de l’arbitraire : en 2005, les
investigations de la CNIL dans le STIC (fichiers de police) et le JUDEX
(fichier de gendarmerie) ont constaté 44% de signalements erronés ou
d’oublis de retraits d’informations dont le délai de conservation était
expiré. 44% !
Vous n’avez jamais été incriminé et n’avez jamais été victime d’une
erreur de fichage ? Bravo ! Mais il reste le fichage ethnique. En
février 2006, la MILOS (mission interministérielle d’inspection du
logement social) a pris la main dans le sac l’OPAC de Saint-Etienne qui
attribuait les logements en fonction principalement de l’origine
ethnique des demandeurs. En août, SOS-Racisme a déposé une plainte
contre X avec constitution de partie civile car l’association
soupçonnait fortement les Renseignements généraux d’avoir constitué un
fichier de délinquants sur la base de leur origine ethnique, ayant pris
peut-être pour un feu vert les propos tenus par le ministre de
l’Intérieur sur la radio RTL le 6 février 2006 : Sarkozy déplorait
l’impossibilité légale de mentionner l’origine ethnique des
délinquants. Impossibilité légale ne signifiant pas impossibilité tout
court. Nous ignorons à ce jour la suite réservée à cette affaire.
Que fait la CNIL ?
La CNIL nous protège depuis la loi Informatique et libertés du 6 janvier 1978 ! En êtes-vous si sûr ?
La CNIL a vu ses pouvoirs réduits par la réforme du 6 août 2004 qui lui
a ôté son contrôle a priori : celui d’empêcher l’Etat de créer des
fichiers par décret. L’avis de la commission n’est plus que
consultatif. Par ailleurs, les entreprises sont dispensées de toute
autorisation pour créer la plupart de leurs fichiers. Mais pour donner
le change, en réprimant un abus de-ci de-là, la commission peut
aujourd’hui prononcer des sanctions. Première application le 28 juin :
Elle condamne le Crédit lyonnais à 45000 euros d’amende pour fichage
abusif. Il faut dire que le fichier, accessible à toutes les banques,
centralisait les noms des personnes dont la carte bancaire avait été
retirée pour usage abusif, ainsi que les données sur leur situation
financière, et les coordonnées de leur compte bancaire.
La CNIL dispose de moyens si faibles qu’elle se range au niveau de son
homologue roumaine. Elle compte quatre fois moins de personnes en son
sein que l’autorité allemande. Qu’on ne s’étonne pas alors que, saisie
d’une demande d’avis en mai lors de la mise en place du fichier ELOI
(Fichier des immigrés clandestins), elle ait laissé passer l’arrêté.
Explications de la directrice des affaires juridiques : vu les moyens
limités dont elle dispose et le nombre croissant de dossiers dont elle
est saisie, la Commission n’a pu rendre un avis motivé dans les délais
qui lui étaient impartis par la loi - deux mois -. L’avis fut donc
tacitement favorable. C’est la loi !
Le contrôle a priori supprimé et les moyens manquants, la CNIL est déjà
bien affaiblie. Ne manquait plus qu’un président conciliant avec les
thèses sarkozistes. Mais, oh ! surprise : le président de la CNIL est
Alex Türk, sénateur du Nord, un ancien membre du... RPR ! « Etonnant, non ?
», aurait pu dire l’espiègle et regretté Pierre Desproges, même si
cette coïncidence ne saurait constituer une preuve à elle seule de
manque d’objectivité.
Face aux nouveautés en matière d’Internet, son président admet en tout
cas sa totale impuissance. Bref, les attributions de la CNIL sont loin
d’être à la hauteur de la tâche induite par le nombre croissant de
fichiers créés.
L’espoir est dans une réaction citoyenne
Cet espoir semble actuellement bien maigre : selon un sondage commandé
par la CNIL, seuls 28% des Français sont informés des droits dont ils
disposent sur leurs données personnelles. Les citoyens réagissent à
l’émotion, et Sarkozy le sait. Alors, sa stratégie est simple : profiter
d’un contexte émotionnel fort, comme un attentat terroriste ou les actes
d’un meurtrier en série, pour créer un fichier. Il suffit ensuite
d’étendre peu à peu, insensiblement, l’emploi de l’outil créé à cette
occasion.
Les recours sont une solution possible, s’ils sont répétés et relayés
médiatiquement. Ainsi le journal Le Monde relate largement le procès à
Alès de Benjamin Deceuninck, arracheur de betteraves OGM qui s’est
soustrait à un prélèvement d’ADN. L’équipe d’AgoraVox publie le 4
octobre 2006 un article « Si la CNIL est débordée, alors... » (Cet
article n’a recueilli que 17 votes).
Mais la vigilance est de mise, car les dangers de fichage sont partout. A l’école : en avril, le président de la CNIL déplore la création de
fichiers biométriques dans les écoles sans autorisation préalable. Il «
déplore », c’est tout... En voiture : en novembre 2005, la CNIL a interdit
la mise en place par une compagnie d’assurance d’un système de
géolocalisation des véhicules de ses assurés. Cette pratique se répand
: la CNIL constate, c’est tout... Dans l’entreprise : la loi dit que « lorsque leur activité peut mettre en cause la sécurité publique,
certaines entreprises ou administrations publiques sont habilitées à
contrôler la présence de leurs employés -ou de ceux qui postulent pour
un emploi- dans les fichiers de la police judicaire ». Sur Internet :
surveillance par la force publique des réseaux d’échange de fichiers
(peer-to-peer) avec la loi DADVSI.
Il faut mettre la question au cœur du débat qui s’annonce : n’est-il
pas temps de redonner à la CNIL un vrai rôle, et de lui affecter des
moyens à la hauteur des enjeux d’aujourd’hui ? Ne convient-il pas de
replacer le juge dans sa mission de contrôle des libertés publiques
(selon les principes édictés par la Cour européenne des droits de
l’homme), au lieu de l’écarter chaque jour davantage sous le prétexte de
la rapidité d’exécution (confondue avec efficacité) de la police ?
Notre pays a abrogé l’obligation de notifier au suspect « le droit de se taire », pourtant inscrit dans les traités internationaux signés par la France. Jusqu’où la France est-elle prête à déroger à ses valeurs ?
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