Y a-t-il une arnaque à la dette publique ?

Bien sûr que non. Les marchés financiers prêtent aux Etats en contrepartie d’un intérêt. Il n’y a donc absolument pas d’arnaque : l`Etat indemnise ses prêteurs comme n’importe quel emprunteur. L’utilisation de l’argent dans le temps a un prix, et ce prix, c’est le taux d’intérêt.

L’intérêt rémunère en réalité deux choses : le coût d’immobilisation de l’argent et le risque de non remboursement. En effet, les prêteurs ont devant eux plusieurs choix d’investissements : si l’Etat ne propose pas d’intérêts, personne ne souscrira à sa dette. D’autre part, le prêteur prend un risque : celui de ne pas être remboursé. Il est donc normal que plus l’emprunteur soit susceptible de faire défaut, plus le taux d’intérêt exigé de lui soit élevé.

C’est extrêmement simple, tout le monde doit pouvoir se mettre d’accord avec ces propositions.

Pourquoi l’Etat ne peut-il pas emprunter directement auprès de sa banque centrale ?

Tout simplement parce que c’est aujourd’hui interdit. Cette interdiction résulte de dispositions législatives et du fameux article 123 du Traité de Lisbonne (voir ci-dessous). Nous allons voir ensuite pourquoi cette interdiction, s'il est souhaitable d'y mettre un terme, n'a rien du scandale que certains voudraient décrire.

Que disent les fameux articles 123 du Traité de Lisbonne (TFUE) et la loi française ?

Ils disent plus ou moins la même chose, contentons-nous de L’article L. 141-3 du Code monétaire et financier (dont sa forme actuelle date de 1993). Il dispose qu’« il est interdit à la Banque de France d'autoriser des découverts ou d'accorder tout autre type de crédit au Trésor public ou à tout autre organisme ou entreprise publics. L'acquisition directe par la Banque de France de titres de leur dette est également interdite. »

Cet article est vraiment très clair, l’article 123 du traité de Lisbonne est de la même veine. La plupart des gens devraient les lire au lieu de croire sur parole les horreurs qu'on leur attribue.

Très concrètement, cela signifie l’interdiction de la monétisation directe des finances publiques, autrement dit que la Banque centrale achète la dette publique dès son émission. Nous allons voir que si la fin de cette interdiction est souhaitable, elle ne résoudra pas d’un coup de baguette magique le problème de la dette et des déficits publics comme certains voudraient nous le faire croire.

Est-ce que cette disposition a un grand impact ?

En fait, cette interdiction n’a pas un impact si grand que cela. Tout simplement parce que si la monétisation directe est interdite, la monétisation indirecte (c'est-à-dire que la Banque Centrale rachète de la dette publique déjà existante) reste autorisée. La BCE l’a d’ailleurs pratiqué dernièrement, alors qu’elle ne le faisait pas auparavant.

Et il n’y a pas, pour ce qui nous intéresse, de grandes différences entre monétisation directe et indirecte : dans les deux cas, l’effet est le même. La seule différence, c’est que la dette de l’Etat doit d’abord être souscrite par les marchés financiers avant d’éventuellement être rachetée par la BCE (je sais je simplifie). Dans les deux cas, une fois la dette rachetée, l’Etat ne paye plus d’intérêts. Si certains veulent creuser le sujet, il y a effectivement des différences, Patrick Arthus s'est récemment exprimé sur le sujet.

En bref, ceux qui se focalisent sur l’article 123 sont assez ridicules, puisque l'opération qu'ils prétendent impossible est en fait autorisée et parfois pratiquée.

L’Etat ne pourrait-il pas se financer gratuitement auprès de sa banque centrale ?

En principe, il serait possible que la Banque de France accorde un prêt à l’Etat. Qu’il soit rémunéré ou non n’a absolument aucune importance puisque la Banque de France appartient à l’Etat. Mais c’est justement à ce niveau que se situe le problème : si l’Etat emprunte à la Banque de France, en fait il s’emprunte à lui-même.

Et tout le monde peut comprendre que s’emprunter de l’argent n’a absolument aucun sens économique pour tous les acteurs économiques. En réalité, l’endettement de l’Etat n’est donc pas financé. Comment se traduit concrètement ce déséquilibre ? Par l’inflation : comme la quantité de monnaie disponible augmente sans qu’il y ait une augmentation de richesse correspondante, les prix montent. Autrement dit, il y a plus de monnaie pour toujours autant de biens : le prix des biens augmente donc et le « prix » de la monnaie baisse.

En effet, l’Etat n’est pas un acteur comme les autres : c’est lui qui émet garantit la valeur de la monnaie. J’imagine que vous comprenez le danger : il peut donc, pour financer ses besoins, choisir d’émettre de la monnaie nouvelle. C’est ce qu’on appelle la planche à billets.

Ne pourrait-on pas retirer de la monnaie par ailleurs ?

C'est ce que certains proposent, en projetant de limiter la quantité de monnaie émise par les banques privées. Le seul problème, c'est que cela va avoir un impact extrêmement sévère sur l'économie réélle : concrètement, les particuliers et les entreprises emprunteront beaucoup plus difficilement. Cela veut dire qu'il ne sera plus aussi facile d'emprunter, que vous et moi ne pourront plus emprunter de l'argent pour financer l'achat de biens ou d'immeubles. En considérant cela d'une manière globale, l'effet pourrait être dévestateur, pire que prévu. Ce n'est évidemment pas la voie à suivre, alors que les pme se plaignent de ne pas réussir à se financer dans des conditions normales, si bien qu'il a été nécessaire d'instaurer ce fameux médiateur du crédit.

Ne pourrait-t-on pas justement supporter cette inflation ?

Les trente glorieuses, période où la France a connu une forte croissance, ont coïncidé généralement avec une inflation forte. Aujourd’hui, l’inflation est très faible. Ne pourrait-on pas accepter une inflation plus élevée alors que la crise exerce des pressions inverses, déflationnistes ?

C’est évidemment tentant. Sauf que le gros risque, c’est d’avoir l’inflation sans la croissance. 1973, date retenue par les contempteurs de la loi « Pompidou-Rothschild », marque justement le premier choc pétrolier et la fin de la période des trente glorieuses, avec l’entrée de la stagflation, c’est à dire l’inflation sans la croissance.

Le risque, c’est également que l’inflation s’emballe et dérive vers une hyperinflation. Ce qu'il faut bien comprendre, c'est que la stabilité de la monnaie, c'est avant tout une question de confiance. Rompre cette confiance peut donc donner à des politiques ayant en fait un impact limité en soi des effets dévastateurs.

Il ne faut pas oublier non plus que l'inflation a des effets redistributeurs. Il baisse les revenus de l'épargne. Pas de problème me diront certains, en considérant la figure du rentier petit et grand bourgeois, c'est l'effet recherché. Sans rentrer dans ces considérations assez discutables (l'inflation est en général plus durement supportée par les petits épargnants), il est cependant indiscutable qu'au delà d'un certain seuil, cet effet redistributeur devient destabilisant, menaçant la confiance en l'économie d'une grande partie de la population. Ce qui n'est évidement pas bon. Avec la mondialisation, les pressions sur les salaires seront toujours très fortes, même après des mesures correctrices. Il n'est pas sûr que les salaires suivent (par contre, le smic, c'est automatique)...

Au delà de cela, la simple hausse des prix a un effet destabilisateur sur la structure économique même. Les prix sont en effet le principal signal envoyé par les marchés aux différents acteurs économiques. Si l'on perd confiance dans leur valeur, c'est source d'incertitude et donc de problèmes. L'économie, c'est la confiance, tout le monde le sait bien.

On parle également des coûts de changement d'étiquettes ou de menus : si l'inflation est forte, il faut recalculer très souvent ses prix...

Debout la République tient une formule qui est je crois équilibrée : DLR remet en cause les articles 123 du Traité de Lisbonne et L. 141-3 du Code monétaire et financier, offrant ainsi la possibilité de financer l’Etat par la création monétaire. Même si nous n'utilisons pas cette possibilité, cela nous donnerait un moyen de négociation supplémentaire par rapport aux marchés financiers. Par contre, il me paraît évident que cette possibilité restera malheureusement limitée et que cela ne pourra que servir d’appoint.

Mais les Banques privées ne créent-elles pas également de la monnaie et ainsi de l’inflation ? Financer l’Etat par les banques privées ou centrales n’aurait-il pas le même effet inflationniste ?

Non, ce n’est pas la même chose, puisque comme je l’ai expliqué plus haut, lorsque l’Etat emprunte à la banque centrale, il s’emprunte à lui-même en réalité. Il n’y a donc pas de contrepartie, c’est cela qui créé l’inflation.

Dans les vidéos précitées, le fait que lorsque les banques prêtent, elles créent de la monnaie pour ce faire est présenté de manière révolutionnaire. C’est absurde, puisque c’est tout à fait normal. N’importe quel élève de 1ère ES (et même, si mes souvenirs sont bon, de 2nde avec une initiation à l’économie) le sait. Ce qu’en général ces vidéos oublient de dire, c’est que lorsque le prêt est remboursé, la monnaie créée est détruite. Ce qui est inflationniste, ce n’est donc pas le fait d’accorder un prêt, mais le fait d’en accorder moins qu’auparavant.

Par ailleurs, la création monétaire n'est pas du seul fait des banques : pour pouvoir créer de la monnaie en octroyant un prêt, il faut qu'il y ait une demande solvable. J'insiste sur le solvable, puisqu'il est évident que les banques n'octroient de prêts et donc ne créent de la monnaie qu'en espérant être remboursées, c'est-à-dire pour financer des projets viables.

Si vous n’avez toujours pas compris pourquoi le financement de l’Etat par la Banque centrale est plus inflationniste, oubliez ce que je viens de dire et considérez ceci :

Aujourd’hui, lorsque l’Etat se finance, il ne souscrit pas à un prêt auprès des banques. En fait, il émet des titres de dettes, dont les banques ne possède qu’une petite partie (en France, ce serait autour de 20%, 14% par les banques françaises, et une quantité indéterminée pour le reste du monde). La dette publique est très souvent détenue par tous les Français, par le biais de leur assurance-vie par exemple. Il n’y a donc pas de création monétaire, mais l’achat de titres de dettes…

Ne pourrait-on pas financer les projets d’investissement de l’Etat par la création monétaire ?

Le problème, c’est que le budget de l’Etat est un tout, comme tous les budgets. L’Etat est une personne juridique comme une autre de ce point de vue là. Que les déficits soient égaux aux investissements d’avenir n’a pas d’influence directe sur l’impact inflationniste. A cet égard, certains propos de Nicolas Dupont-Aignan sont assez regrettables puisqu’ils semblent valider cette théorie.

Comment le rejet de l’interdiction de la monétisation directe s’inscrit dans le cadre d'autres propositions comme la TVA sociale ou la sortie de l'euro ? Quid de l’inflation ?

La sortie de l’euro est préconisée par quelques partis (FN et DLR), notamment parce que l’euro serait trop cher pour l’économie française. Si on adopte cela, il y aura, mécaniquement, une inflation, une hausse des prix de nombre de produits importés. Et une hausse importante, il faut bien s’en rendre compte. On estime à 30% la hausse des coûts de production en France par rapport à l’Allemagne. Il faut donc s’attendre à une baisse d’au moins 30% de la nouvelle monnaie et une hausse corrélative des biens importés, qui au bas mot doivent représenter 20% de notre PIB et une part plus importante encore des produits manufacturés consommés en France. Cela donne une hausse générale des prix de 6% (20% des produits et services augmentant de 30%). L'un des arguments principaux contre l'euro, c'est que ce dernier est sur-évalué. Si on le quitte, la France subira donc forcément une dévaluation, qui sera pourtant compensée par une dévaluation encore plus grande de certains autres pays qui quitteraient l'euro (par ex l'Espagne).

A cela s’ajoute la TVA sociale, préconisée par DLR ou bien encore par l'ump semble-t-il. Pour que cette mesure soit efficace, il faudrait porter la TVA à 25%, c’est encore 5% de hausse des prix. On additionne les deux, et cela donne une inflation à potentielle à 11%...

Dans ces conditions, il est évident que l'on ne pourra pas aller très loin dans la création monétaire si l'on choisit en même temps de quitter l'euro et d'adopter une tva sociale.

Car l’inflation a un coût très important, bouleversant l’allocation des revenus et suscitant bien entendu des tensions sociales. Elle reste très dangereuse. A 11%, les risques d’emballement sont très importants, c’est évident.

Est-il possible de rembourser la dette publique par financement direct de l'Etat par la Banque Centrale en 15 ou 17 ans ?

Dans l’absolu, c’est possible, bien sûr, au prix d'une forte inflation.Ce qui est très dangereux, créant des tensions sociales très fortes comme nous le montre aujourd'hui les pays arabes. En fait, cela reviendrait à déclarer qu'il suffit que 1 000 euros anciens égalent un nouvel euro et interdire la conversion des titres de dettes. Pas de problèmes, on arrivera alors à rembourser. Reste qu’évidemment cette solution serait dévastatrice pour la France, anéantissant l'épargne de tous les acteurs économique, amenant la ruine de bon nombre d'épargnants et d'institutions financières. C'est évidemment impossible.

En fait, il y a deux mécanismes : en rachetant les titres de sa dette publique, l'Etat annule sa dette. Ce faisant, il créé de l'inflation qui mécaniquement baisse la valeur réélle des dettes restantes (à la condition que les titres de dettes ne prennent pas en compte cette inflation, certains ne le font pas. Mais ils sont je crois minoritaires).

Concrètement, la France est endettée aujourd’hui à hauteur de 85% de son PIB. Cela signifie qu’en un an, elle produit 85% du montant cumulé de sa dette. Les déficits sont aujourd'hui autour de 6% du PIB, il faut tout de même prendre en compte cela. La dette publique, c'est 1650 milliards d'euros. Vous comprenez bien que vouloir effacer la dette publique en 15 ans par la création monétaire revient donc à vouloir créer une masse considérable de monnaie. Prétendre que l'on peut financer ainsi la dette publique sans avoir de graves conséquences, c’est donc n’importe quoi, il n’y a pas d’autres mots.