Peut on lutter encore contre la précarité ?
Comprendre pour donner du sens, pour éclairer les voies qui mènent à plus de responsabilités et de liberté, la bataille du quotidien est également une bataille pour les idées, contre des réformes qui ne mènent pas à des niveaux d’inégalité et de précarité toujours plus importants de certaines tranches de la population. C’est la colère et la crainte de la précarité qui s’exprime aujourd’hui pour arrêter une politique d’ajustement par le sous-emploi, d’abord des jeunes puis des seniors incités par les dispositifs de cessation d’activité anticipée. La précarité touche en premier ceux qui sortent de l’école sans les acquis de base et qui auront du mal à maîtriser un « savoir faire » et un « savoir être » indispensable pour affronter une sélectivité du marché du travail de plus en plus forte.
Agir sur le local pour humaniser le « Global »
La crise qui a traversé les quartiers populaires des grandes villes du pays appelle des réponses nouvelles, et pas seulement le tout répressif mis en oeuvre aujourd’hui.
L’analyse des relations entre l’homme et la manière dont la ville est organisée, les transports urbains, la place des espaces verts et la dimension culturelle du végétal (La cité St Jean a Bordeaux est un exemple du peu d’importance que l’on accorde à cette dimension et au rôle qu’elle peut jouer dans la détérioration de la qualité de vie d’une cité), les nuisances citadines et particulièrement le bruit, la mixité urbaine, déterminent, plus au moins, notre capacité à être en harmonie ou pas avec notre environnement immédiat.
Actuellement plus personne ne nie, qu’il convient de traiter simultanément le social et l’urbain, "les territoires et les publics", les modes d’interventions diffèrent selon les diagnostics et les buts poursuivis : faut-il avant tout traiter l’urbain en visant des effets sociaux ? Ou faut-il privilégier les questions sociales dans leurs manifestations urbaines ?
L’existence de « niches de pauvreté », identifient à la fois des territoires et des publics comme « laissés pour compte » de la progression du bien-être et de l’enrichissement économique, qu’aujourd’hui profite surtout aux classes les plus aisées.
Pour Pierre Bourdieu dans son livre « La misère du monde » (1) la principale cause des dysfonctionnements sociaux résiderait dans le retrait de l’Etat d’un certain nombre de ces zones urbaines où se concentrent les groupes sociaux les plus pauvres.
L’Etat serait doublement défaillant : dans son rôle protecteur ; en raison de la remise en cause des services publics d’une part ; dans son rôle intégrateur, producteur de citoyenneté et d’homogénéité grâce au socle républicain, d’autre part. L’Etat délaisse sa mission d’intégration des individus à l’espace politique national dès lors qu’il laisse libre cours aux communautarismes (tel qu’ils se manifestent aux USA) qui mettent en cause l’unité symbolique de la nation.
Il est donc responsable, par le biais d’une certaine forme de démission du politique, d’un accroissement de la désaffiliation des populations les plus fragiles, de la constitution des niches de pauvreté et de « l’implosion » de certains secteurs urbains. C’est donc logiquement à lui que revient la tâche de restaurer les conditions de l’appartenance ou plutôt du sentiment d’appartenance. C’est-à-dire de créer les conditions d’un retour à la norme des territoires urbains touchés par la pauvreté.
Les jeunes des banlieues à la dérive décrits par F. DUBET dans la "galère" sont un exemple concret de la « désaffiliation » vécue par certaines catégories sociales qui donnent le sentiment d’être inutile au monde. On pourrait citer également les SDF, nombreux dans notre secteur de la gare a Bordeaux qui cumulent expulsion totale du marché du travail et isolement social avec tous les méfaits que cela entraîne.
Ce qu’il y a de nouveau aujourd’hui, c’est que la désaffiliation ; analysée par Robert Castel comme : « une métamorphose de la société salariale produisant de nouvelles vulnérabilités sociales et à la recherche de nouveaux réglages », menace des populations qui étaient encore récemment intégrées ; tels que les salariés pauvres. La progression de l’exclusion tient principalement à l’aggravation de la situation de la condition salariale (développement du temps partiel de l’intérim auxquels les jeunes et les seniors sont soumis), qui est le 1er moteur intégrateur et structurant. C’est là qu’il faut trouver ou créer des nouvelles réponses, là où le marché est incapable d’agir !
Pour Jean Louis Lauqué (2), nous assistons aujourd’hui, non seulement à une crise sociale, mais bien à une mutation plus fondamentale, à un « séisme anthropologique » à une crise de la façon de faire de la société qui fait naître ce « malaise dans la civilisation » auquel nous, sommes immergés au quotidien.
Peut-on penser alors que quelque chose d’inédit en train de se passer dans la société ?
S’agit-il de la genèse d’une nouvelle forme de la question sociale, par le biais de laquelle nous cherchons à établir un autre mode d’articulation entre la sphère économique et la sphère politique. Le CPE avec sa période d’essai de deux ans fut une tentative de réponse à ces mutations, mais une réponse qui va dans le sens d’une diminution du rôle protecteur de l’Etat. A cette idée peut lui être opposé une autre forme d’organisation dont les « territoires » peuvent faire l’objet d’une expérimentation (approche plus globale, plus collective )en créant plus de sécurité pour l’emploi, plus de crédits pour la formation, sans avoir à passer par des périodes de chômage. Créer des nouveaux droits ; nouvelle assurance professionnelle, une allocation pour chercher un premier emploi, mise en place et négociation pour la création d’une « Zone Franche Sociale® » (3) qui facilitent l’accès au logement, à la culture, aux transports et à la formation. Robert Castel, propose une lecture à partir de la décomposition des grands réglages politiques qui avait produit cette stabilité de la société salariale et dont la désaffiliation apparaît comme la conséquence. Doit-on rester dans des formules où la sphère économique continue d’imposer sa rationalité ? Doit-on attendre un retour du politique comme fondateur de la cohésion sociale et du rapport entre les hommes ?
Comment travailler sur l’intégration des ces populations qui semblent de plus en plus « désintégrées » ?
L’intégration est une notion fondatrice en sociologie. La thématique de l’intégration apparaît avec M. Weber et E. Durkheim, deux pères fondateurs de la sociologie. Rappelons que l’intégration fait partie du débat amorcé au 19ème siècle, celui-ci étant la conséquence à la fois de la révolution industrielle et de la révolution démocratique et politique.
Dans cette logique, le 19ème siècle constitue une remise en cause de l’ordre traditionnel. Les valeurs dominantes jusqu’au 19ème étaient les suivantes : « attachements à la terre, à la monarchie, à la morale religieuse, à l’immobilité géographique et sociale ».
Désormais, on observe une remise en cause de tous ces attachements avec l’apparition de nouvelles classes sociales et des nouvelles technologies, et l’émergence des phénomènes tels que la délinquance, l’alcoolisme, la prostitution et aujourd’hui le suicide des jeunes qui est actuellement le symptôme le plus violent de ces mutations(4).
L’ordre traditionnel semble déstabilisé, sans qu’il n’y ait apparition d’un modèle alternatif, on peut dès lors parler d’anomie (absence de règles) puisqu’il y a remise en cause de tout ce qui fondait la morale antérieure.
Peut-on traiter cette nouvelle forme de la question sociale en inventant des solutions d’insertion plus adaptées, territorialisées ? S’intéresser plus aujourd’hui à ce qui se passe dans le micro-social, là où, quelle que soit l’impuissance du politique, il se passe, de toute façon, toujours quelque chose ?
Il faut s’investir, aujourd’hui, dans la création des nouvelles activités productives (...services aux personnes, développement des services intergénérationnels développement des activités issues de l’économie solidaire...) afin de mieux permettre aux exclus d’accéder à un emploi salarié, tel que les travailleurs sociaux ont su le faire en créant les entreprises d’insertion. Négocier des nouvelles approches réglementaires et financières pour mettre au point des formules reconnues, limitant les réponses au coup par coup et s’inscrire dans une démarche plus globale orientée vers « l’innovation »socio-économique et socioculturelle, tout en étant assez présente au sein des coordinations qui structurent le travail interinstitutionnel, la présence sur le terrain d’intervention les instances décisionnelles et capables d’intégrer par l’emploi et la socialisation les publics les plus marginalisés, ceux qui connaissent des désajustements conjoncturels récurrents depuis 30 ans !
1) Paris, éd. du Seuil
2) Psychologue clinicien ; document sur « La Prévention Spécialisée et la crise des banlieues » ; 2006 ; Bordeaux.
3) Zone Franche Sociale® : zone aux avantages équivalents a une zone franche économique, mais a visée purement solidaire. (AH).
4) Voir les travaux du Docteur Pommereau à Bordeaux et mémoire de 3eme
année d’éducateur spécialisée ; IRTSA ; A. Hernandez ; 1994.
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