Du sens de l’envolée des marchés financiers
La crise économique des années 2020 est très particulière. Nous assistons probablement au découplage le plus frappant entre l’économie réelle et l’économie financière. Bien sûr, ce découplage n’est pas nouveau. Mais jamais un tel grand écart n’était apparu sur un laps de temps aussi court, avec la récession la plus sévère depuis des décennies, et des marchés financiers qui battent des records…
Crise ultra-inégalitaire et bulle financière
Il y a quelque chose de profondément révoltant à constater l’écart de fortune sidérant entre une réalité bien sombre, entre pandémie et crise économique majeure, et l’effarante bulle financière qui ne cesse de grossir. D’un côté, des centaines de milliers de personnes perdent la vie, des dégâts psychologiques considérables et des conséquences économiques encore relativement limitées, mais qui seront colossales une fois que les aides seront réduites ou retirées. De l’autre, le Dow Jones a dépassé les 30 000 points, après être tombé à 18 214 fin mars, plus du double du pic enregistré avant la crise de 2008, le Nasdaq, l’indice des valeurs technologiques, a progressé de plus de 40% en 2020, un contraste saisissant avec la santé du reste de l’économie… Tous les indices sont revenus à des plus hauts.
Bien sûr, on peut arguer qu’il y a une forme de logique dans ces évolutions contradictoires. Il faut rappeler ici le rôle des politiques monétaires des banques centrales. Pour amortir la crise, elles injectent des montants colossaux de liquidités, qui ont poussé les taux au plancher, voir même en territoire négatif pour certains pays comme l’Allemagne et la France. Cela explique doublement l’envolée des marchés. D’une part, cette politique augmente mécaniquement la demande de placements, par la création de monnaie associée, et cette hausse de la demande de placement pousse logiquement les cours à la hausse. Mais parce qu’elle pousse aussi les taux au plus bas, elle augmente fortement l’attractivité des actions, dont le rendement devient largement supérieur à celui des obligations d’états.
Mais par-delà les effets assez directs de la politique monétaire, on peut aussi voir dans ce découplage une forme d’illustration du caractère profondément inégalitaire des politiques économiques menées depuis des décennies. En effet, les conséquences de la crise ne seront pas les mêmes pour tous : les pertes d’emplois et de revenus sont concentrées parmi les classes populaires, quand les classes supérieures sont bien plus épargnées. La crise accentue les inégalités croissantes de notre époque, même si les plans des gouvernements ont en partie amorti la chute. Dès 2021, la baisse des profits de l’an dernier devrait être effacée, selon les marchés ! Ceci est le nouveau signe éclatant d’un monde qui tourne pour les plus riches et les multinationales au détriment de la majorité.
La flexibilité promue par les politiques dites de l’emploi a permis aux entreprises d’ajuster plus rapidement leurs coûts en licenciant plus facilement, quand l’Etat ne paie pas le chômage partiel. Dès lors, à part pour les secteurs les plus durement frappés par la crise (tourisme, culture, restauration, communication notamment), pour un certain nombre de secteurs économiques (technologie, banques, santé, distribution alimentaire, grande consommation et d’autres), l’impact de la crise est parfois très limité quand il n’est pas carrément positif. En outre, certaines entreprises profitent de cette grande crise pour passer des provisions et se restructurer, mais il s’agit parfois d’un effet d’aubaine, dûment recompensé par des marchés financiers qui restent très optimistes sur les perspectives de profit pour 2021. Cette crise révèle plus encore le caractère inégalitaire de notre système économique.
Pour couronner le tout, à cela s’ajoute un phénomène de bulle parfaitement illustré par la multiplication par 10 des cours de Tesla ou du Bitcoin sur l’année 2020. Après être tombé à 85 dollars, l’action Tesla en vaut aujourd’hui plus de 800, propulsant la valeur de l’entreprise au-delà de la somme de tous ses concurrents ! Pourtant, j’y reviendrai prochainement, rien ne justifie une telle valorisation, qui n’est que le nouveau produit des esprits animaux des marchés, une nouvelle folie spéculative, qui finira mal. Dans la même veine, après être tombé à moins de 4000 dollars, le Bitcoin a brièvement franchi la barre des 40 000 dollars en début d’année, le double du record de fin 2017, avant de retomber quelque peu. Voici deux exemples qui démontrent que la bonne santé des marchés financiers ne repose pas que sur les fondamentaux économiques, mais aussi sur une spéculation irrationnelle et exubérante.
L’extravagante performance des marchés financiers depuis un an est décidément bien inquiétante. D’une part parce qu’elle reflète la logique d’un système économique qui met leurs intérêts bien avant celui des peuples, jusque dans les politiques des banques centrales. Mais aussi parce qu’elle est le produit d’une nouvelle bulle spéculative dangereuse, qui peut exploser à tout moment.
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