Le fabuleux destin de l’économie à court terme justifierait-il le précaire destin de la planète ?
En 200 ans, sur les 4 milliards d’années que compte notre Terre, production, échanges, pollution, démographie... tout a explosé, ou presque. Est-ce que cela peut durer ?
Au XVIIe siècle, les économistes pensaient que la richesse ne pouvait être augmentée, il est vrai qu’il aura fallu 6000 ans depuis la première civilisation économiquement organisée, celle des Sumériens, pour que la machine à produire de la croissance démarre. Mais une fois lancée (en 1785, découverte de la machine à vapeur), l’économie mondiale a réalisé des prouesses. Production, échanges, pollution, démographie... tout a explosé, ou presque.
Voici quelques données éloquentes qui tendent à prouver que nous sommes une génération de nantis en sursis qui ne se rend pas toujours compte de sa situation. Mais avant, nous voudrions vous parler de la précarité d’un homme pourtant très puissant. Il n’avait pas de télévision, pas de DVD, d’IPOD, de radio, de voiture, pas même une vieille mobylette rouillée. Il dormait sous un toit, certes, mais dans un immeuble de banlieue puant et glacé, sans électricité et dépourvu d’eau courante. Pour ses besoins ? Un seau. Pour ses enfants malades ? Aucun médicament. Presque pas de livres, et jamais de cinéma. Et avec ça, aucune assurance, ni allocation familiale, ni CPAS, ni chômage, ni assistance : un pur scandale social. Son espérance de vie ? 33 ans au plus.
Quel prolétaire occidental accepterait de vivre aujourd’hui dans d’aussi sordides conditions, et avec si peu d’espoir de s’en sortir ? Aucun, évidemment. En son temps, pourtant, ce misérable n’était pas le plus à plaindre : il s’appelait Louis XIV. Eh oui, tout est relatif, au début du XVIIIe siècle, l’homme le plus riche du monde, installé sur le trône d’un des pays les plus puissants de l’univers, était plus pauvre que le quidam contemporain. L’image est forte, mais elle donne la mesure de l’éclat du feu d’artifice de croissance qui illumine la planète depuis deux cents ans et qui nous permet d’être aujourd’hui vingt fois plus à l’aise que les sujets de son temps. Pendant des millénaires, les courbes étaient comme le relief de la Belgique : pratiquement plates. Ni croissance, ni progrès, ni expansion démographique ; et puis, il y a un peu plus de 200 ans, les compteurs de l’économie mondiale se sont subitement affolés. 5000% d’augmentation du PIB, 800% de hausse de revenu par habitant, 500% de croissance de la population, et tout est à l’avenant. Nous sommes en moyenne six fois plus riches que nos grands-parents. Nos arrière-arrière-grands-parents vivaient dans un monde où l’on travaillait deux fois plus, et sans congé ni couverture sociale, où l’on produisait 30 fois moins, où l’agriculture employait 75% de la population européenne (5% aujourd’hui), où l’espérance de vie se traînait aux environs de 50 ans, où le monde comptait dix fois moins d’habitants.
D’un point de vue purement financier, si l’on prend en compte l’inflation, le rendement annuel composé de la Bourse américaine, depuis 1802, a été de 7% exactement. En sans considérer l’inflation, le rendement annuel moyen de la Bourse a été de 10,2%. En termes de moyens de locomotion, s’il fallait 9 jours de diligence en 1750 pour aller de Bruxelles à Venise, il ne faut aujourd’hui qu’une heure quinze de vol. Dans un autre registre, le libéralisme et le système financier capitaliste permettent aujourd’hui à tous nos contemporains occidentaux d’avoir le droit et l’accès à la propriété individuelle, tandis que le socialisme ébauche les solidarités sociales. Et ceci sous la tutelle d’un système politique basé sur la représentativité des avis de chacun : la démocratie représentative.
Nous aurions matière à nous réjouir, mais toute médaille a son revers.
Dans le même temps, les inégalités entre les grandes régions se sont creusées. En 1820, un Africain était trois fois moins riche qu’un Américain ou qu’un Européen. Il est aujourd’hui 20 fois moins bien loti. Le bien-être des occidentaux attise tragiquement la ferveur religieuse orientale, creusant chaque jour un peu plus le fossé Nord/Sud. Le fabuleux essor de l’économie mondiale se solde également en émissions de gaz carbonique (100 fois plus qu’en 1800), déforestation (30 % des forêts de la planète ont disparu), disparition d’espèces animales et épuisement des ressources fossiles et halieutiques. La croissance de la population (et donc de cerveaux et de consommateurs) a été le principal moteur de ce phénomène de croissance exponentielle soutenue par le rythme rapide des découvertes majeures (le gouvernail d’Etambot, la machine à vapeur, le chemin de fer, l’électricité, l’atome, le semi conducteur, Internet...)
Et pourtant, à l’échelle de l’univers, ce fabuleux destin humain reste insignifiant, bien que paradoxalement déterminant pour la pérennité de la vie sur Terre, jugez-en : prenons six journées de la semaine pour représenter ce qui, en fait, s’est passé en quatre milliards d’années. Une journée égale donc environ 660 millions d’années. Notre planète est née le lundi à zéro heure. L’an 0 de notre ère naît à un quart de seconde avant minuit. A un quarantième de seconde avant minuit, commence la révolution industrielle et la croissance effrénée, avec ce qu’elle entraîne en termes de destruction et d’entropie... Il est maintenant minuit, samedi soir, et nous sommes entourés de gens qui croient que ce qu’ils font depuis un quarantième de seconde peut continuer indéfiniment. Il est illusoire, voire suicidaire, de croire que nous pourrons croître à l’infini sur une planète qui dispose de ressources en quantité finie. Préservons Gaia(1) afin que ce fabuleux patrimoine de bien-être puisse être transmis aux générations futures.
La solution est simple : ralentir la machine à consommer, éviter les gaspillages, faire appel aux énergies renouvelables, rien de bien difficile en somme. Par exemple, l’application de ces trois principes permettrait à une famille standard (2 adultes, 2 enfants) de diminuer sa consommation de 130 KWh/m²/an à moins de 15 KWh/m²/an (2) soit 8 fois moins d’énergie par habitation par an. Sachant qu’il y a +/- 4,4 millions de ménages sur un territoire comme la Belgique, vivant en moyenne dans 100 m², cela représenterait une économie de 50,6 millions de KWh par an. Soit 506 000 tonnes(3) de CO2 en moins par an dans l’atmosphère et au moins 1600 € d’épargne(3) en moyenne par famille par an. Cela est évocateur, n’est-ce pas ? Il est remarquable de constater que nous accordons vraiment de l’importance aux choses dès lors qu’elles sont mesurables et mesurées. Dans ce contexte, puisse le Royaume du Bhoutan(4) être le précurseur de notre nouvel étalon de mesure de la croissance et de la pérennité : le BNB (Bonheur national brut).
(1)Dans la mythologie grecque, Gaïa (aussi connue sous les noms Gè, Gaéa ou Gaia) est une déesse identifiée à la Terre-Mère. (2)Source : La maison économe / Jean-Christian Lhomme (3)Nous prenons 0,1kg de CO2 par kWh économisé (http://www.ademe.fr/outils/) et 0,13c par kWh non consommé. (4) Cet état mesure le bonheur individuel de chaque citoyen, BNB, plutôt que le PNB. Il prend en compte pour cela quatre facteurs : le développement socio-économique durable et équitable, la préservation de l’environnement, la protection du patrimoine culturel, et la bonne gouvernance.
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