Vous qui avez une vision internationale de la situation, pouvez-vous nous dresser un panorama de l’économie solidaire dans le monde ?
A l’échelle mondiale, les situations sont très différentes. En Amérique latine - Brésil en tête -, l’économie solidaire a toute sa place et sa légitimité. Il existe par exemple des plateformes nationales d’économie solidaire et les politiques publiques de soutien y sont une réalité. Au Canada, pour ne pas dire au Québec, le contexte est également favorable grâce à des politiques publiques de recherche, à des acteurs puissants et au
développement économique communautaire, qui est une notion qu’on ne développe pas trop en Europe.
Pour l’Afrique, c’est un peu plus compliqué. On voit bien qu’il y a de plus en plus de coopératives qui se développent. Mais les difficultés à s’organiser de façon autonome sont réelles. Les organisations d’économie solidaire sont souvent sous perfusion économique des ONG. Ce qui est encourageant, c’est qu’au niveau des initiatives, ça bouge vraiment !
L’Asie, quant à elle, s’éveille par l’entrée « commerce équitable ». Elle est très active notamment en Inde, au Népal ou aux Philippines. D’ailleurs les prochaines rencontres « Globalisation de la Solidarité » se feront aux Philippines.
Enfin, parlons de l’Europe et de ses grandes disparités... Si l’on regarde au niveau des politiques publiques nationales, c’est le désert. Aujourd’hui, aucun pays n’a de politique en faveur de l’économie solidaire digne de ce nom. A part peut-être le Luxembourg, qui est centré essentiellement sur les initiatives pour l’emploi. En revanche, au niveau local, dans les pays latins, la reconnaissance de l’économie solidaire s’accroît. En France, comme en Italie, en Espagne ou encore en Belgique, il existe des élus à l’économie solidaire avec des politiques de soutien des réseaux. C’est plutôt positif. L’enjeu à présent est de sensibiliser les pays du Nord et de l’Est à l’économie solidaire.
L’un des objectifs des rencontres « Globalisation de la solidarité » est d’augmenter la légitimité institutionnelle de l’économie sociale et solidaire. 10 ans après les premières rencontres de Lima, diriez-vous que cet objectif est atteint ?
Comme je l’ai dit, la situation n’est pas la même partout. En tout cas, avec ce contexte de crise mondiale, on pensait que les décideurs allaient commencer à réfléchir autrement. Mais ce n’est pas flagrant. On le voit avec ce qui est sorti du G20. On met les rustines partout où ça fuit et on se crispe sur un modèle que d’aucuns pensent à bout de souffle. L’idée n’est pas de dire qu’il y a un bon modèle et un autre qui est mauvais. Mais on devrait davantage s’interroger !
Le fait que le niveau de reconnaissance de l’économie sociale et solidaire ne soit pas à la hauteur des espérances n’amène-t-il pas à s’interroger sur la capacité des acteurs à valoriser leurs initiatives ?
On peut vraisemblablement améliorer notre façon de communiquer, certes. Mais le problème c’est que nous sommes dans un système où les schémas traditionnels ont complètement imprégné la pensée. Il suffit de voir comment est enseignée l’économie à l’université ou dans les grandes écoles. Il nous faut mener un travail de longue haleine pour que les mentalités changent. Nous devons faire de la pédagogie.
Mais les choses avancent ! Par exemple, au Luxembourg l’économie solidaire a droit à une rubrique tous les quinze jours dans un quotidien national, le Tageblatt. C’est le résultat d’un partenariat que nous avons noué avec le journal. Il faut rester optimiste.
On sent par ailleurs que nous sommes dans le sens de l’histoire. On le voit bien avec les questions qui se posent sur le développement durable, l’environnement. On ne peut plus continuer avec les vieilles antiennes.
On constate que les choses évoluent également au niveau des acteurs. Par exemple, lors du dernier Forum social de Belém, il y avait un village consacré à l’économie solidaire, de nombreux débats et forums y étaient organisés. Le Forum social mondial a d’ailleurs passé une étape : les participants ne sont plus dans la contestation. Ils réfléchissent à présent aux alternatives économiques.
Quel serait selon vous le discours à adopter auprès des décideurs pour valoriser au mieux l’économie solidaire ?
Il nous faut positionner l’économie solidaire comme le troisième pilier économique. Le discours consiste à dire qu’il y a une série d’activités qui ne sont préemptées ni par le marché, ni par l’Etat, ce qui laisse une place pour des acteurs dont les initiatives citoyennes améliorent la qualité de vie au cœur des territoires. Le challenge est de faire comprendre qu’il ne s’agit pas là de politique sociale mais d’investissement économique. Nous devons donc pouvoir apporter la preuve de ce que génère chaque euro investi dans l’économie solidaire. Pour cela, on ne doit pas avoir peur de faire appel aux indicateurs classiques. On peut très bien dire aux décideurs politiques : « en fonction de vos objectifs de croissance, voila ce qu’investir dans l’économie solidaire peut rapporter ».
Pour finir, pouvez-vous nous en dire davantage sur LUX09 ?
L’ambition de cette édition est de démontrer qu’une autre économie existe. Pour cela nous avons programmé ateliers et plénières sur trois jours. Le 23 avril est ainsi dédié à l’apport d’expériences, à l’illustration par l’exemple. Le jour suivant est consacré aux débats. L’objectif de la dernière journée est de formaliser des propositions concrètes. Nous attendons 1000 participants (dont 200 luxembourgeois, 400 européens et 400 personnes du reste du monde). La priorité n’est pas donnée au nombre mais plutôt à la diversité. Avec LUX09, nous entendons réaffirmer que l’économie solidaire n’est pas une idéologie, mais qu’elle s’appuie sur des pratiques, des penseurs et des acteurs de terrain qui peuvent participer à la refonte d’un système qu’il faut revoir en profondeur.