L’âge du pétrole touche à sa fin
Depuis toujours, les hommes savaient que le pétrole, comme toute matière présente sur la terre, aurait une fin. Ils la prévoyaient fort tard. Ce qui vient de bouleverser les prévisions, ce sont les essors hors du commun de pays aussi gros que la Chine et l’Inde, un tiers de la population mondiale à eux deux. L’Asie sera à l’origine de la moitié de l’accroissement de la demande d’énergie mondiale d’ici 2020, pour monter, à cette date, à trois fois celle de l’Europe.
Le pétrole n’est pas la seule forme d’énergie, mais il concentre en lui tout le 20e siècle dans ses modalités économiques, technologiques, géopolitiques et financières. « L’or noir » a établi la puissance américaine, comme au siècle précédent le charbon en Angleterre, en raison de l’abondance de ces matières premières sur leur sol. La particularité géologique du pétrole a fait se développer la prospection, l’extraction, le transport, la transformation, le stockage et la distribution de cette matière qui n’est pas uniforme et qui se décline en multiples produits, du bitume aux carburants, jusqu’aux matières plastiques. Sa concentration dans certaines zones de la planète, notamment au Moyen-Orient, a engendré une politique mondiale particulière de présence, de ménagement et de puissance, probablement à l’origine de nombre de maux d’aujourd’hui (terrorisme, problème palestinien, guerre en Irak, capitalisme de prédation, co-développement chinois en Afrique...) Le pétrole produit et brasse beaucoup d’argent, ce qui attire les innovateurs comme les escrocs, les entrepreneurs comme les partis politiques. "L’American way of life" passe aujourd’hui par la défense de la sécurité d’approvisionnement énergétique, allant jusqu’à la guerre si nécessaire. Les importations de pétrole et de gaz sont pour les États-Unis une faiblesse, qui les oblige à une plus grande interdépendance, alors que toute économie d’énergie reste comme « incompréhensible » à un peuple qui a pour culture le « toujours plus ».
Mais l’offre restera limitée, car la planète elle-même est limitée. Les énergies renouvelables sont aujourd’hui à développer, mais seul le nucléaire est au point. Il ne produit que de l’électricité et de l’eau chaude, avec lesquelles il est difficile de faire rouler des véhicules. Et se pose toujours la question du retraitement ou de l’enfouissement des déchets, dangereux, et à durée de vie très longue. Il est probable que le 21e siècle économique se focalisera sur le trio énergie-environnement-développement. Conserver un bouquet d’énergies le plus diversifié possible et varier ses sources d’approvisionnement seront les stratégies à mettre en œuvre.
Le « pic » du pétrole, ce moment où l’augmentation des réserves ne permettra plus de compenser l’augmentation de la consommation, est prévu pour notre génération, soit entre 2007 et 2034. Cela ne veut pas dire qu’il n’y aura plus de pétrole à ces dates, mais que nous puiserons désormais dans un stock qui ira en s’amenuisant inexorablement. Cependant,, déterminer quelles sont les réserves de la planète n’est pas un exercice facile. Il faut distinguer entre les réserves prouvées, les probables et les possibles. Or ces chiffres sont à la fois géologiques, technologiques et politiques ! La prospection se poursuit, et l’offshore profond offre encore de belles perspectives, tout comme la Sibérie. Sur les gisements connus, l’exploitation des schistes bitumineux devient possible, et l’injection d’eau ou de gaz dans les poches géologiques permet une récupération plus importante du pétrole connu. Dans les États, la politique de déclaration des réserves permet d’obtenir de l’OPEP des quotes-parts d’exportation, et la sous-estimation à visée interne (Arabie Saoudite) ou la surestimation à visée externe (Algérie, Vénézuela), deviennent des instruments de manipulation de la vérité.
La situation actuelle est donc la suivante : la production hors OPEP plafonne depuis 7 ans, la Russie joue encore un rôle moteur en raison de son gaz. La plupart des champs OPEP exploités sont déjà à maturité, et peu de capacités supplémentaires apparaissent possibles avant que l’Arabie Saoudite n’investisse et que l’Irak ne sorte de la guerre. Les capacités tournent à plein, et il suffit de quelques impondérables (l’arrêt de production de plateformes dans le golfe du Mexique pour cause d’ouragan) pour déséquilibrer immédiatement offre et demande, et pousser brutalement les prix vers le haut. La demande croissante, les capacités difficilement extensibles, la prospection incertaine et les risques géopolitiques persistants devraient conserver au baril de pétrole un prix durablement élevé. Un retour sous les 40$ est peu probable, des pointes à 100$ sont très possibles (nous sommes autour de 55$ aujourd’hui), une stabilisation vers les 60$ est probable à moyen terme. L’ère du pétrole bon marché a touché à sa fin.
Cela entraîne plusieurs conséquences :
1/ la forte probabilité de conflits locaux pour les ressources dans un avenir proche
2/ une pression continue sur la croissance économique par le coût de l’énergie
3/ une volatilité des prix plus élevée, et une moindre vache à lait fiscale pour les gouvernements gourmands (la France en premier lieu avec 67% de taxes par litre d’essence)
4/ une réallocation des usages du pétrole pour lui substituer une énergie ou une base chimique moins chère quand cela est possible (le remplacement des sacs plastiques par des sacs en papier par exemple)
5/ une très forte rentabilité des actions pétrolières dans les portefeuilles sur au moins 5 ans
6/ un formidable défi à la recherche et à la technologie pour développer des énergies alternatives, récupérer plus et consommer moins.
Le premier utilisateur de pétrole est aujourd’hui le transport (50% des usages), dont le transport routier compte pour 80%. Une écologie intelligente devrait se focaliser sur ce dernier sujet, crucial pour la planète comme pour notre mode de vie. Donc, il importe de résoudre avant tout la contradiction du discours axé sur le « ni CO², ni nucléaire ». Sur une génération, nous aurons probablement un mélange des deux. Amorcer un changement de conditions de vie, c’est privilégier les transports en commun, le chauffage collectif, l’énergie peu génératrice de CO². Sans faire l’apologie du seul nucléaire, considéré comme une énergie de transition avant que la technologie ne permette de s’en affranchir, je ne vois pas comment nous pourrons nous en passer. Cela ne signifie pas qu’il ne faut rien mettre en œuvre dans la construction, l’isolation, la moindre consommation et la réglementation.
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