La voiture coûte cher au Brésil. On peut même avancer sans trop se tromper que le Brésil a, à part la cité-état de Singapour, la voiture la plus chère du monde. Il suffit de voir les deux exemples ci-dessous où l’on compare le prix d’une Audi A4 (berline 2.0 essence TFSI multitronic) et d’une Peugeot 207 (1.4 essence 75CV 3p) dans différents pays, les prix étant convertis en euros.
PAYS
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PRIX
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MONNAIE
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PRIX EN EUROS
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DIFFERENCE EN %
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1er cas : Peugeot 207
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Singapour
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102 900
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dol sing
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60 390
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368,1%
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Bresil
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36 990
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real br
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15 884
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23,1%
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Grèce
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14 330
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euro
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14 330
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11,1%
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Australie
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18 990
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dol aus
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14 212
|
10,2%
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Afrique du Sud
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142 900
|
rand
|
14 204
|
10,1%
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France
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12 900
|
euro
|
12 900
|
base
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Maroc
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142 900
|
dirham mar
|
12 652
|
-1,9%
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Russie
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449 000
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rouble
|
10 821
|
-16,1%
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Mexique
|
149 900
|
peso mx
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8 074
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-37,4%
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Chili
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8 190
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dol usd
|
5 807
|
-55,0%
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2ème cas : Audi A4
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Singapour
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192 800
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dol sing
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113 192
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235,4%
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Bresil
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134 900
|
real br
|
57 887
|
71,5%
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Australie
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58 900
|
dol aus
|
44 104
|
30,7%
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Argentine
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53 650
|
dol usd
|
38 054
|
12,8%
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Belgique
|
37 669
|
euro
|
37 669
|
11,6%
|
Afrique du Sud
|
369 000
|
rand
|
36 678
|
8,7%
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Allemagne
|
33 750
|
euro
|
33 750
|
base
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Russie
|
1 364 100
|
rouble
|
32 875
|
-2,6%
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Emirats Arabes Unis
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139 000
|
dirham uae
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26 832
|
-20,5%
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USA
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32 500
|
dol usd
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23 052
|
-31,7%
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Une Peugeot 207 coûte 23,1% plus chère qu’en France, tandis qu’une Audi A4 est 71,5% plus chère.
Comment a-t-on pu en arriver là et pourquoi les Brésiliens ne se posent-ils pas la question ou si peu ? Le salaire moyen net au Brésil se situe aux alentours de 1.200 BRL (real, reais au pluriel en portugais), soit environ 500 euros. Il m’a été difficile de trouver le salaire moyen en France, mais le lecteur fera vite la comparaison. Sans aller plus loin dans la question des salaires, un mot me vient à l’esprit pour dénoncer cette situation de fait : ARNAQUE !
Et cette arnaque se décompose en trois parties comme je vais essayer de l’expliquer ci-après :
- Protectionnisme (taxes à l’importation)
- Aides publiques pour les constructeurs qui s’installent au Brésil
- Le « lucre » Brésil
Il est difficile de traiter une des 3 parties précédentes sans parler des autres et surtout dans le bon ordre, vu qu’elles sont complètement imbriquées. Je commencerai donc l’explication en parlant de l’invasion des constructeurs chinois au Brésil.
Ils se sont installés peu à peu en 2009, d’abord discrets puis de plus en plus voyants. C’est véritablement en 2011 qu’ils se sont définitivement imposés. Chery, Lifan et JAC pour ne citer qu’eux (Geely est sur le point d’arriver également) ont maintenant construit de flamboyantes concessions, surtout au sud et sud-est du pays. Tout ne se fait pas sans douleur, les réclamations affluent déjà au PROCON , principal organisme de défense du consommateur. Service après-vente défaillant, manque de pièces de rechange…En Europe, les Chinois n’ont pas encore réussi à entrer dans le marché commun. Problèmes de fiabilité et de sécurité ont empêché l’invasion. Au Brésil par contre, on est plus condescendant de ce point de vue. Il faut bien dire qu’une voiture de construction locale, qu’on nomme « populaire », n’a pas d’airbags dans sa version de base, ni de freins ABS, ni de radio, ni de verrouillage centralisé… et j’en passe.
Par contre, les voitures chinoises sont vendues avec un bon nombre d’options intégrées dans l’offre de base. Il existe des exemples de voitures très bien équipées à un prix beaucoup plus bas que les voitures brésiliennes. Le modèle QQ de Chery arrive avec un prix populaire, plein d'équipements de série, certains d'entre eux inexistants même dans les voitures de catégorie supérieure, tels que l’airbag double et l'ABS, ainsi qu'un lecteur de CD et un détecteur de stationnement. La voiture coûte 22.990 BRL (9.580 euros), parce que l'importateur a souffert des pressions des concessionnaires pour ne pas baisser le prix encore plus. L'idée originale, dit le président de Chery au Brésil Luiz Curi, était de vendre la QQ 19.900 BRL, soit 8.290 euros TTC.
Suite à cet état de fait, le gouvernement brésilien a décidé le 15 septembre dernier d’augmenter de 30% l’impôt IPI (Imposto sobre Produtos Industrializados). Pour les véhicules importés. Cette mesure visait bien évidemment les voitures chinoises, mais des marques traditionnelles comme BMW et Audi en pâtissent également. L’impact sur le prix final au consommateur est estimé entre 25 et 30%.
Cette mesure a eu une conséquence quasi instantanée. Le ministre de la Fazenda (des finances), Guido Mantega, a annoncé des promesses d’investissement de plus de 5 milliards de dollars US en usines de montage au Brésil. Il a renchéri que la mesure prise était un succès (sic). Au total, toutes les marques investiront pour un total de 21 milliards de dollars US entre 2011 et 2014 pour pouvoir produire davantage au Brésil !
On en arrive au deuxième volet de l’arnaque, les aides publiques. Et c’est là que ça commence à devenir vicieux. On peut se demander d’où viendra l’argent pour honorer ces investissements prometteurs, en temps de crise mondiale. Une partie viendra certainement des fonds des entreprises, ainsi que d’institutions bancaires internationales. Mais ce que personne ne veut dire ouvertement, c’est que la majorité des ressources financières sera fournie par des aides publiques, que ce soit via la banque publique BNDSE (Banco Nacional de Desenvolvimento Econômico e Social) ou via des diminutions d’impôts ou autres stimulants à l’installation. C’est une économiste de l’université de Campinas (UNICAMP) qui a fait des recherches et en a présenté les résultats lors de son doctorat en 2001. Elle explique la guerre que se font les états pour avoir les usines de montage sur leur sol. Voici deux exemples bien concrets pour illustrer cette politique :
- L’usine Renault de São José dos Pinhais (Parana) a coûté 1 milliard de reais (417 millions d’euros) dans les années 90. Mais Renault a reçu 353 millions de reais (147 millions d’euros) de primes et abattements fiscaux divers. De plus, le gouvernement du Parana a acheté pour 300 millions (125 millions d’euros) d’actions de la société.
- Un autre exemple : Fiat, qui avait décidé de construire une seconde usine de montage au Brésil, s’est laissée convaincre d’investir dans l’état de Pernambuco. Enfin, investir est un bien grand mot ! Accrochez-vous : En fin d’année passée, profitant de la fin du Gouvernement Lula et des élections, des arrangements très secrets ont eu lieu pour concrétiser cette entreprise. Conséquence, Fiat a commencé à lever en juillet 5,8 milliards (2,42 milliards d’euros) de fonds publics pour financer son complexe industriel du Nord-est. Selon des sources officieuses, révélées par le journal Folha de Pernambuco, 1,2 milliard (500 millions d’euros) viendrait du Fond de Développement du Nord-est (FDNE), 800 millions (333 millions d’euros) de la banque du Nord-est (BNB) et 3,8 milliards (1,58 milliard d’euros) du BNDS. Le coût de l’investissement est estimé à 4 milliards (1,67 milliard d’euros). Pour finir, il paraît que Fiat cherche d’autres moyens de financement pour les fournisseurs et autres sociétés du groupe qui vont s’installer à côté de l’usine de montage et ce sans préciser d’argent extérieur. Conclusion, investissement = 4 milliards et cadeaux = 5,8 milliards (sic !). Dans le genre, on ne fait pas mieux…
Tous les constructeurs étant installés au Brésil ont reçu ce genre d’aide et les Chinois qui veulent leur part de marché vont vite s’empresser de construire des usines. Cela n’en vaut-il pas la peine ? Ainsi que pour des sociétés européennes, délocaliser, comme on dit ?
Il reste maintenant le dernier volet de cette super arnaque à la brésilienne : le « lucre » Brésil. Qu’est-ce que c’est ? Revenons à la Peugeot 207 sans airbags, ni freins ABS, ni radio…etc. Vendue au Brésil à un prix de 23% supérieur au prix français. La voiture est construite au Brésil, avec de la main d’œuvre locale (salaire moyen : 500 euros), avec de l’acier brésilien (1er producteur de fer du monde) et la voiture est plus chère, c’est le « lucre » Brésil !
Bien sûr, les constructeurs ont leurs arguments pour expliquer cette situation : la fiscalité élevée, la main d’œuvre plus chère (ça, il faut l’oser), le faible volume de production (le Brésil a terminé l'année 2010 cinquième producteur de véhicules au monde et comme quatrième marché consommateur, avec 3,5 millions d'unités vendues sur le marché interne et avec une production de 3,7 millions d'unités) et le coût du capital.
Autre point de vue, l'analyste Adam Jonas de Morgan Stanley, qui a dirigé une étude sur le sujet, a conclu que, globalement, les marges de profit des constructeurs automobiles au Brésil arrivent à être trois fois plus élevées que dans d'autres pays. Voici un exemple parlant : La Honda City. Fabriquée dans l'état de São Paulo, elle est vendue au Mexique pour 28.725 BRL (11.969 euros) en version LX. Dans ce prix, le fret de 3.500 BRL (1.458 euros) y est inclus ainsi que le bénéfice à la revente d'environ BRL 2.000 (833 euros). Reste donc BRL 23.225 (9.677 euros). Ce dernier prix étant donc le prix de revient de la voiture au Brésil plus la marge bénéficiaire du constructeur.
Si maintenant, on ajoute à ce prix de revient les taxes imposées par le gouvernement fédéral brésilien, on obtient 35.384 BRL (14.743 euros). En comptant une marge du concessionnaire de 15%, le prix de vente au Brésil devrait être de 40.692 BRL (16.955 euros). Or, le prix de vente réel est de 57.420 BRL (23.925 euros)…
Voilà pourquoi la voiture brésilienne est si chère.
Ah oui, j’oubliais, avec cette augmentation de 30% de l’IPI pour faire s’établir les constructeurs chinois et qui rentre en application dés ce lundi 19 décembre 2011, l’Audi A4 ne coûtera plus l’équivalent de 57.887 euros (voir tableau ci-dessus), mais de 71.384 euros. Ne serait-ce pas que la boucle est bouclée pour ces cochons de payeurs brésiliens ?
Sources :