Changement climatique, économie : les marchés de permis d’émissions de CO2 (cap and trade)
A l’approche
de la Conférence climatique de Copenhague (12-17 décembre 2009), il est bon de rappeler certains mécanismes économiques prévus par le Protocole de Kyoto. Jean-Michel
Bélouve explore aujourd’hui le fonctionnement du système « cap and trade », c’est
à dire les marchés d’échanges de permis négociables. Une analyse plus approfondie figure dans le livre que Jean-Michel Bélouve publie
dans une huitaine de jour : « la Servitude Climatique,
changement climatique, business et politique » aux éditions LIBER MEDIA
(ISBN 978-2-9535632-0-7).
Lorsque le Protocole de Kyoto fut négocié, les nations membres se sont accordées sur une démarche que le langage populaire qualifia de « principe pollueur-payeur ». Partant de l’hypothèse que l’accumulation de gaz à effet de serre dans l’atmosphère conduisait à des élévations de températures globales excessives à long terme, il fut admis que la concentration maximum en « équivalent CO2 » devait se situer aux alentours de 450 ppm (soit 450 molécules de CO2 pour un million de molécules de tous les gaz constituant l’atmosphère). J’ai déjà développé le caractère contestable de cette théorie fondée sur de la pseudoscience ».
Je n’y reviendrai pas. Nous allons donc faire comme si le CO2 et les autres gaz à effet de serre représentent un réel danger pour l’humanité, considérer que cette limite de 450 ppm est la bonne, et évaluer les mesures financières prises pour modifier le comportement des « pollueurs » à l’aulne de ce critère.
Plusieurs solutions pouvaient être envisagées par les membres des conférences ayant abouti au Protocole de Kyoto :
1. la limitation autoritaire des émissions de gaz à effet de serre de la part des agents économiques, assortie de sanctions dissuasives en cas d’infraction (système de quotas).
2. des mesures fiscales telles que la taxation des émissions, ou encore la taxation des énergies fossiles dont la combustion dégage du CO2 (les « taxes carbone »).
3. ne rien faire, en observant que la raréfaction progressive des ressources en hydrocarbures et en charbon devait faire croître les prix de ces matières premières dans une telle proportion que les agents seraient conduits à rechercher d’autres sources d’énergie.
Les membres signataires ont d’emblée écarté cette troisième solution, jugée inefficace, pour se rallier à un système de quotas dans lequel la sanction était remplacée par un mécanisme d’échanges de droits qui permettaient à un agent ayant dégagé plus de CO2 qu’il n’était autorisé d’acheter des permis supplémentaires à des agents qui étaient demeurés au dessous de leurs quotas d’émission. De cette disposition allait découler la mise en place de systèmes appelés « cap and trade » ou encore marchés d’échanges de permis négociables ou enfin des « Emissions Trading Schemes », ETS, plans d’échanges d’émissions, dont je propose d’évaluer les résultats pour la période 1998-2009.
Al Gore et Maurice Strong lancent la Bourse carbone de Chicago
La première bourse du carbone fut créée à Chicago, en 2003 : le Chicago Climate Exchange, plus souvent dénommé le CCX. Ses promoteurs furent l’ex-Vice Président et candidat malheureux à la présidence Al Gore, ainsi que le puissant numéro deux de l’ONU, Maurice Strong, le stratège du sommet de la Terre de Rio (1992), Conseiller spécial du Secrétaire Général l’ONU, Kofi Annan. Le CCX est une entreprise privée, indépendante du pouvoir et des instances internationales. Pour le concevoir et le diriger, Al Gore et Maurice Strong firent appel à un expert des produits dérivés boursiers, Richard L Sandor, actuellement Chairman de l’entreprise. Sandor s’était illustré dans les années 1980 en créant une bourse d’échanges de droits concernant les émissions de gaz responsables des pluies acides. Le financement initial a été trouvé auprès de 13 entreprises du Nouveau Monde, avec l’aide efficace de la Joyce Foundation, association philanthropique de Chicago. Notons que les statuts et documents juridiques du CCX ont été élaborés par un jeune avocat et sénateur de Chicago, membre du Board de la Joyce Foundation, Barak Obama. Maurice Strong apporta quelques fonds et fut nommé membre du Board of Directors . Al Gore intervient dans le financement du CCX par son « Hedge Fund » Generation Investment Management (GIM), et a attiré au capital du CCX la banque Goldman Sachs, qui détient 10% des actions. On note encore, au sein de l’Advisory Board, la présence du Président du GIEC Rajendra K Pachauri, (qui intervient à titre personnel, et non es qualité). L’implication de Maurice Strong et de Rajendra Pachauri dans cette affaire privée n’a rien d’exceptionnel, car il est de pratique assez courante que les hauts fonctionnaires de l’ONU aient leurs propres affaires privées, en tant que dirigeants ou consultants d’entreprises.
Le CCX donnait de grands espoirs à ses fondateurs, qui imaginaient le développement rapide d’un marché nord américain des permis négociables. Mais le refus de Georges Bush d’engager les USA dans le processus de Kyoto maintint le CCX à un faible niveau d’activité. Quatre vingt grandes entreprises multinationales devinrent des partenaires qui s’entendirent pour limiter volontairement leurs émissions et vendre ou acheter des permis négociables sur le marché de Chicago. L’arrivée d’Obama à la présidence apporta de grands espoirs à ces dirigeants du CCX. Si le Waxman Markey Bill est voté , les Etats Unis seront dotés d’un système officiel de cap and trade, et dès lors les échanges de permis pourraient atteindre des milliers de milliards de dollars. C’est dire les pressions qui s’exercent sur les sénateurs, y compris de la part de l’ONU, dont dépend tout l’avenir du CCX et de la filière du risque climatique nord américaine. Mais le vote est maintenant reporté à l’an 2010, et apparait plus qu’incertain. En attendant, les échanges portent sur de faibles volumes, et les cours varient entre un et quatre dollars la tonne de carbone, soit huit fois moins qu’à la bourse européenne BlueNext.
BLUENEXT, le numéro 1 du cap and Trade
Le CCX a une filiale européenne, l’ECX. Il existe aussi une bourse canadienne, le Montreal Climate Exchange. Mais la seule bourse importante est l’européen BlueNext, filiale commune d’Euronext-NYSE et de la Caisse des Dépôts et Consignations. On y échange les permis européens EU ETS, sur le marché spot et à terme, ainsi que les permis correspondant aux programmes bénéficiant des mécanismes de flexibilité du Protocole de Kyoto, le Mécanisme de Développement Propre (MDP) et de la Mise en Œuvre Conjointe (MOC).
Le MDP est un système qui permet à des entreprises soumises au « cap and trade » d’acquérir des permis négociables en investissant dans les pays en développement pour y accroître l’efficacité énergétique, ou développer les puits de carbone que constituent les forêts. La MOC, quand à elle, est un mécanisme semblable entre pays développés et se développe avec les investissements réalisés en Europe Centrale et les pays de l’ancienne URSS, par les entreprises de la partie occidentale de l’Union européenne.
Le système européen présente deux défauts majeurs : l’extrême volatilité des cours de ce produit virtuel qu’est la tonne de CO2, qui permet de se procurer des certificats ETS à des prix dérisoires lorsque l’offre est trop élevée, mais qui peut constituer un frein à la croissance lorsque l’activité industrielle augmente ; également le fait que, comme les quotas sont attribués gratuitement par les états, et que leur niveau à été le plus souvent fixé en fonction de prévisions optimistes de croissance économique, la demande des industriels est relativement faible, et le marché est surtout alimenté par la spéculation. Les ONG environnementales, Nicolas Hulot et bien d’autres estiment le système inefficace en regard des objectifs poursuivis.
Pour remédier aux effets pervers observés pendant la période 2005-2008, la Commission européenne a pris plusieurs dispositions dans le « Paquet Energie Climat » convenu en décembre 2008, et qui s’appliqueront à partir du 1er janvier 2013. Les grands principes retenus sont la limitation des émissions industrielles de gaz à effet de serre, en 2020, à un niveau inférieur de 20 % à celui de 1990, et surtout, le principe de la vente aux enchères des quotas d’émission, chaque état transformant son quota en certificats ETS, les répartissant entre les secteurs économiques concernés, puis les vendant par lots aux mieux offrants de chaque secteur. Ce mécanisme est redoutable. Compte tenu de la forte dégressivité des objectifs d’émissions, il est susceptible d’occasionner des batailles d’enchères très coûteuses dans certains secteurs, et d’obliger les perdants à aller chercher des certificats auprès de pays traditionnellement bien dotés du fait du choix de l’année de référence 1990, tels que la Russie, la Roumanie, la Bulgarie, la Slovaquie, ou encore à investir massivement en technologies propres dans les programmes agréés au titre du MDP dans les pays en développement.
Carbone en fuite
Une fronde s’est alors développée chez les industriels concernés : installations de plus de 20 mégawatts dans les secteurs de la production d’électricité à partir de charbon, gaz ou fuel, du raffinage pétrolier, de la sidérurgie, la métallurgie, la chimie et les engrais, les cimenteries, verreries, céramiques et terres cuites, l’agroalimentaire, le transport aérien. Il était clair que nombre de ces industries perdraient une part de leur compétitivité, notamment par rapport à leurs concurrents installés dans des pays en développement non soumis à limitation de leurs émissions. Les représentants de ces branches industrielles agitaient l’épouvantail de délocalisations massives. La Commission européenne décida de revoir sa copie. Les mises aux enchères seraient progressives. D’abord, 12% du quota européen serait attribué gratuitement à des pays moins prospères : la Bulgarie, la République tchèque, l’Estonie, la Hongrie, la Lettonie, la Lituanie, la Pologne, la Roumanie et la Slovaquie. D’autre part, on attribuerait en 2013 80% des quotas individuels gratuitement, et 20% seraient mis aux enchères. Les parts des enchères s’élèveraient progressivement, jusqu’à 70% en 2020 et 100% en 2028.
Ce n’était pas suffisant. Il convenait d’examiner au cas par cas l’exposition à la concurrence étrangère de chaque secteur, pour parer au risque, prévisible, de la reconduction de l’absence de limitation des émissions pour les pays en développement. Une armée de fonctionnaires européens et nationaux se mirent à cogiter en compagnie de multiples représentants de branches et de secteurs professionnels, avec le secours d’autant d’experts, de traducteurs et de petites mains. 164 secteurs industriels furent recensés comme étant susceptibles de procéder à d’importantes délocalisations , des « fuites de carbone » selon une expression de plus en plus utilisée. Ces cent soixante quatre industries bénéficieront, pendant cinq ans, de larges exemptions, actuellement à l’étude. D’autres secteurs pourraient s’ajouter à la liste des 164. Ainsi la commission, telle la belle Pénélope, tisse de jour une magnifique tapisserie dont elle se pare pour la détricoter la nuit venue ! Mais Nicolas Sarkozy et Angela Merkel regimbent. Il ne faut pas d’exemptions, mais il faut mettre une barrière aux frontières européennes contre le dumping des pays qui n’adoptent pas de contraintes financières contre leurs industries polluantes , et le couple franco-germanique a adressé une missive au Secrétaire Général de l’ONU, le 22 septembre, pour qu’une telle disposition soit prévue aux accords à soumettre à la Conférence climatique de Copenhague de décembre prochain. « Il ne serait pas acceptable », écrivent les deux complices, « que les efforts des pays les plus ambitieux soient compromis par la fuite de carbone qui résultera de l’abstention ou de l’insuffisance de certains. Pour cette raison, il faut qu’il soit possible de mettre en place des mesures appropriées d’ajustement à l’encontre des pays qui ne respectent pas ce traité ou n’y sont pas partie ». Nous examinerons ce problème de taxes douanières dans l’autre article.
L’électricité 60% plus chère !
Il est une industrie qui ne craint pas les délocalisations. Il s’agit de la production d’électricité des centrales thermiques au charbon ou au gaz. Aussi, pour elles, il n’y aura pas de régime de faveur, et elles devront enchérir pour se procurer 90% de leurs quotas de permis. Cela pose un sérieux problème aux Polonais, aux Danois, aux Belges, et surtout aux Allemands. Ces derniers produisent 80% de leur électricité à partir du charbon, et se sont lié les mains en promulguant une loi interdisant la construction de centrales nucléaires et prévoyant le démantèlement des centrales existantes avant 2020. Il ne leur en reste plus que douze, qui étaient promises à fermeture à court terme, et que l’arrivée au pouvoir des libéraux du NDP vont probablement sauver. Le salut, pense Madame Merkel, viendra de l’équipement des centrales charbonnières en dispositifs de séquestration du carbone. Hélas, Madame la Chancelière, l’Allemagne ne dispose pas suffisamment de sites pour stocker le CO2 de centrales qui produisent 80% de l’électricité distribuée dans le pays ! Et surtout, séquestrer le carbone enchérit le prix de revient du kilowattheure de 60%, et gaspille 30% du charbon à réaliser les funérailles du gaz délétère ! Ce n’est pas rien, lorsqu’on parle de sauvegarde des ressources naturelles ! Le prix de l’électricité allemande obèrera tous les coûts des activités qui en consomment, diminuera le pouvoir d’achat des entreprises et des ménages. EDF se frotte les mains. Son électricité nucléaire gagnera des parts de marché dans la partie occidentale de l’Allemagne. Gageons que les quatre producteurs d’électricité allemands tenteront de limiter les dégâts en renonçant à la séquestration, et sauront s’entendre pour ne pas faire monter les enchères. Ils se procureront les permis manquant sur le marché international des MDP, des MOC et des pays d’Europe de l’Est, ce qui devrait soutenir les cours de BlueNext !
La Commission européenne hors la loi.
La Pologne semble avoir trouvé la parade. Je rappelle comment sont fixés les quotas nationaux. Chaque pays établit un plan, un PNAQ, un Plan National d’Allocations de Quotas, qu’il soumet aux sages de Bruxelles. La Commission donne son agrément (ou le refuse). Nos amis polonais ont calculé très large, comme tous leurs voisins de l’ex-Pacte de Varsovie. Bruxelles a invalidé leurs plans, et la Pologne, de conserve avec l’Estonie, a saisi la Cour Européenne de Justice, qui a rendu son verdict, en première instance, le 23 septembre 2009 . La Cour a annulé la décision de la Commission de Bruxelles pour « excès de pouvoir ». Eh oui ! Le Traité de Lisbonne n’était pas encore en vigueur, et les nations gardent encore un peu de souveraineté. BlueNext a aussitôt réagi par une baisse sensible du cours de la tonne de CO2. Dans la foulée, les autres nations d’Europe centrale introduisent des recours, Hongrie, Lituanie et Slovaquie en tête. La Commission fera-t-elle appel ? Il apparait que le jugement de première instance est bien fondé, et rappelle de façon cinglante à l’Union Européenne quelle est la limite de ses pouvoirs.
Tout cela ne sert à rien !
Mais les mésaventures byzantines de l’Europe nous éloignent de notre préoccupation première. Va-t-on limiter, avec tout cela, la concentration atmosphérique en CO2 à 450 ppm ? Surement pas, d’après les courbes du GIEC. Si les pays en développement continuent à connaître une croissance élevée, et il faut le leur souhaiter, le taux de CO2 s’élèvera bien au-delà d’ici 2050 (+150%, dans l’hypothèse d’une croissance de 6% l’an et d’émissions augmentant de seulement 3% l’an). Toutefois, il semble que l’augmentation des concentrations atmosphérique en dioxyde de carbone augmente bien moins vite, à mesure que s’élèvent, de façon exponentielle, les émissions de CO2. Mais cela relève du domaine scientifique, dont le présent article ne traite pas.
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