Taillables et corvéables à merci ?
Les médias traditionnels restent muets sur beaucoup de sujets. Serions-nous désabusés au point de ne rien lire ni entendre sur une question qui, pourtant, devrait intéresser nombre de nos concitoyens : Sommes-nous vraiment des citoyens ou seulement des assujettis, des redevables, autrement dit des sujets, pour ne pas dire des serfs ?
Mais il ne s’agit que d’une déclaration sans application réelle puisque nul ne peut se réclamer de ses différents articles pour faire valoir ses droits. En dépit – ou à cause – d’une multiplication des lois, décrets, arrêtés et règlements, l’Administration dispose ou s’arroge trop souvent des pouvoirs quasi discrétionnaires. C’est pourquoi la France qui se présente officiellement comme un Etat « de droit » est, en Europe, l’un des pays le plus souvent et le plus lourdement condamnés pour leurs manquements aux droits de l’homme.
Ces manquements sont multiples et quasi quotidiens, qu’il s’agisse des privilèges qu’elle accorde à certaines catégories de citoyens, des monopoles qu’elle maintient au mépris des accords signés et ratifiés, de sa police qui bave trop facilement, de ses prisons d’un autre âge, des carences de sa justice impuissante et parfois fantaisiste, des trop fréquents abus de son administration à laquelle l’Etat laisse un pouvoir arbitraire et mal contrôlé.
Limitons-nous aujourd’hui aux exactions de l’administration fiscale, toujours commises en toute légalité car le Code Général des Impôts, le plus volumineux de la planète et donc parfaitement opaque pour la quasi-totalité des contribuables, laisse aux agents du fisc un pouvoir quasi discrétionnaire pour mettre à genoux n’importe quel citoyen ou résident pris pour cible par un inspecteur ou un contrôleur des impôts.
Un livre de Christian Lesecq « Défenseur des droits de l’homme en France » narre la galère d’un contribuable soumis à une perception d’impôts indus par le fisc, les abus et harcèlements qui s’en sont suivis pendant vingt ans à l’encontre de la victime pour la mater, le combat livré par celle-ci en France et devant la Cour européenne des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales pour demander justice.
L’auteur préside l’association Chrysalis (www.xrisalis.org/), une Organisation Non Gouvernementale placée sous l’égide du Haut Commissaire aux droits de l’homme des Nations Unies pour « contribuer au respect et à la garantie de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme en encourageant les personnes individuelles à faire respecter leurs propres droits et ceux des autres, prévenir les violations et assister les victimes devant les juridictions et l’opinion publique. »
Des dizaines, peut-être même des centaines de contribuables, se sont suicidés ces trente dernières années à la suite d’exactions du fisc plus ou moins justifiables. Un vieux film avec Francis Blanche, je crois (merci à qui m’en rappellera le titre), illustrait de façon savoureuse et à peine caricaturée, ce type de situation navrante où un patron de PME était en butte aux tracasseries et aux vexations d’un contrôleur ne faisant guère honneur à notre « démocratie ».
Guère plus gaie, l’histoire qui suit illustre, parmi tant d’autres, la précarité de tout résident de ce pays, même s’il a des « papiers » depuis sept décennies. L’intéressé n’est même pas un « patron » ; il s’agit d’un paisible retraité, ancien salarié sans fortune et vivant seul mais ayant, normalement, de quoi vivre convenablement. Depuis près de deux ans, il a été brutalement privé de toute ressource par le fisc. Approchant les 72 ans, il ne pourra sans doute plus attendre vingt ans pour que justice lui soit rendue.
Voici l’essentiel de son histoire : Il a subi, il y a quelques années, des épreuves de santé qui ont nécessité un triple pontage coronarien au début de 2006 (pris en charge presque à 100 %, merci à la Sécu). Ces ennuis l’ont empêché de remplir correctement un devoir sacré dont il s’était régulièrement acquitté pendant plus de 40 ans : celui de déclarer ses revenus de 2003 et 2004 au Centre des Impôts dont il dépend. Devoir dont on se demande d’ailleurs quelle est l’utilité réelle, hormis l’occupation des fonctionnaires qui traitent ces déclarations et dont l’informatisation n’a guère réduit le nombre : Tous ses revenus sont déjà connus par le fisc. Mais la loi, c’est la loi.
En 1966, une fois guéri, il a remis de l’ordre dans ses dossiers et, pensant naïvement que mieux vaut tard que jamais, il s’est empressé de se rendre au Centre des Impôts pour remplir son devoir, avec l’aide qu’il croyait gracieuse de deux fonctionnaires tout à fait aimables. Et, tant qu’il y était, il a aussi rempli sa déclaration de 2005.
Quelle n’a pas a été sa stupéfaction, quelques mois plus tard, d’apprendre qu’en dépit de sa démarche citoyenne quoique tardive, il avait été imposé d’office sur des bases sans aucune mesure avec ses revenus. Procédure prévue par les textes et, dans le principe, non critiquable puisqu’elle vise à garantir l’intérêt légitime de l’Etat. Ce qui l’est plus, c’est qu’elle n’est pas « contradictoire », ce qui veut dire, en clair, que le contribuable ne peut plus discuter l’impôt ainsi fixé.
Mais ce qui lui a d’abord semblé extravagant mais qui s’est révélé bien réel, c’est le montant de l’impôt que l’administration peut fixer unilatéralement. Vous êtes sans doute assis mais tenez-vous bien ! L’imposition d’office a permis au Contrôleur des Impôts (la contrôleuse, pour être précis, à moins qu’il ne faille dire : Madame le Contrôleur) de fixer l’impôt « sur le revenu », pénalités incluses, à DEUX fois la normale pour 2005, NEUF fois pour 2004 et VINGT-DEUX fois pour 2003 !
En juin 2008, notre retraité a justifié au contrôleur, par un volumineux dossier qui lui a été demandé à l’appui d’une « demande de remise ou modération », son impossibilité de payer les 77 000 euros réclamés, même ramenés entre temps, par le jeu de « dégrèvements », à 47 000 euros, soit DEUX ANNEES de son revenu total actuel (24 000 euros en 2008) et près du triple de ses économies d’une vie.
Quant à la Trésorerie, après avoir reçu plus de 7 000 euros d’acomptes, elle a ajouté à la sauce 3 500 euros de « frais » qu’elle justifie par deux commandements de payer. Cher, le barème, si barème il y a ! Et elle a entrepris, depuis un an et demi, de recouvrer l’impôt à la source par des saisies-arrêts sur sa retraite dont elle ne lui laisse qu’à peine la moitié. Là, pas de « bouclier fiscal » . On ne lui laisse même pas de quoi manger, une fois payés son loyer et les mensualités des prêts usuraires qu’il a dû contracter pour faire face à un revenu devenu négatif et pour lesquelles il a dû débourser plus de 8 000 euros en un an et demi ! On peut d’ailleurs s’étonner qu’en période de crise et alors que tant de ménages sont surendettés, les Pouvoirs publics n’aient rien fait pour faire baisser significativement le taux de l’usure qui dépasse 20 % par an, sans compter la sauce (assurance et frais divers) qui frise parfois 10 % supplémentaires !
En résumé, cette imposition délirante a fait fondre la quasi totalité des modestes économies de ce contribuable et généré pour lui plus de 10 000 euros de dépenses nouvelles.
Toutes les démarches faites depuis un an sont demeurées vaines, auprès du Centre des impôts, maître du montant de l’imposition, auprès de la Trésorerie, chargée de la recouvrer, auprès du conciliateur fiscal, auprès enfin de la déléguée du médiateur de la République qui ne peut intervenir qu’en cas de faute avérée de l’administration.
Notre retraité s’est alors adressé à son député, garant du respect des lois par le pouvoir exécutif dont l’administration est le bras armé. La loi vise notamment à protéger de la misère tout résident de plus de 25 ans en lui assurant un revenu minimum, devenu le RSA, ou une allocation de solidarité aux personnes âgées. Deux lettres adressées par ce député au Ministre du Budget sont restées sans effet.
Tel Don Quichotte ferraillant sans cesse en vain, notre retraité n’a gagné aucun de ses combats. C’est le pot de terre contre le pot de fer. Comment peut-on, pour une faute purement formelle, spolier quelqu’un du peu qu’il possède, le priver de toute ressource et le contraindre, pour subsister, à s’endetter jusqu’à la fin de ses jours ? Même les serfs de l’ancien régime, taillables et corvéables à merci, n’étaient pas plus mal traités.
Lorsque l’ultime recours possible en France aura été épuisé, auprès du tribunal administratif et de sa cour d’appel dont une décision équitable n’est pas acquise, il lui restera à saisir le tribunal d’instance de la Cour européenne des droits de l’homme, à Strasbourg, et peut-être la Cour de Justice des Communautés européennes à Luxembourg, ce qui nécessitera le concours d’un avocat spécialisé. Qui avancera les frais ? Et combien de temps faudra-t-il pour obtenir gain de cause ?
Dans l’immédiat, ce contribuable saigné à blanc a donc été contraint de saisir la commission de surendettement qui saura, mieux que lui, négocier des délais auprès de l’administration fiscale et une consolidation de ses prêts avec un intérêt supportable, tout en lui laissant, loyer payé, un minimum vital égal au RSA.
C’est Pierre Bellemare, je crois, qui terminait ainsi ses émissions : « Il y a toujours quelque chose à faire. ». Réagissez à cet article, signalez d’autres cas et, si vous voyez quelque chose à faire, écrivez directement à l’auteur : [email protected]
Jean-Claude Charmetant.
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