Quoi ma gueule !?...
Quoi ma gueule ! Qu’est-ce qu’elle a ma gueule ? chantait le vieux rocker…mais c’est aussi ce que pourraient entonner certains français, dont les parents, ou les grands parents, sont d’origine étrangère, et dont la peau plus ou moins colorée provoque régulièrement des contrôles au faciès et des brimades en série.

Une étude réalisée en 2009, menée par le CNRS, portant sur 525 contrôles d’identité, amenait une preuve en chiffre de ce qu’on appelle « le délit de facies ».
« Des contrôles de police injustifiés et discriminatoires »…ce sont les termes que l’on peut trouver dans cette étude.
En moyenne les personnes originaires d’Afrique du Nord, et ceux qui sont originaires d’Afrique et des Antilles ont respectivement 7,8 fois et 6 fois plus de risques d’être contrôlés que des blancs, selon ce rapport mené par Fabien Jobard et René Lévy.
Idem pour les fouilles, les Noirs ont été fouillés à l’issue des 9,9% des contrôles d’identité, les Arabes 12% alors que les Blancs ont été inspectés 4 fois moins.
Autre donnée intéressante apportée par cette étude : un jeune a 7,9 fois plus de risques de se faire inspecter qu’un adulte, et le rapport s’étonne que les policiers ciblent plutôt les passants sans bagage que ceux équipés de sacs à dos, alors que ces sacs pourraient receler des explosifs ou des armes dangereuses. lien
Joli manque de perspicacité donc…
Une étude réalisée en 2010 menée par l’INSEE arrive aux mêmes conclusions. lien
Revenons maintenant aux promesses présidentielles concernant ce sujet.
Sous le chapitre « combattre les injustices », il avait promis une circulaire concernant la lutte contre les délits de faciès lors de contrôles d’identité. lien
C’était en mai 2012…et les intéressés attendent toujours…mais pas la moindre circulaire sur le sujet.
Pour être plus précis, l’ex premier ministre, Jean-Marc Ayrault avait décidé de s’en occuper, (lien) mais voilà, son successeur, Manuel Valls a remis le tout dans un tiroir, ce qui ne l’empêche pas de dénoncer un apartheid dans les banlieues, alors que s’il avait bien voulu appliquer cette simple circulaire il aurait pu probablement faire régner un peu plus d’esprit républicain et de justice dans ces lieux ostracisés.
La portée de cette circulaire était pourtant modeste : il s’agissait seulement de prévoir des récépissés pour éviter les contrôles d’identité à répétition.
Mais voilà, le premier ministre trouve cette circulaire « très difficile (…) trop bureaucratique et lourde à gérer » ajoutant « il ne fallait pas compliquer de manière déraisonnable le travail des forces de l’ordre sur le terrain ». lien
Dans le domaine de l’embauche, la discrimination est aussi évidente, d’abord parce que le chômage frappe beaucoup plus les jeunes de banlieue que les autres, atteignant près de 40%... (lien) et selon un baromètre IFOP un demandeur sur 3 affirme avoir été victime de discrimination à l’embauche.
Ce qui est confirmé par une enquête de l’OIT (organisation internationale du travail), menée conjointement avec le Défenseur des Droits : 34% des demandeurs d’emploi estiment avoir été discriminés dans le cadre de leur recherche d’emploi.
Cette discrimination frappe encore plus les postulants d’origine étrangère, les 2/3 d’entre eux déclarant que cette discrimination est fondée sur leur origine, soit 3 fois plus qu’au sein de l’échantillon global. lien
Cette situation perdure, et on se souvient que l’ex président avait le kärcher comme solution, avant de se raviser lors de la campagne électorale, en 2012, et de tenter de se rabibocher avec ce qu’il appelait alors la racaille, ayant réalisé que ces banlieues représentaient tout de même 8 millions d’électeurs. lien
Dans une publication, que nous avions appelé « la Feuille de Vigne », avec le leitmotiv « pas de vérité toute nue sans la feuille de vigne », nous avions interviewé 3 jeunes dont les parents, voire les grands-parents étaient d’origine maghrébine, leur demandant s’ils avaient le sentiment de subir un racisme, et comment réagissaient-ils ?
La réaction de l’un des trois était éclairante : il avait déclaré ne pas avoir le sentiment d'avoir de problème avec ça, mais pour éviter d’éventuelles discriminations, il avait tout de même donné à son entreprise le nom de jeune fille de son épouse, nom à consonance française.
Pourtant, il faudrait faire un peu d’histoire pour comprendre comment on en est arrivés là…et cette histoire passe par celle des Harkis.
Lors de la guerre d’Algérie, française à l’époque, une partie de ces « algériens français » avaient choisi de combattre dans les rangs de l’armée française.
Or, lors de l’indépendance algérienne, en mars 1962, ils furent près de 100 000, accompagnés de leur famille, a quitter l’Algérie, pour vivre en France…puisqu’ils étaient français de fait.
En effet, s’ils restaient en Algérie, leurs vies étaient menacées, considérés qu’ils étaient d’avoir choisi le « mauvais camp ».
D’ailleurs, dès l’indépendance décidée, ils avaient été désarmés, et des massacres ont été commis, sans que les autorités françaises n’interviennent, manquant singulièrement de reconnaissance pour ceux-ci.
Plus grave, arrivés en France, les rescapés ont été regroupés dans des camps…des camps appelés lucidement « les camps de la honte ».
Ces camps ont fait l’objet d’un film (Hocine, le combat d’une vie) suite à l’irruption armée en 1975 de 4 hommes armés et cagoulés dans la mairie de St Laurent des Arbres, dans le Gard, menaçant de tout faire sauter à la dynamite s’ils n’obtenaient pas que soit rasé ce camp de la honte, à St Maurice l’Ardoise, ou étaient emprisonnés depuis 13 ans 1200 harkis et leurs familles, derrière des barbelés sous la vigilance de soldats français, surveillant du haut de leurs miradors ces prisonniers à qui finalement il était reproché d’avoir choisi le camps français lors des affrontements. vidéo
À ce stade de la réflexion, il faut découvrir le livre du Bachaga Saïd Boualam, (mon pays, la France - édition France empire) ce fervent partisan de l’Algérie française qui avait combattu dans les rangs de l’armée française durant la 2ème guerre mondiale, y gagnant plusieurs médailles, et le grade de capitaine de réserve en 1946.
En 1956, il va diriger un bataillon de harkis, et pendant cette guerre, il va perdre 17 membres de sa famille, dont l’un de ses fils.
En 1958 il sera élu député a l’assemblée nationale, assemblée dont il sera vice-président à 4 reprises.
Il rappelle dans son livre le drame qui s’est joué lors de l’indépendance : « hommes égorgés et mutilés, femmes violées avant d’être assassinées, enfants épinglés au murs au bout des baïonnettes, tels des papillons ».
Rappelant qu’il a tout abandonné en Algérie, les siens, ses terres, ses biens, pour rester français, il avait déclaré « j’ai choisi de vivre car si le pays légal sait escamoter les cadavres fidèles, il ne pourra jamais faire taire les morts vivants que nous sommes ». lien
A la fin de la guerre d’Algérie, appelée hypocritement par « mon général » « les évènements d’Algérie », il viendra s’installer du coté d’Arles, et facilitera la venue des harkis en France.
Il raconte la vie de ses concitoyens qui, se sentant français, et l’étant légitimement, ont combattu dans les rangs de l’armée française lors des 3 dernières guerres mondiales, réclamant que les noms de 2000 d’entre eux figurent sur ceux qui sont « morts pour la France », faisant mentir ceux qui, comme Georges Frêche, traitaient il y a encore peu, les harkis de « sous-hommes ». lien
On peut écouter Saïd Boualam sur ce lien
il quittera ce bas monde en 1986, amer et déçu, se déclarant « humilié, trompé, bafoué ». lien
Quel triste destin d’avoir, après avoir choisi le camp de la France, d’être considérés comme traitres en Algérie, et méprisés en France.
Aujourd’hui, 51 ans après, ils sont encore 9000 à vivre en France, ayant eu des enfants, des petits enfants, ceux là même dont une grande partie se retrouve stigmatisée dans les banlieues des grandes villes.
Selon un rapport publié en 2007 par le CES (conseil économique social), les enfants de harkis « ont connu, ou connaissent encore aujourd’hui, une exclusion sociales et économique (…) le traumatisme du rapatriement et les conditions de vies difficiles dans des structures isolées et coupées du reste de la société française n’ont fait qu’amplifier cette exclusion (…) par ailleurs, ces enfants expriment de fortes attentes en termes de reconnaissance morale que la société et les pouvoirs publics ne pourront laisser sans réponse ». lien
Ce rapport date de 8 ans, et manifestement, la réponse tarde à venir…et si le premier ministre a récemment évoqué un « apartheid territorial, social, ethnique », fustigeant « la relégation périurbaine, les ghettos », assurant « nommer la réalité telle qu’elle est »…on en est resté au stade des paroles, et comme l’on sait, il a remis dans un tiroir la circulaire qui pouvait améliorer la situation. lien
Comme dit mon vieil ami africain : « celui qui sourit sans s’énerver est toujours le plus fort ».
L’image illustrant l’article vient dewww.ldh-France.org
Merci aux internautes pour leur aide précieuse.
Olivier Cabanel
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