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Lagardère, bientôt sans Arnaud ?

Alors que les frasques et les limites d’Arnaud Lagardère fragilisent ce fleuron de l’économie française, la question de la succession n’est maintenant plus taboue. Restent toutefois deux questions. Quand se produira la sortie de l’héritier ? Et qui peut, au sein de ce groupe stratégique pour la France, prendre la relève ? Voici, à titre exploratoire, quelques hypothèses.
« Arnaud Lagardère s'est excusé hier soir. Il avait des choses importantes à faire. Je suis désolé ». C’est par ces mots que Bodo Uebber, président sortant du conseil d'administration d’EADS a annoncé aux actionnaires d’EADS réunis en assemblée générale que leur nouveau président n’avait pas daigné se déplacer pour assister à sa propre nomination… L’univers des conseils d’administration de grandes sociétés a beau être policé et feutré, après cette nouvelle preuve de désinvolture de l’héritier Lagardère, les langues se sont, cette fois, déliées. « Incroyable ! ». « Je n'y crois pas ! ». « Jean-Luc doit se retourner dans sa tombe ! » « Il a préféré aller à Roland-Garros ! »… Voici quelques-unes des réactions recueillies par Le Figaro dans le Landerneau aéronautique.
 
Lassitude et inquiétude chez Lagardère
 
De fait, parmi les actionnaires mais aussi les cadres du groupe, le ras-le-bol est maintenant tangible. « Tant que les résultats financiers du groupe ont été au rendez-vous, cadres et banquiers se sont tus, en dépit de la stagnation, depuis huit ans, du chiffre d'affaires - autour de 8 milliards d'euros. Mais, en 2011, le rideau s'est déchiré : le groupe Lagardère a dû afficher une perte de 700 millions d'euros, après 550 millions de provisions passées sur son activité sport », analyse le magazine économique Challenges. Plus grave encore pour Arnaud Lagardère : le soutien dont sa famille bénéficie de la part du pouvoir politique, toutes tendances confondues depuis des décennies – le père avait pu compter sur Jospin quand le fils s’était lié d’amitié avec Sarkozy - pourrait bien faire prochainement défaut.
 
Certains soulignent ainsi, avec malignité et soulagement, que l’on a changé d’ère : « Avant le bling-bling et le people cela passait. Aujourd’hui, c’est moins sûr… » Façon de dire qu’un patron aussi fantasque ne peut faire bon ménage avec un Président normal. Plus fondamentalement, on s’inquiète en haut lieu de voir les intérêts français au sein d’EADS dépendre d’un représentant aussi velléitaire qui n’a, du reste, jamais caché dédaigner l’aéronautique au profit du sport. Un secteur dans lequel il a d’ailleurs englouti des sommes faramineuses, jusqu’ici en pure perte. « Les Allemands sont ravis de voir ce bouffon à la tête du fleuron industriel des deux pays », grince Guy Wyser-Pratte, le financier franco-américain qui a échoué, il y a deux ans, à faire sauter le statut de commandite du groupe Lagardère. « Arnaud fera-t-il le poids face à l’Allemand Thomas Enders, ancien patron d’Airbus et désormais directeur exécutif d’EADS ? », s’interrogent décideurs publics et privés. Rares sont ceux qui y croient encore…
 
La succession déjà dans toutes les têtes
 
Or, dans une conjoncture économique pour le moins morose et dans un contexte marqué par le retour du volontarisme en matière industrielle, le nouvel exécutif ne peut évidemment pas se permettre de voir un groupe tel que Lagardère partir à la dérive. Outre ses 27.000 employés et sa participation déterminante au capital d’EADS, l’empire édifié par Jean-Luc Lagardère participe aussi du rayonnement de la France, via les médias et l’édition. Une réussite qui démontre que, dans une mondialisation souvent perçue comme menaçante, la France peut aussi faire la course en tête, notamment en matière culturelle. Un symbole fort qu’aucun gouvernement ne voudrait voir gâcher par une gestion frivole, sans oublier le poids politique du sort d’Europe 1, du JDD et de Paris Match.
 
Sans être encore ouvertement évoqué, le départ d’Arnaud Lagardère est déjà dans toutes les têtes. Avec un objectif : éviter l’effondrement du groupe avant qu’il ne soit trop tard. « Tout le monde sait que c'est fini. La question est de savoir quand » affirmait un cadre dirigeant au magazine Challenges, passant ainsi sous silence l’autre question posée par le « problème Lagardère » : celle de son possible successeur. A ce stade, plusieurs prétendants tiennent la corde, bien qu’ils ne se soient, évidemment, ni les uns ni les autres, déclarés.
 
Dominique d’Hinnin : le changement dans la continuité
 
Le premier nom qui vient à l’esprit est celui de Dominique d’Hinnin. Actuel directeur financier du groupe après avoir notamment avoir été directeur de l’Audit interne, ce normalien, par ailleurs énarque et ancien inspecteur des Finances, a l’avantage de posséder une vision transversale d’un groupe devenu pour le moins protéiforme.
 
En revanche, c’est le revers de la médaille, Philippe d’Hinnin est très – trop ? - proche Arnaud Lagardère. « Dominique et Arnaud forment un tandem », estime un bon connaisseur du groupe. De fait, comme le rappelait La Tribune, leur association ne date pas d’hier : « Arnaud Lagardère et Dominique D'Hinnin se sont rencontrés en 1994 aux États-Unis, chez Grolier, l'éditeur que le groupe français avait acheté. Jean-Luc Lagardère y avait envoyé son fils faire ses classes et Dominique D'Hinnin y était son numéro deux ». Et déjà son protecteur : « Il a retiré Arnaud d'un mauvais pas en imaginant la reprise par la maison mère des dettes portées par Grolier. Cela a permis d'organiser le sauvetage de cette entreprise », se souvient Vincent Nouzille, journaliste à L'Express, et auteur d’une biographie de Jean-Luc Lagardère. Une tutelle bienveillante qui se serait poursuivie jusqu’à aujourd’hui.
Pour La Tribune, « le pouvoir du directeur financier réside dans l'avis formel, le “go/no go”, qu'il donne à Arnaud Lagardère sur chaque projet d'investissement. » Difficile dans ces conditions d’apparaître comme l’homme providentiel d’une rupture avec Arnaud. Pour le meilleur comme pour le pire, Dominique d’Hinnin apparaît comme un potentiel candidat de la succession dans la continuité.
 
Philippe Camus : la « statue du commandeur »
 
Un écueil qu’a su, en revanche, éviter Philippe Camus. Figure historique du groupe Lagardère qu’il a rejoint au début des années 80, cet agrégé de physique, ancien élève de l’Ecole normale supérieure (ENS) et de Sciences-Po Paris a été l’homme de toutes les aventures industrielles et financières du groupe. « Dans la saga Lagardère, Philippe Camus a tout connu, du lancement du Renault Espace en 1982, l'année de son arrivée dans le groupe de Jean-Luc Lagardère chez Matra, à la naissance d'EADS en 2000 à la suite de la fusion entre Matra et Aérospatiale. Mais c'est surtout la restructuration financière du groupe en 1992, à la suite du coûteux naufrage de la Cinq, qui imposera le dirigeant chez Lagardère, aux manettes de la fusion entre l'activité de défense Matra et les médias de Hachette  », rappelle l’Agefi.
 
Tout comme Dominique d’Hinnin, Philippe Camus jouit d’une connaissance globale du groupe et même de sa mémoire. Avec un avantage supplémentaire : compagnon historique du père, il est moins associé au fils et à ses dérives. Il peut donc faire figure de « statue du commandeur » et a d’ailleurs pris soin de prendre officiellement ses distances, en annonçant, en mai dernier, sa démission de la cogérance de Lagardère SCA. En revanche - c’est le revers de la médaille -, à 63 ans, Philippe Camus peut difficilement apparaître comme un dirigeant d’avenir. Le communiqué annonçant son départ laisse d’ailleurs transparaître un changement de posture pour cet homme d’action, affirmant vouloir maintenant se consacrer prioritairement à ses activités de « business angel » aux Etats-Unis, même s’il occupe encore parallèlement le poste de président du Conseil d’administration d’Alcatel-Lucent.
 
Arnaud Nourry : le négociateur de l’ère numérique
 
Les actionnaires pourraient alors se tourner vers un troisième homme en la personne d’Arnaud Nourry, actuel PDG d’Hachette Livre, la filiale édition du groupe Lagardère dont il a fait un géant mondial. Dans un groupe dont l’histoire est jalonnée d’acquisitions malheureuses, la stratégie de croissance externe poursuivie par ce diplômé de Dauphine et de l’ESCP Europe a été couronnée de succès. Après le rachat groupe Hatier en 1996, l’intégration des actifs d’Editis en 2004, le rachat de Hodder Headline en Grande-Bretagne et de Time Warner Books aux Etats-Unis, ce fils d’un ingénieur et d’une libraire a bâti un véritable empire mondial de l’édition. Son dernier coup ? Le rachat à Albert Uderzo et Anne Goscinny de la société Albert René, éditrice des bandes dessinées Astérix.
 
En revanche, à rebours de Philippe Camus et de Philippe d’Hinnin, Arnaud Nourry ne peut se prévaloir d’une connaissance transversale d’un groupe au sein duquel il ne reste, aux yeux de certains caciques, qu’un directeur de filiale. Certains soulignent ainsi que c’est une chose de travailler dans l’édition et une autre de manœuvrer dans l’univers des industries aéronautiques et de défense, surtout au sein d’une entreprise européenne à la gouvernance aussi complexe qu’EADS. A quoi d’autres répondent que, dans un groupe désormais fortement orienté médias, Arnaud Nourry occupe avec talent une fonction stratégique et qu’il a acquis une expérience sans pareille. « Négocier avec les Allemands au sein d’EADS, ce n’est certainement pas facile tous les jours, mais défendre les intérêts de l’édition face à des mastodontes de la nouvelle économie que sont Google ou Amazon, le tout sur fond de révolution numérique, ce n’est pas simple non plus », observe un cadre. Or, de l’aveu général, Arnaud Nourry y a fait la preuve de ses talents de fin négociateur. Un bilan suffisant pour faire de ce jeune patron, un troisième prétendant crédible.
 
Denis Olivennes : l'homme de réseaux... numériques et humains !
 
S'il l'on en croit ses amis de longue date, rien ne prédestinait l'adolescent sympathisant de la LCR à évoluer plus tard dans les arcanes du pouvoir, dont il n'a jamais été aussi proche qu'aujourd'hui. Pourtant, le parcours étonnamment « corporate » du compagnon d'Inès de La Fressange a de quoi séduire, bien au-delà de la vision très glamour que la presse people nous délivre de son couple. En effet, cet Enarque agrégé de lettres modernes, passé par Normale Sup et Science Po Paris, a débuté sa carrière en tant qu'auditeur à la Cour des comptes. Promu à une brillante carrière de haut fonctionnaire, il fréquente d'abord les cabinets ministériels sous l'ère Bérégovoy. C'est en 1993 qu'il quitte la fonction publique, succombant aux sirènes du groupe Air France dont il est nommé directeur général adjoint. S'ensuit une valse de propositions difficiles à refuser pour un homme dont l'efficacité fait l'objet d'un large consensus. Ainsi, il occupera successivement des postes de direction chez Numericable, Canal+, et à la FNAC. Mais l'homme est insatiable de nouvelles aventures. « Le problème de Denis Olivennes, c’est qu’on lui faisait chaque jour des propositions de plus en plus alléchantes », confirme son vieil ami socialiste Henri Weber. Une confession que confirme volontiers l'intéressé : « On m’a fait une offre que je ne pouvais pas refuser comme on dit dans Le Parrain. Un projet de presse extrêmement attirant. (...) J’ai dit oui. »
 
Du coup, il est propulsé numéro deux « bis » de Lagardère. « Bis », parce qu'il « s’est arrangé pour ne pas dépendre de Didier Quillot, actuel président du directoire de Lagardère Active, mais directement du boss, Arnaud Lagardère », rapporte Rue89. Il s'est donc forgé une solide expérience dans les médias (Europe1, Le Nouvel Obs), qui fait de lui un autre solide prétendant au poste. « Olivennes est un homme exceptionnellement habile dans les affaires  », confesse-t-on dans les couloirs d'un ministère. « Son seul tort, du moins pour ses détracteurs, c'est d'avoir compté parmi les principaux initiateurs d'Hadopi  ». Rappelons en effet qu'il a arbitré l'accord interprofessionnel (néanmoins resté caduque) qui porte son nom, en 2007, signé par les pouvoirs publics et une quarantaine d'organisations d'ayants-droit... mais auquel n'étaient pas conviés les représentants des artistes-interprètes, ni-même ceux des consommateurs. Une parenthèse brièvement assombrie par la sortie peu équivoque de l'association UFC - Que Choisir qui dénonça à l'époque une « surenchère répressive ». Mais il en faut davantage pour écorner sa réputation de fin connaisseur du monde des médias, à l'heure où le groupe spécialisé dans l'édition s'interroge sur l'identité de son futur champion.
 
Qui des quatre peut obtenir la faveur des actionnaires et bien sûr de l’Etat (qui bien sûr pèsera de tout son poids dans la désignation du patron d’un groupe aussi stratégique pour le pays, surtout en ces temps de renouveau colbertiste) ? L’avenir le dira. Avec la possibilité d’une personnalité choisie à l’extérieur, comme pour mieux exorciser le mode de gouvernance actuel, mais avec le risque de rejet du greffon que d’autres grands Groupes ont pu mesurer récemment !Une chose est sûre cependant : pour assurer la succession du dauphin défaillant, le groupe a la possibilité de se tourner vers de nombreux régents de talents.
 
 « Arnaud Lagardère absent de l'AG d'EADS », in Le Figaro, 31/05/2012.
 « L'incroyable Arnaud Lagardère », in Challenges, 07/06/12.
 « Au nom du père. La mort de Jean-Luc Lagardère », in Stratégies, 21/03/2003.
 « L’acrobate. Jean-Luc Lagardère ou les armes du pouvoir », par François Nouzille et Alexandra Schwartzbrod, Le Seuil, 1998.
 « Dominique d’Hinnin, le cœur discret du groupe Lagardère », in La Tribune, 09/11/09.
 « Pilier historique du groupe, Philippe Camus quitte Lagardère », L’Agefi, 31/05/2012.
 « Olivennes, l'homme rebond », Rue89, 30/11/10.
 « Une vision consumériste de la culture », in Le Monde Diplomatique, 11/12/2007.

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2 réactions à cet article    


  • alberto alberto 25 octobre 2012 20:57

    Bon article, bien documenté,

    Comme quoi, tous les gènes ne se transmettent pas...

    La mort subite de Jean-Luc a précipité bien des choses !

    Mais, au fait, de quoi est-il mort ?


    • Asp Explorer Asp Explorer 25 octobre 2012 21:34

      J’ai un souvenir ému de Jean-Luc Lagardère. C’était le seul grand patron que j’ai jamais vu nous rendre visite dans notre fac de pouilleux, quand j’étais étudiant. Il était venu tenter de nous faire croire qu’on avait encore un avenir dans ce pays de merde, et même si c’était faux, c’était agréable à entendre.

      Effectivement, Arnaud ferait bien de passer le relai à quelqu’un qui se sent plus concerné par l’affaire. Quand un constructeur d’avions n’a plus envie de fabriquer des avions, il y a un problème.

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Fernarim

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