L’industrie et le commerce se servent de la mode écologique, plus qu’ils ne la servent
La naïveté de l’opinion publique est sidérante, ou les faiseurs d’opinion sont bien habiles. A une époque où tout le monde se sent concerné par le sort de la planète, les grands industriels ne pouvaient laisser passer cette manne. Déroutés, puis ennuyés, au début des années 90 par la vague écologique et ses protestations, les grands groupes sont vite retombés sur leurs pieds et ont utilisé le créneau sain, respectueux de la nature et de l’environnement comme une stratégie de marketing. Et l’immense majorité des consommateurs gogos, a gobé la fable et se met à réclamer des produits naturels et dans les normes du Grenelle de l’environnement. On aurait tort de blâmer les industriels et de leur attribuer de noirs projets et des arrière-pensées. Dans une économie de production capitaliste, une entreprise n’a qu’une optique, le profit, ce qui est tout à fait de l’ordre de la logique du marché. Il n’y a pas de bons et de mauvais industriels, mais ceux qui s’adaptent à leur temps et les autres qui sont appelés à péricliter puis à disparaitre. La production n’a pas à être morale, c’est au pouvoir politique de légiférer pour que les producteurs suivent les règlements et les normes. Mais attention à ne pas trop en faire au risque de tuer la compétitivité.
Quand L’Oréal s’inquiète de l’expérimentation de ses cosmétiques sur les animaux, il ne s’agit pas d’un intérêt soudain pour la cause animale, mais d’une réflexion sur le marketing. Dit autrement, cela signifie que pour garder une clientèle féminine sensible aux arguments de la Fondation Bardot, et qui possède souvent un petit chien substitut d’enfant ou de mari, il faut caresser la cliente dans le sens du poil animal si l’on veut qu’elle continue à acheter des produits de la marque. Même remarque concernant l’utilisation de produits naturels dans les cosmétiques, de l’aloé vera, en passant par le karité ou le jojoba. On obtient les mêmes résultats et la même proportion d’effets secondaires ou d’allergie avec des produits de synthèse, mais si l’on arrive à trouver les produits de bas végétaux sur le marché mondial à un coût équivalent à celui des produits chimiques, on obtient un résultat cosmétique identique, mais la cliente est satisfaite idéologiquement.
De son côté, Total finance des émissions très écolos, des programmes se voulant à la fois scientifiques et grand public comme celui de Jean-Louis Etienne, participe à des colloques sur l’environnement et les énergies nouvelles pour les mêmes raisons qui poussent L’Oréal à s’intéresser à la souffrance dermique des souris et autres lapins albinos et des grenouilles. Pourquoi irriter les clients et exciter des lobbies s’il est possible de les satisfaire tout en faisant des bénéfices !
Jadis, on peut dire grossièrement jusqu’au début du 20° siècle, tout était simple : il fallait produire au plus bas coût et vendre au meilleur prix, les seules limites étant la solvabilité du client et la concurrence sur le marché. Ensuite arrive la réclame qui va devenir la publicité et permet de se faire connaitre, avec l’apparition des slogans dont le fameux Du Bon, Du Bon Dubonnet ! De façon concomitante naissent les mouvements sociaux et les grèves structurés, les premiers syndicats dès la fin du 19° siècle. Il ne suffit donc plus de produire, il faut, pour vendre être connu et éviter les mouvements sociaux. Cet état de fait va perdurer jusqu’aux accords de Grenelle et bon an mal an, avec quelques conflits sociaux pour revitaliser les forces vives le la Nation. Tout allait son petit train-train quand apparaissent alors les associations de consommateurs calquées sur le modèle américain représenté par Ralph Nader.
Comme dans les années 70, le client n’est roi que dans le slogan mielleux des vendeurs, on peut encore le rouler dans la farine. Mais il faut le faire rêver, alors les grands groupes inventent le sponsoring qui remplace le mécénat. Chaque groupe industriel se met à supporter financièrement une équipe de foot, surtout dans la ville où elle a implanté des usines ou bien finance une course transatlantique ou monte une équipe de cyclistes avec le Tour de France en point d’orgue.
Avec le regain écolo et moral des dix dernières années, le sport ne suffit plus pour amadouer le client, il faut devenir industriellement moral tout en délocalisant, c’est-à-dire en n’employant pas d’enfants dans les filiales, mais en sous-traitant le gros œuvre et les finitions avec de petites entreprises locales qui n’ont pas cet état d’âme. Comme il est désormais impossible d’exister économiquement et commercialement sans bramer dans le sens des sirènes de l’écologie et des droits de l’homme, il fallait obligatoirement créer un mouvement publicitaire du même acabit. Ainsi, McDonald’s ne vante plus ses frites grasses et sa viande de qualité médiocre, mais parle calories, salades et légumes. Les sprays sont censés ne plus trouer la couche d’ozone et les gogos sont satisfaits ; l’entreprise peut continuer ses profits. Et comme il ne s’agit pas de philanthropes, le surcoût est calculé dans le prix de revient. Si pour des raisons de concurrence, il n’est possible d’augmenter le prix de vente, le maintien de la marge se fait au dépend des salaires ou se résout par la délocalisation. Et les chantres de l’écologie d’être content d’avoir fait plier les grands groupes et les multinationales obligatoirement rapaces sans foi ni loi.
Il en est de même pour ce que l’on appelle le commerce équitable, d’abord l’apanage d’ONG comme OXFAM qui ouvrit, il y a plus de vingt ans, ses premières boutiques de produits pour la plupart atroces. Vint le café, payé plus cher au petit producteur sud-américain ou africain. Mais quel est la part d’un kilo de café au Guatemala ou au Cameroun, dans le prix de vente en supermarché d’un paquet de grains moulu ? Quand est-il du transport par cargo maltais à l’équipage sri-lankais qui transporte le café ? Et que dire de la torréfaction, du conditionnement et de l’emballage ? Mais le consommateur a l’impression d’avoir commis une bonne action respectueuse du paysan du bout du monde. Alors que le scandale sur le café vient de la cotation des prix sur le marché international de Londres et sur les achats spéculatifs pour faire baisser ou monter artificiellement les prix.
Tout le reste est à la même aune. Le marketing et la publicité influent à la fois sur l’opinion publique et l’industrie, souvent en collaboration et entente tacite avec ces mêmes groupes. Les actionnaires des groupes de presse se retrouvent souvent aussi dans les conseils d’administration des sociétés commerciales et industrielles. Le consommateur braille derrière les ténors des médias et croit ainsi agir en citoyen engagé dans une bonne cause. Il écoute les trémolos de Hulot, de Bové sur les OGM, il a quasiment un orgasme en regardant les ours blancs vus du ciel et ne s’aperçoit pas qu’il est embrigadé dans une vaste opération commerciale. Puisque le but est de vendre, et cela n’est pas condamnable en soi, à moins de prôner l’autarcie et le mode de vie des Amish, et bien, maintenant il faut le faire de façon écologique.
On pousse des cris contre la déforestation en montrant du doigt les amateurs de salon en palissandre, en teck ou en acajou, alors que la majeure partie des arbres sont abattus pour laisser place à des productions vivrières peu rentables mises en exploitation par des miséreux. Quant aux grandes exploitations de maïs et de palmier à huile du Brésil et d’Indonésie, certains écolos voulaient les utiliser, sinon les accroiîre pour faire des biocarburants ! On commence heureusement à déchanter, sur l’avis éclairé de véritables agronomes. Mais, souvenez vous, il y a encore cinq ans, les médias et les gourous écolos y voyait une panacée.
Il vaudrait mieux s’en remettre aux pétroliers qui savent que la ressource s’épuisera dans un futur plus ou moins proche, et comme ils veulent continuer à exister, ils trouveront une alternative au pétrole. Non par altruisme et conscience écologique, mais par nécessité.
Le développement doit être durable dans le sens qu’il est fait pour durer. Sinon, il faudra accepter la décroissance, la récession et le retour à des conditions de vie qui nous déplairont car nous n’y sommes plus habitués. Le mal n’est pas dans la chimie, la génétique qui sont des sciences, il n’est pas non plus dans l’industrie. Il se retrouve plutôt dans la poussée démographique, dans le gaspillage des ressources et avant tout de l’eau ainsi que dans l’inégalité de la répartition des richesses. Mais médias et écologie politique nous servent une soupe insipide et ils sont de plus en plus nombreux ceux qui écoutent ce nouvel évangile ! Un jour, peut-être pas si lointain, on s’apercevra que l’opinion de Claude Allègre sur Nicolas Hulot n’était pas si fausse. Et les médias se tairont ou minimiseront comme pour les biocarburants.
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