L’intelligence économique : plus de peur que de mal (bien au contraire)
Comme tout ce qui est nouveau et inconnu, l’intelligence économique intrigue, effraie, génère les fantasmes les plus fous. Il ne faut donc pas s’étonner qu’on finisse par raconter tout et n’importe quoi à son sujet. Mais que recouvre vraiment cette activité, et quelle est son utilité véritable ?
En France, et contrairement, par exemple, à nos voisins anglo-saxons, nous avons trop souvent tendance à sous-estimer les risques qui menacent de déstabiliser nos entreprises. D’autre part, les grands groupes sont mieux parés que les PME pour faire face aux menaces grandissantes dans un contexte de plus en plus fluide. D’un point de vue concurrentiel - donc purement économique - mais également environnemental - le développement de la fraude en entreprise, par exemple - le risque est donc de plus en plus réel et dangereux pour la stabilité des groupes. Mais qui pourrait sérieusement envisager qu’une PME du Limousin soit potentiellement menacée par la concurrence d’une homonyme allemande, et parallèlement visée par un petit circuit de blanchiment d’argent ? Et pourtant, ce type de schéma n’est plus de la science-fiction...
Or, en ce qui concerne la concurrence étrangère à laquelle sont soumises de plus en plus de PME, il existe peut-être d’autres solutions avant d’en arriver au regroupement capitalistique « de la dernière chance ».
Comme nous le disions, la prévention des risques est et demeure, malgré la promotion qu’en font les organismes étatiques et le bénéfice que pourraient en retirer les entreprises, un mirage lointain, qu’on ne se donne pas véritablement les moyens d’atteindre en France. Et pourtant, ces mesures de prévention ne requièrent pas de fastidieuses mises en œuvre, ni des moyens très coûteux : elles appellent tout simplement à l’application du bon sens. Loin de vouloir développer la paranoïa parmi les chefs d’entreprise ou de « piloter de l’extérieur » les intérêts économiques d’un groupe, l’IE ne constitue fondamentalement qu’un bon réflexe à adopter. D’autre part, il est des règles en économie qu’il est très dangereux de négliger, notamment dans un environnement concurrentiel accru : « Se faire battre est excusable, se faire surprendre est impardonnable », disait Napoléon. Kodak ou Gemplus en ont fait l’amère expérience.[1]
Ainsi, la prévention et la recherche proactive d’informations relèvent toutes deux du bon sens, mais également de la nécessité, et ceci quelle que soit la nature de l’information. Qu’on oublie l’image d’Epinal du détective espionnant, pour le compte d’intérêts hautement placés, les agissements économiques d’un concurrent X ou Y, quitte à employer des méthodes franchement déloyales et illégales.
Mais qu’on ne rêve pas non plus ; il s’avère malheureusement que des pratiques sans scrupules telles que celle décrite précédemment existent, au détriment de la loyauté économique. L’IE intervient alors, car elle s’avère être la seule technique de management qui permette de prévenir ces désagréments, et le cas échéant de les gérer au mieux, qu’il s’agisse par exemple du pillage de la propriété intellectuelle, de la fraude interne, de la vulnérabilisation du système d’information, ou du noyautage de l’entreprise par la criminalité organisée.
Les entreprises, et surtout les PME disposant de moyens de protection moins importants, sont parfois totalement démunies face à l’émergence d’un risque et à la nécessité de gérer une crise en toute discrétion et en générant le moins de pertes possible. Or la communication et la gestion de crise, cela ne s’invente pas.
Bien qu’en France on aime bien voir le mal partout, et qu’on se méfie longtemps de la nouveauté, il faudra un jour cesser d’assimiler l’intelligence économique à l’espionnage industriel. Cette activité au nom compliqué et sentant (je vous l’accorde) l’anglais à plein nez, consiste simplement en une assistance personnalisée aux entreprises, à travers l’apport d’informations stratégiques visant à prévenir les risques potentiels auxquels elles sont exposées. Placée à la fois en amont et en aval de la prise de décision, l’IE permet aux dirigeants de mettre en place des stratégies en toute connaissance de cause : ils prennent alors conscience de leur propre vulnérabilité, mais également des faiblesses de leurs concurrents, des menaces qui planent sur la sécurité économique du groupe, etc. L’environnement concurrentiel, et plus largement le contexte du développement économique de l’entreprise (d’un point de vue géostratégique, par exemple) devient ainsi plus lisible, ce qui permet d’éviter de fâcheuses déconvenues, et d’éventuels scandales, pouvant s’avérer évidemment désastreux pour l’image du groupe ou de l’organisme en question. En effet, quel est le groupe qui ne souhaiterait pas, en cas de fraude interne de la part d’un de ses employés peu scrupuleux, que tout soit « réglé » avant même d’avoir à en référer aux organismes compétents ?
Anticiper les évolutions du marché, prévoir les risques, qu’ils soient économiques, pénaux, politiques ou sanitaires, ce sont des mesures essentielles et stratégiques dont l’entreprise, quelle que soit sa taille, ne peut désormais plus raisonnablement se passer.
Mais cette assistance ne relève pas seulement de l’audit de sécurité classique, qu’il soit technique ou financier ; la démarche que propose l’intelligence économique, à travers ses consultants en management des risques, est d’apporter une plus-value à l’information stratégique, notamment par l’analyse approfondie de cette information et par le caractère ciblé de sa réponse au besoin exprimé par le dirigeant.
L’intelligence économique est actuellement promue par l’Etat ; néanmoins, il existe encore un profond gouffre entre les stratégies de management mises en œuvre par le secteur privé et la méthodologie que proposent les pouvoirs publics pour le développement de l’IE en France. Même si, comme l’affirme Alain Juillet, haut-responsable de l’intelligence économique auprès du gouvernement, la sensibilisation des entreprises a eu lieu, il n’en demeure pas moins que nous ne faisons que débuter dans ce domaine, alors que nos voisins emploient les méthodes de management de l’information depuis de nombreuses années déjà, et souvent conjointement avec les pouvoirs publics. Or la France accuse les conséquences de la faiblesse et même de l’absence de politiques convergentes entre public et privé dans le passé ; chez nous, l’Etat reste souvent perçu comme l’ennemi du développement libéral des activités. Un long chemin reste donc encore à parcourir pour que ce développement soit conjoint, et réellement pris au sérieux.
L’IE est indispensable à la bonne santé des entreprises françaises ; il faut comprendre que les entreprises participent au rayonnement politique d’un pays, à sa « politique de puissance », ainsi que le rappelle Bernard Carayon, et que leur compétitivité à l’échelle nationale, européenne et même mondiale ne pourra être garantie que par des méthodes fermes et courageuses.
Il ne tient donc qu’à nous d’apprivoiser cette nouvelle technique de management et d’en exploiter les meilleurs aspects, afin d’optimiser la compétitivité de nos groupes industriels.
C’est pourquoi l’IE doit cesser d’être perçue comme une activité réservée à quelques initiés. Il est aujourd’hui évident que le gain pour les entreprises françaises sera dans un premier temps qualitatif, et l’on peut sérieusement envisager qu’il devienne quantitatif à long terme ; les dirigeants doivent donc comprendre qu’il est définitivement dans leur intérêt de compétitivité d’adopter une démarche allant dans ce sens.
[1] Pour plus de renseignements sur l’affaire Gemplus, http://www.transfert.net/Affaire-Gemplus-un-pillage et http://www.transfert.net/a8708
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