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De l’intelligence économique à... la déstabilisation

Au croisement de la société de l’information et de l’économie de la connaissance, l’information est devenue une ressource stratégique qu’il est crucial de recueillir, d’exploiter et de protéger, mais dont il faut aussi savoir se protéger : car sous la forme de rumeurs, l’information peut aussi devenir une arme redoutable.

Quelle est aujourd’hui la principale ressource stratégique d’une entreprise ? A cette question, la plupart des décideurs répondrait certainement : l’information. Plus encore que par son patrimoine financier, sa cotation boursière ou son parc immobilier, la véritable valeur des firmes dépend en effet désormais de son patrimoine immatériel, c’est-à-dire de la somme des informations et des connaissances utiles qu’elle détient. Comme me le confiait un patron avec un certain sens de la formule : « Mon pire cauchemar n’est pas d’être confronté à l’incendie de l’un de nos site de production, c’est celui de voir un de nos brevets tomber dans le domaine public ou d’apprendre la défection d’un expert passant à la concurrence… »
 
Dans l’économie de la connaissance, c’est en effet la maîtrise de l’information qui représente le principal avantage compétitif. Un constat qui explique bien sûr l’essor de l’intelligence économique. Selon une définition désormais classique, due au Commissariat général au plan, « l’intelligence économique peut être vue comme l’ensemble des actions coordonnées de recherche, de traitement et de distribution, en vue de son exploitation, de l ‘information utile aux acteurs économiques. Ces diverses actions sont menées légalement avec toutes les garanties de protection nécessaires à la préservation du patrimoine de l’entreprise. »
 
Au-delà du recueil et de l’exploitation de l’information, l’intelligence économique vise donc bien aussi à la protection de l’information. Elle comprend un volet défensif absolument essentiel quel que soit la taille ou le secteur d’activité. Car, en raison de la globalisation des marchés et de l’exacerbation de la concurrence le nombre des entreprises potentiellement visées par des actions d’espionnage croit de façon exponentielle. « En 2006, révèle le site NetPme, une étude des Renseignements généraux révélait que 75 % des entreprises françaises visées par une attaque extérieure comptaient moins de 500 salariés ».
 
Bien sûr, plus les enjeux économiques sont importants, plus le risque est grand. Inutile de dire que pour les multinationales, la sécurisation de l’information sensible, quelle soit technologique ou commerciale, est devenue une seconde nature. Que l’on songe seulement au culte du secret entretenu par une firme comme Apple sur ses nouveaux produits. Et lorsque les entreprises agissent dans des secteurs ayant un impact pour la sécurité, la défense ou la souveraineté des États, le niveau de risque monte bien sûr encore d’un cran.
 
Nombreuses sont les entreprises victimes d’actions de prédation informationnelle. Récemment un cadre d’Airbus s’est fait voler à l’hôtel Pulmann de Versailles son ordinateur lequel contenait des informations sensibles. Evidemment pas de trace des auteurs. Quant on connaît la véritable guerre concurrentielle sur les marchés de l’aéronautique, il est probable que les auteurs du vol ne s’intéressaient pas à la machine, mais au disque dur…
 
Même dans la télé réalité on s’observe et on utilise des méthodes douteuses. Ainsi un individu a été arrêté il y a quelques années pour avoir récupéré illégalement des photos du plateau de télévision « Les colocataires » une émission de M6 alors en préparation. Pour obtenir ce précieux butin il avait tenté de corrompre, avec 30 000 euros, un homme de ménage qui s’empressa de raconter sa mésaventure à ses patrons.
 
Leader de l’impression de haute sécurité, la société française Oberthur redoute ainsi d’être l’objet de tentatives de vol d’informations sensibles. Pourtant, les indices se multiplient avec des salariés qui se sont plaints pour s’être fait contacter par des personnes aux motivations suspectes. Un faisceau de facteurs explique que cette entreprise puisse être devenue une cible. D’abord son capital technologique : l’impression de haute sécurité exige une constante innovation technologique pour « garder un coup d’avance » sur les éventuels faux monnayeurs. Si l’on ajoute à cela sa position de leader qui doit gêner de nombreux concurrents sur ce petit marché...
 
Récemment ce fut une PME de lorraine, Converteam, qui fut la victime d’une tentative de vols d’informations par des stagiaires chinois qui finalement furent arrêtés par la DCRI. Les espions avaient tenté de photographier un moteur électrique à propulsion de très haute technologie. Converteam travaille pour l’US Navy et la Marine Nationale.
 
Toutefois, en matière d’information, le recueil, l’exploitation et la sécurisation ne représentent que la moitié du travail. En effet, les entreprises n’évoluent pas seulement dans une « économie de la connaissance » mais aussi dans une « société de l’information », d’autant plus difficile à gérer qu’avec l’essor d’Internet, l’information n’est plus du seul ressort des professionnels. Désormais tout le monde est à la fois récepteur et émetteur d’information. Les flux d’information ont connue une croissance exponentielle, facilitant grandement le travail des professionnels de la manipulation qui se meuvent avec aisance sur la Toile, se cachant dans cette multitude numérique comme des terroristes dans la foule.
 
Dans un rapport publié en 2003, Bernard Carayon, député du Tarn et expert reconnu en intelligence économique s’alarmait déjà de « l’utilisation croissante de la désinformation comme procédé de concurrence déloyale ». Il expliquait : « Il s’agit le plus souvent de rumeurs orchestrées dénigrant des produits, interprétant faussement les caractéristiques financières d’une entreprise, visant des activités commerciales jugées irrespectueuses des droits de l’homme ou dénonçant le caractère illicite du comportement des dirigeants d’entreprises. » Afin de contrer ces méthodes, il proposait même de créer un « observatoire des mauvaises pratiques commerciales » chargé de procéder au recensement, à l’analyse de ces pratiques ainsi qu’aux prescriptions susceptibles d’être apportées dans ces domaines ».
 
Faute d’avoir vu le jour, on peut parier que les tentatives de déstabilisation de concurrents à coup d’informations se poursuivent de plus belle en marge de la compétition commerciale. Un exemple parmi d’autres : la guerre de l’information que se livrent, depuis les années 80, Airbus et Boeing. Expert en management stratégique, Ziad Haja en rappelle un épisode significatif : « En pleine dispute du marché des avions longs courriers (A350 pour Airbus et B787 pour Boeing), Boeing lance une animation sur le site YouTube tournant en parodie les choix d’Airbus ainsi que la conception de l’A350. On y voit deux ingénieurs bricoleurs, “près de Toulouse” travailler sur une maquette de Boeing 787 afin de créer un Airbus. Utilisant des méthodes assez simplistes (en scotchant un moteur, en cassant des parties de l’avion notamment les ailes) pour résoudre les problèmes qu’ils rencontrent, l’objectif de la vidéo est de créer le doute sur les capacités techniques des ingénieurs d’airbus et de démontrer leur amateurisme. » Pour les experts, elle visait probablement aussi à saper le moral des salariés d’Airbus au moment ou la compagnie européenne rencontrait des difficultés dans la mise en place son programme A350 XWB.
 
Mais, ici encore, pas question de croire que seules les grandes compagnies sont concernées. En réalité, toutes les entreprises et même les individus risquent un jour d’en faire les frais. Car, à l’heure du Net, la désinformation ne coûte rien ou presque. Seul un minimum de savoir-faire est requis. Or, il se diffuse. Pour preuve, un guide pratique de le rumeur vient d’être édité en français sous un titre pour le moins explicite : « Orchestrer la rumeur. Rival, concurrent, ennemi... comment s’en débarrasser ». Consultant en entreprise et expert en intelligence économique son auteur promet : « Que vous souhaitiez vous débarrasser d'un rival, déstabiliser un concurrent ou tout simplement mettre des bâtons dans les roues de votre voisin, cet ouvrage vous permettra d'arriver à vos fins en orchestrant une rumeur adaptée à votre dessein. Partez à la rencontre de ce phénomène captivant : découvrez les mécanismes de la rumeur, apprenez à la créer, à la propager, mais aussi à mesurer son impact, à vérifier qu'elle fonctionne et que votre objectif est atteint », promet la quatrième de couverture. » Il paraît qu’il se vend très bien. C’est du moins ce que dit… la rumeur !

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YanE

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