Et si on ne demandait pas aux Grecs d’aller se faire voir...
Nul ne peut l’ignorer. La Grèce est engagée dans un programme d’austérité sans précédent qui doit lui permettre d’éviter la banqueroute.
D’où vient cette crise ? Un petit retour sur sa genèse s’impose. Je vais essayer d’être simple et pédagogique. Je suis peut-être un peu prétentieux, car je ne suis pas économiste. Mais je fais le pari que vous comprendrez même si vous vous êtes arrêtés à Bac-5 de vos études en économie.
Et, pour pasticher Clémenceau, ne peut-on dire que « l’économie est une chose trop grave pour être confiée à des économistes » ?
Et ... vous aurez toujours le loisir d'aller directement à la conclusion si les préliminaires vous paraissent inutiles.
Jusqu’en 2007 l’économie grecque a été l’une des plus dynamiques de la zone euro. Grâce à l’afflux de capitaux étrangers et à des taux d’intérêt bas (merci l’euro !), la Grèce a financé sans trop de peine non seulement ses investissements (ce qui est bien – il est normal de s’endetter pour acheter un appartement, des machines, bref des biens dont la durée de vie est supérieure à la durée du prêt que vous avez contracté), mais également ses déficits structurels, c’est à dire de fonctionnement (ce qui est très mal, car si vous devez emprunter pour payer votre loyer ou faire vos courses pour le week-end, alors c’est que vous vivez au dessus de vos moyens, et il faudra bien, à un moment ou à un autre, finir par déménager, faire vos courses chez un « hard discounter » ou ne plus aller en vacances, voire les 3 à la fois).
A partir de 2008, la crise a provoqué une baisse des revenus liée à la baisse des activités « cœur de métier » de la Grèce (transport maritime – vous savez : les fameux armateurs grecs – et tourisme). Car, lorsque baissent ces revenus, la fiscalité qui y est attachée baisse également. Les dépenses n’ayant pas diminué dans les mêmes proportions, le déficit budgétaire s’est donc fortement accru, accroissant la dette publique qui atteint désormais 143% du PIB (alors qu’elle n’est « que » de 83% pour la France et l’Allemagne par exemple, très proches de la moyenne européenne).
Cela représente env. 32,000€ par habitant (soit un chiffre tout à fait comparable à celui de la France).
Mais, surtout, « on » découvre à cette occasion (?) que l’ampleur de cette dette – que le règlement de l’UE limite à 60% du PIB – était sous-estimée et que la Grèce, avec l’aide de quelque banque peu scrupuleuse (eh oui ! il en existe – Goldman Sachs pour ne pas la nommer) avait tout simplement truqué ses comptes pour pouvoir satisfaire aux exigences posées à l’entrée dans la zone euro en 2001 ! Au passage, on peut s’interroger sur la qualité du travail de contrôle réalisé (ou pas ?) par les fonctionnaires (pourtant bien nombreux et bien payés !) de la Commission européenne à ce moment là. Mais là n’est pas le problème.
Des dettes de cette ampleur sont, sinon monnaie courante, du moins assez répandues. Notamment depuis que la crise économique sévit. Ainsi le Japon vit depuis longtemps avec une dette publique représentant plus de 200% de son PIB). Mais voilà ! La dette grecque est détenue à plus de 95% par des non-résidents (dont environ 17,3 milliards € par une quinzaine de grandes banques françaises et allemandes, c’est important pour la suite), alors que c’est l’inverse au Japon et que « seulement » 50% de la dette de la France – comme de celle de l’Allemagne d’ailleurs – est détenue par des non-résidents. La dette publique de la Grèce devient donc de facto une affaire politique, bien davantage qu’une affaire économique.
En effet une dette peut être détenue soit par des nationaux (établissements bancaires ou personnes physiques) soit par des non-résidents qui ont acheté les obligations ou Bons du Trésor émis pour financer le déficit.
Lorsque votre dette publique est détenue par vos nationaux, libre à vous de négocier avec eux des conditions ad-hoc, notamment en cas de crise. Ce n’est pas forcément sain, mais ça reste possible.
Mais lorsque votre dette publique (on dit aussi « souveraine ») est détenue par des non-résidents, vous êtes soumis aux conditions du « marché » (vous savez les fameux « marchés » dont on vous raconte régulièrement les inquiétudes au journal télévisé de 20 h). Pour peu qu’ils prennent peur ces fameux « marchés » – notamment si les agences de notation s’avisent de « dégrader » la note de l’emprunteur, c’est à dire annoncent que le prêt est risqué – vos taux d’intérêt grimpent, grimpent, à des niveaux où … vous ne pouvez plus rembourser.
Imaginez un instant que votre banque fasse brutalement passer le taux d’intérêt de votre emprunt immobilier de 4 à 20% : par exemple, vos remboursements sont immédiatement multipliés par 1,5 si votre emprunt est sur 5 ans et par 2 s’il est sur 10 ans !
C’est ce qu’on appelle une prophétie autoréalisatrice : elle modifie les comportements de telle façon qu’ils font advenir la prophétie. Prêter à la Grèce, c’est risqué, les prêteurs augmentent fortement les taux d’intérêt. Résultat : les risques qu’elle ne puisse plus honorer ses échéances augmentent d’autant. La prophétie s’est bien réalisée …
C’est bien pour cela qu’on ne prête qu’aux riches : comme il n’y a aucun risque on peut leur offrir des taux plus bas et … ils restent riches. Alors que prêter aux pauvres, c’est risqué, donc on leur impose des taux plus élevés qui les appauvrissent encore davantage.
Deux points me paraissent particulièrement graves.
D’abord le manque de solidarité européenne. J’ai été choqué des commentaires rapportés par la presse sur les réactions des allemands : ils ne veulent « pas payer pour les grecs », qu’ils n’hésitent pas à qualifier de « fainéants ».
Les allemands seraient-ils davantage courageux et travailleurs que les autres peuples ?
Est-ce cela la solidarité entre des peuples d’une « Union » ?
Même moi qui suis un européen convaincu, je vais finir par haïr cette Europe-là qui, aux premiers soucis, se recroqueville.
L’Europe, la vraie, celle des peuples qui partagent un projet commun, existera-t-elle jamais ?
Ensuite et plus encore, le fait que, pour la 1ère fois, un pays démocratique développé perd sa souveraineté en étant contraint d’appliquer un plan d’austérité qu’il n’a pas voulu, qui lui est imposé par ses créanciers, ses partenaires (européens et, en principe, amis, voire « frères »), la BCE et le FMI (pourtant dirigé par le socialiste DSK), ce grand défenseur des « marchés ».
Jusqu’ici on savait bien que le FMI imposait des « plans d’ajustement structurels » (c’est le nom savant des plans d’austérité qui visent à réduire toutes les prestations sociales, à privatiser tous les actifs publics) aux pays pauvres. L’échec retentissant d’un tel plan censé venir en aide à l’Argentine en 2001 a fait bannir ce terme des discours officiels. Pourtant c’est bien de cela qu’à parlé récemment le DG par interim du FMI, David Lipsky.
On sait les conséquences dramatiques qu’ont eu ces mesures au plan social, partout où ils sont sévi : baisse généralisée des salaires, baisse drastique des aides aux plus démunis, augmentation générale des impôts, etc.
Je n’ai pas d’exemple où de tels plans ont permis de sortir un pays de l’ornière. En revanche, dans tous les cas, les peuples ont beaucoup souffert et les financiers et les investisseurs beaucoup gagné en mettant la main sur les actifs de ces pays.
Une fois encore, et à nos portes, ces institutions supranationales, pilotées par une idéologie ultralibérale et échappant à tout contrôle démocratique, font la loi.
Le plan de rigueur récemment adopté par le Parlement grec et les mesures de privatisation sont bien de la même eau. Je suis prêt à parier que le résultat sera un échec. Au passage on aura sans doute bradé les entreprises et les services publics grecs pour une bouchée de pain (on ne fait jamais de bonnes affaires lorsqu’on est pris à la gorge).
On risque même de voir le peuple grec se révolter violemment contre le « châtiment » qui lui est infligé.
TINA (There Is No Alternative), le fameux slogan de Margaret Thatcher, voilà le crédo auquel les grecs, et nous tous ensemble, devons souscrire.
Or il y a des alternatives, même si elles transgressent le discours dominant.
On peut s’étonner que le gouvernement grec, démocratiquement élu, ne les aie pas explorées.
Il aurait pu, par exemple, imposer un moratoire sur le paiement des intérêts. Certes, cela aurait fortement déplu aux autorités européennes qui n’oublient pas les créances (+ de 17 milliards €) que les grandes banques allemandes et françaises ont sur l’État grec.
Il aurait pu demander à ce que l’Union aide la Grèce à financer un grand plan de relance qui aurait permis d’améliorer la situation : moins de chômage, plus de rentrées fiscales, alors que le plan actuel va provoquer une récession sans précédent et donc s’avérer inutile et dangereux.
Il aurait pu également transférer une partie de la dette sur ses résidents par un emprunt forcé, comme nous-mêmes en avons eu un lors de la sécheresse de 1976 (les grecs fortunés peuvent certainement prêter de l’argent à l’État pour sauver leur pays).
Certaines de ces mesures sont d’ailleurs défendues par des économistes.
Ainsi Mark Weisbrot, économiste et co-directeur du Center for Economic and Policy Research déclare qu’un défaut de paiement de la Grèce serait préférable à une une récession, dans un article publié par The Guardian et retranscrit par Courrier International du 30 juin.
Le Parlement européen et le Président de l’Eurogroupe, Jean-Claude Juncker sont favorables à une aide de l’Union pour un plan de relance.
Naturellement, le gouvernement grec doit conduire en parallèle une politique plus rigoureuse permettant de corriger les problèmes de fond : une fraude fiscale considérée comme un sport national, une économie « souterraine » représentant près de 30% du PIB, une corruption omniprésente, un secteur public pléthorique.
Et si l’Union européenne ne demandait pas aux grecs d’aller se faire voir ? Elle en sortirait certainement plus forte.
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