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Le demi-siècle de Keynes

« Keynes le prophète, Keynes le sauveur, a fait beaucoup pour augmenter le chômage. Le concept de demande globale, admissible pour une approche très grossière, devient vite un contresens et un faux guide. » (Alfred Sauvy, "L’Économie du diable", éd. Calmann-Levy, 1976).



Il y a près de soixante-dix ans, le 21 avril 1946, le célèbre économiste britannique John Maynard Keynes est mort à Firle à 62 ans d’une maladie cardiaque. Il avait théorisé l’interventionnisme public dans l’économie, à la suite de la grave crise financière de 1929.


Une vie comme un roman

Né le 5 juin 1883 à Cambridge (dont sa mère fut maire), Keynes a eu une vie très riche et diversifiée : haut fonctionnaire au Trésor, très influent dans le milieu politique britannique à partir des années 1920 (il fut même appelé "le Churchill de l’économie"), spéculateur de matières premières (du blé notamment) pour subvenir à ses besoins, très soucieux de promouvoir l’initiative privée et l’esprit d’entreprise malgré ses écrits sur "l’État providence", collectionneur de tableaux, amateur de manuscrits de Newton sur l’alchimie (il rédigea un essai sur "Newton, l’Homme" en 1942).

Keynes fut également l’un des principaux négociateurs des accords de Bretton Woods signés le 22 juillet 1944 qui régissent le nouveau système financier international après la Seconde Guerre mondiale (axant le système monétaire mondial autour du dollar américain lui-même indexé à l’or), à l’origine du Fonds monétaire international (FMI), de la Banque mondiale et de la future Organisation mondiale du commerce (OMC) créée en 1995.

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Étudiant en mathématiques à Cambridge, il fut un ami proche de Bertrand Russell et fut nommé haut fonctionnaire dès 1907, puis professeur d’université quelques années plus tard. Passionné par l’opéra et la danse au point d’épouser une danseuse étoile russe en 1925, Keynes a eu un succès très rapide, dès 1913, dans la publication de ses essais d’économie (très prolifique, il en a rédigé près de cent dix !).

L’un de ses ouvrages les plus importants fut "Les Conséquences économiques de la paix" paru en 1919 où il fit une analyse très critique du Traité de Versailles. Livre mal accueilli en France mais très bien informé (Keynes faisait partie de la délégation britannique lors de la négociation du Traité de Versailles), il considérait que l’Allemagne était beaucoup trop pénalisée économiquement (au profit de la France) et que cela créerait un ressentiment qui serait un grave facteur de risque pour l’avenir. Ce livre très vendu a assuré à Keynes des revenus importants.


L’interventionnisme de l’État

Mais le livre décisif de sa carrière fut publié en 1936, il y a quatre-vingts ans, "Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie" qui sert parfois de référence encore aujourd’hui dans la conduite de politiques économiques. Les idées de Keynes ont influencé considérablement le monde des Trente Glorieuses (après sa mort), pour injecter dans les économies nationales de l’argent public pour la reconstruction.

Le succès était grand car sa théorie pouvait être approuvée « aussi bien par des libéraux et des radicaux anglo-saxons que par des travaillistes britanniques, des sociaux-démocrates et socialistes réformateurs européens, ou encore par des chrétiens démocrates, des réformateurs sociaux, des tenants du développement économique national, héritiers de Colbert, List ou Carey » (Michel Beaud et Gilles Dostaler, "La Pensée économique depuis Keynes", 1993).

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De fait, les idées pouvaient s’appliquer dans des contextes très différents : « Je voudrais insister sur la distinction entre ma théorie générale, vue comme théorie plus ou moins générale, et les applications qui peuvent en être faites dans différentes circonstances en fonction de divers jeux d’hypothèses réalistes. (…) Je vois la théorie applicable aussi bien à une économie flexible que rigide ou dans une position intermédiaire. » (Keynes, le 10 août 1939).


La demande, curseur du niveau de l’emploi

Je resterai très succinct ici sur les idées de Keynes qui mériteraient des développements longs et subtils. Pour simplifier, disons seulement que Keynes a rompu avec l’idée selon laquelle l’offre créerait forcément la demande. Au contraire, il considère que la demande est l’élément clef d’une politique économique.

C’est la demande qui, selon Keynes, détermine le niveau de la production et donc, le niveau de l’emploi. Cela a eu pour conséquence un interventionnisme massif des États, tant pour financer des secteurs économiques considérés comme stratégiques (énergie, transports, télécommunications, armement, aéronautique, informatique, etc.) que pour augmenter le pouvoir d’achat des ménages (au détriment des entreprises).

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Ce qui motive Keynes, c’était l’emploi et qu’il faut mettre la priorité sur le retour au plein emploi : « Les défauts marquants de la société économique dans laquelle nous vivons consistent en son échec à garantir le plein emploi et sa distribution arbitraire et injuste des richesses et des revenus. ».

Par ailleurs, Keynes considère que l’État doit inciter les entreprises à investir car l’investissement ne se ferait pas naturellement : « Il n’y a pas de raison pour supposer qu’il y ait une main invisible, un contrôle automatique du système économique, qui de lui-même assure que le montant de l’investissement actif soit continuellement au niveau requis. » (Keynes, "Times" du 12 janvier 1937).

Si ce type de politique a paru réussir pendant trente ans, ce ne fut plus le cas à partir des années 1970 où les deux chocs pétroliers ont abouti à une crise inflationniste majeure et à partir des années 1980, les gouvernements ont appliqué, comme solution pour réduire cette inflation, une politique de monnaie forte qui a eu une influence très négative sur l’emploi, à l’instar des politiques néolibérales conduites par Margaret Thatcher au Royaume-Uni et par Ronald Reagan aux États-Unis.

La crise de 2008 a redonné quelque vigueur au courant keynésien même si l’intervention des États doit être de plus en plus limitée en raison des déficits publics et des intérêts de la dette publique qui plombent l’économie d’un pays.

L’un des effets désastreux d’une politique keynésienne a pu être démontré lors des premières années de la Présidence de François Mitterrand en attribuant aux ménages une augmentation du pouvoir d’achat. Hélas, deux facteurs n’ont pas été pris en compte, un premier immédiat concernant l’épargne, l’argent attribué n’est pas retourné dans l’économie par la consommation et s’est retrouvé bloqué dans une épargne pas forcément productive (beaucoup d’épargne en France mais peu sur des investissements pour les entreprises, l’économie réelle) et un second facteur plus présent à partir des années 1990 qui fait que dans une économie ouverte, la consommation ne profite pas forcément à l’économie nationale mais à des entreprises principalement étrangères (importatrices).

Beaucoup de personnalités politiques, encore aujourd’hui, raisonnent selon les idées de Keynes. Certes, les théories du "laissez-faire" du XIXe siècle ne sont pas plus acceptables aujourd’hui. Ce qui manque actuellement, sans doute, ce sont des idées nouvelles, des théories nouvelles pour permettre de retrouver une économie de plein emploi dans un cadre ouvert et libre, dans un contexte de globalisation des échanges et des personnes qui ne reviendra pas en arrière, tout en prenant en considération des facteurs inexistants à l’époque de Keynes, comme le développement durable et l’environnement, ou même l’instabilité politique due aux réserves énergétiques.

Pour approfondir la connaissance de Keynes et de ses théories, je recommande l’écoute de plusieurs émissions de Radio France, notamment l’émission "La marche de l’histoire" produite par Jean Lebrun et diffusée sur France Inter le 5 janvier 2012, "Les sept vies de Keynes" avec, comme invité, l’économiste Bernard Maris (qui fut assassiné lors de l’attentat contre "Charlie-Hebdo"), ainsi que les cinq émissions "Les carnets de l’économie" avec Paul Jorion, diffusées sur France Culture les 3, 21, 22, 23 et 24 septembre 2015.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (20 avril 2016)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
La France est-elle un pays libéral ?
Les investissements productifs.
John Maynard Keynes.
Jacques Rueff.
Maurice Allais.
Karl Popper.
Hannah Arendt.

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3 réactions à cet article    


  • benyx benyx 20 avril 2016 21:15

    L’économie keynésienne ne fonctionne qu’en circuit fermé. La non-maîtrise des imports-exports et à fortiori des marchés boursiers entraîne une fuite des capitaux vers l’étranger, l’état ne voyant jamais revenir l’investissement de départ. En ce qui concerne les accord de bretton-woods, Keynes voulait la création d’une monnaie internationale indépendante. La crise de 2008 n’aurait peut-être pas eu lieu si ça avait été le cas.


    • Le p’tit Charles 21 avril 2016 07:34

      Tous ces grands experts en économie venant d"’outre Atlantique ne sont que des bouffons ayant pour résultat l’effondrement de l’économie mondiale...Le nouveau monde ne laisse qu’un amas de ruines après son passage.. !


      • hugo BOTOPO 21 avril 2016 14:09

        Merci de rappeler que pour Keynes l’économie doit être au service du plein emploi, au« bénéfice » de tous les hommes, et qu’il n’y a pas « une main invisible » quasi divine qui harmoniserait les comportements des acteurs économiques, actuellement et depuis toujours préoccupés par leurs profits (dirigeants et actionnaires) et par la recherche d’avantages concurrentiels et de domination en contournant les règles.

        Keynes était dans un environnement économique où les besoins étaient limités à l’alimentation, à l’habillement, au logement, aux transports et aux équipements publics. Keynes n’a pas connu la société de loisirs et des services utiles, futiles ou sans consistance.
        La mise en avant de la demande (ou des besoins à satisfaire) est essentielle qu’elle soit solvable (du temps de Keynes) ou non.
        Le temps de la monnaie-or a laissé la place à celui de la monnaie virtuelle, fictive, numérique et cela n’est pas encore intégré, même si cela a été utilisé.

        Roosevelt a essayé de relancer l’économie US en appliquant la théorie de Keynes : en fait la relance et le plein emploi ont été dus au réarmement et à l’effort de guerre, avec les hommes dans les armées et les femmes aux champs et dans les usines. La demande en matériels de guerre pour détruire et être détruit était énorme : on « créait » massivement des richesses pour les détruire aussitôt. La consommation du jetable va dans ce sens ! Pour le financement : quelques emprunts (remboursés avec l’inflation), des impôts majorés (moins de consommation privée) et la création de monnaie.
        Hitler pour le réarmement et les matériels de guerre a fait de même.

        Pour la Chine, les énormes excédents commerciaux (300 Mds$/an en moyenne) sont financés pour payer les entreprises chinoises en yuans émis par la BPOC qui crée de la monnaie. Les avoirs en dollars de la BPOC sur les USA et autres pays restent en partie virtuels sauf lorsque les entreprises chinoises utilisent leurs énormes bénéfices pour racheter des entreprises occidentales.

        Pour les « trente glorieuses » portées par la reconstruction des destructions de la guerre et par la construction de logements pour résorber les bidonvilles liés à l’afflux de main-d’oeuvre en provenance des campagnes, le financement était assuré par quelques impôts et emprunts et par le planche à billets : la main invisible du marché n’y était pour rien.

        Aujourd’hui si l’on veut une politique du plein emploi, il faut utiliser toutes les ressources humaines pour créer de vraies richesses nécessaires à l’humanité (équipements pour lutter contre les effets destructeurs des changements climatiques, pour réduire le réchauffement planétaire, et études et recherches en hydrologie, agriculture, santé, énergies propres etc...) non rentables ou amortissables dans le cadre de financements par les marchés financiers. La BCE au lieu de créer de la monnaie avec ses QE au bénéfice des banques devrait le faire en contre-partie de véritables création de richesses avec des emplois nouveaux. Tout ceci sort de la théorie de Keynes !

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