Berkeley, une université asiatique aux États-Unis !
Les étudiants de la célèbre université de Berkeley viennent presque tous de pays asiatiques. Est-ce vraiment une bonne chose pour les États-Unis ? Pas vraiment !

Pour « La Revue », Richard Milne a interrogé Jean-Yves Le Gall, le PDG d’Arianespace.
Il lui a posé cette question : selon vous, est-ce un problème que les Asiatiques se tournent de préférence vers les États-Unis quand ils veulent s’expatrier ?
Jean-Yves Le Gall répondit :
Oui, c’en est un. J’ai passé une partie de mon doctorat, il y a presque trente ans, à l’université de Berkeley et j’y reviens chaque année. À l’époque, il n’y avait que des Américains. Aujourd’hui, ce sont pour moitié des Chinois et pour moitié des Indiens ; il n’y a plus d’Américains ou de scientifiques venant d’autres parties du monde. Ce sont tous ces gens qui ensuite produisent les innovations et stimulent l’économie mondiale.
© La Revue/Financial Times
Dans la question de Jean-Yves Le Gall figurait l’idée d’une expatriation. Effectivement, il y a une dizaine d’années, les Asiatiques traversaient les océans, non seulement pour faire des études qu’ils ne pouvaient faire chez eux, mais aussi pour rester ensuite aux États-Unis, où des ponts d’or leur étaient proposés. Mais ce n’est plus tout à fait le cas aujourd’hui.
Depuis, l’Inde et la Chine se sont considérablement développées, et offrent à leurs étudiants des situations assez comparables à celles qui leur sont offertes aux États-Unis. D’autre part, si les É-U restent encore en pointe par rapport au reste du monde dans beaucoup de secteurs technologiques, environ 40% de leurs usines de production ont été délocalisées, précisément le plus souvent en Asie.
Il en est résulté le fait que les gouvernements asiatiques cherchent logiquement à créer, en amont de leur industrie, les unités de recherche qui leur font défaut pour accroitre leur compétitivité en aval. La majeure partie des étudiants asiatiques de Berkeley retourne donc dans leurs pays, études faites, ou après avoir passé deux ou trois années de pratique dans de grands groupes étasuniens.
Cette évolution ne devrait pas surprendre les Étasuniens, car la même chose s’est produite avec le Japon après la Seconde Guerre mondiale. Les Japonais ont commencé à produire des objets assez frustes au début de leur renaissance après 1945, puis ont envoyé leurs étudiants se former aux É-U, et ont ensuite damé le pion aux États-Unis dans beaucoup de secteurs technologiques.
C’est ainsi que des groupes très puissants, tels que Canon, Toyota, Mitsubishi, Sony et bien d’autres, se sont créés, ont produit des matériels plus compétitifs que ceux des entreprises étasuniennes, les ont d’abord exportés aux É-U, puis ont fini par installer leurs propres usines dans ce pays. Il n’y a guère d’autre explication à la quasi-disparition des industries automobiles, photographiques et autres aux États-Unis. Et c’est maintenant à l’Inde et surtout à la Chine d’en faire autant.
Il y a toutefois une différence de taille entre ces deux mutations, celle du couple Inde/Chine d’une part, et celle du Japon d’autre part. C’est que, si le Japon a réussi cette transformation remarquable avec une population inférieure à celle des É-U [en 1945 : 120 millions de Japonais contre 135 millions d’Étasuniens], l’Inde et la Chine opposent de leur côté près de deux-milliards-cinq-cents-millions d’habitants (2 500 000 000) à trois-cents-dix-millions d’Étasuniens (310 000 000) aujourd’hui ! Soit huit fois plus !
Pour réussir, le Japon a dû donner la primauté de son développement à l’exportation, son marché intérieur étant de dimension réduite, et ayant été rapidement saturé. Par contre, l’Inde et la Chine, après avoir assis leur « émergence » économique sur l’exportation comme l’avait fait le Japon, disposent encore à présent de marchés intérieurs immenses, et à peu près sous-développés.
L’une et l’autre peuvent à présent retourner leur dispositif économique stratégique vers leur propre population, ce qui explique leur sortie de crise beaucoup plus précoce que celle des pays développés, comme je l’avais d’ailleurs annoncé dans un article antérieur du 7 juillet 2009 [La bataille du dollar].
Je suis même persuadé que, tout au moins en ce qui concerne la Chine, cette situation résulte d’un plan stratégique parfaitement coordonné, conçu et arrêté depuis Deng Xiao Ping. Elle image tout à fait la puissance de la pensée chinoise, notamment celle qui s’appuie sur « L’art de la guerre de Sun Tsu », qui peut tout aussi bien s’appliquer à la stratégie économique qu’à celle des champs de bataille.
[Sur la pensée chinoise, lire les ouvrages de François Jullien]
http://andreserra.blogauteurs.net/blog/
L’université de Californie, Berkeley est reconnue comme l’une des cinq meilleures universités dans le monde aux côtés de Harvard, l’université de Cambridge, l’université d’Oxford et l’université Stanford. En 2007 et 2008, elle est classée au 3e rang des meilleures universités dans le monde par l’université de Shanghai.
Au milieu du XXe siècle, le campus de Berkeley vécut son âge d’or, en physique, chimie et biologie, si bien qu’on la surnomma « l’Athènes de l’Ouest ». À cette époque l’utilisation du cyclotron, inventé par Ernest Orlando Lawrence permit aux physiciens travaillant sur le campus de découvrir la plupart des éléments chimiques plus lourds que l’uranium, occasion d’engranger de nombreux prix Nobel. Deux de ces éléments, le berkélium et le californium furent ainsi nommés en l’honneur de cette université. Deux autres, le lawrencium et le seaborgium rendent hommage à deux professeurs Ernest Orlando Lawrence et Glenn T. Seaborg.
Cet article répond aux règles de la nouvelle orthographe
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