Les idées claires de Philippe manière, ou de la non pensée libérale
Mardi matin 4 mars, le chroniqueur des Matins de France Culture a fait sa chronique hebdomadaire en commençant ainsi, je cite :
‘’Le ministre délégué à l’économie sociale a fait dimanche une sortie qui m’a laissé pantois je dois dire, parce qu’hélas elle en dit long sur la méconnaissance de la classe politique sur les mécanismes économiques les plus élémentaires.’’
Cette petite phrase de Benoit Hamon, la voici : ’’ Si les marges des entreprises sont plus basses aujourd’hui qu’elles ne l’étaient auparavant, c’est aussi qu’il y a une captation des marges par la distribution ces dividendes’’.
Et le chroniqueur de s’en donner à cœur joie sur ceux qu’il se croit obligé de stigmatiser un maximum une fois par semaine dans cette émission sympathique au demeurant, pour justifier ses émoluments que jalouseraient beaucoup de ceux qui l’écoutent.
Qu‘on en juge : ‘’ Vu de gauche enfin, de très à gauche, l’idée que les vilains capitalistes vident nos entreprises de leur sang est évidemment délicieuse. Le problème c’est que tout ça ne tient pas la route un instant…. la vision quasi marxiste de Benoit Hamon ‘’
S’ensuit une longue tirade de quatre minutes - c’est son temps imparti - que l’on peut lire à la fin de ce billet, tirade qui aurait valeur de démonstration si elle n’était entachée d’un argument contestable qui en fait un sophisme. Cet argument, le voici :
‘’ Ce que montre la statistique officielle, c’est que ce sont les salaires et charges et les impôts sur la production qui ont dérivé avec le temps, et qui années après années ont grignoté la marge des entreprises. Entre 2000 et 2012 la part des rémunérations dans la valeur ajoutée est ainsi passée en France de 65 % à 68% pendant qu’elle baissait en Allemagne, quant aux impôts de production, une spécialité française, (COE-RECS &COD ?) a calculé que si nos entreprises étaient taxées au même faible niveau que les allemandes, hé bien elles économiseraient 65 milliards d’euros par an, plus de deux fois ce que le fameux pacte de responsabilité ambitionne de leur restituer, c’est dire. ‘’
Ainsi donc, Philippe Manière grand économiste devant l’éternel soutient mordicus que, contrairement à ce que l’homme de la rue croyait, ce n’est pas la part du capital qui croît au détriment de la part du travail, mais l’inverse. Aurait-on inversé la courbe de répartition de la valeur ajoutée (*) entre travail et capital au profit des salariés ?
Partage de la valeur ajoutée entre travail et capital : Comment expliquer la diminution de la part du travail ?
Le document de l’OCDE dont le lien est donné en fin d‘article, fournit une réponse circonstanciée à cette question. En voici résumée la teneur :
‘’Ces trois dernières décennies, la part du revenu national constituée des salaires et avantages accessoires au salaire – la part du travail – a diminué dans la quasi-totalité des pays de l’OCDE. Ce chapitre, consacré à l’explication de cette baisse, met en évidence le rôle de facteurs tels que la hausse de la productivité et l’accroissement de l’intensité capitalistique, l’intensification de la concurrence nationale et internationale, l’affaiblissement du pouvoir de négociation des travailleurs et l’évolution des institutions de la négociation collective. Le recul de la part du travail est allé de pair avec une augmentation des inégalités de revenu marchand, de nature à mettre en péril la cohésion sociale et à ralentir le rythme de la reprise en cours. ‘’
Outre que cette stratégie des entreprises qui consiste à augmenter démesurément les très hauts salaires permet à Philippe Manière et ses compères d’affirmer qu’aujourd’hui ‘’ la part des rémunérations dans la valeur ajoutée est passée en France de 65 % à 68% pendant qu’elle baissait en Allemagne’’, elle interpelle tous ceux qui n’ont pas l’habitude de se satisfaire du prêt à penser délivré ad libitum par les médias du capital et qui voient bien qu’en comptabilisant dans la part salariale la part versée aux grands patrons de l’entreprise on fait coup double : on alourdit artificiellement le coût du travail et on allège miraculeusement le poids des dividendes, tout en conservant le même profit, puisque les gros salaires en sont.
Cette constatation soulève bien évidemment la question du mode de calcul des charges de l’entreprise et particulièrement les cotisations chômage, et c‘est ce dont je vais parler maintenant.
Les cotisations chômage qui pèsent sur le travail sont un archaïsme mortifère.
A l’époque où ont été instaurées les lois sur la protection des salariés - 91% de la population active aujourd’hui -, le chômage était un accident contre lequel il était prudent de s’assurer. Aujourd’hui, le chômage est une calamité pour les travailleurs en même temps qu’une aubaine pour les capitalistes qui règnent en maîtres sur le marché du travail, puisqu’il permet de faire pression sur les salaires.
Les cotisations chômage qui pèsent sur le travail devraient d’urgence être abolies et le financement du chômage considéré comme une maladie sociale engendrée par la course aux profits devrait être financé par des prélèvements effectués sur les profits.
C’est pourquoi je fais ici la proposition suivante : faire de l’IS, l’impôt sur les sociétés un impôt à taux progressif à l’instar de l’Impôt sur les Revenus, avec l’instauration d’un équivalent du quotient familial calculé au prorata du nombre de salariés - et non pas des salaires, puisque l’on a vu ci-dessus que les très gros salaires viennent pervertir le système actuel.
Ainsi, à profits identiques et toutes choses égales par ailleurs entre deux entreprises équivalentes, celle qui emploie le plus de travailleurs paierait moins que l’autre, et ce serait une justice corrigeant l’iniquité du système actuel qui est un cercle vicieux ; le nouveau système doit être un cercle vertueux.
Bonus : De la loi de l’offre et de la demande, et ses rapports avec le taux de chômage.
Avec les mots actuels qui sont ceux du patronat ( offreur d’emploi, demandeur d’emploi), la loi de l’offre et de la demande est bafouée : ainsi, plus la demande (d’emploi) est forte ou plus l’offre est basse, alors plus le prix (le salaire) est bas ! un paradoxe qui, s‘il ne dérange pas ceux pour qui une absurdité vn‘est pas un obstacle n’en constitue pas moins une insulte à l‘intelligence.
Si je pose que sur le marché du travail le terme d’emploi est un intrus, et si je dis que le demandeur est le patron et l’offreur le salarié, alors la loi de l’offre et de la demande est respectée et s’exprime ainsi : plus il y a le déséquilibre entre l’offre et la demande est grand en faveur des demandeurs, et plus le prix à payer (les salaires) sera bas, et inversement.
Et donc ce ne sont pas 5 millions de demandeurs d’emploi qui sont laissés sur le bord de la route, mais 5 millions d’offreurs de services et de compétences ! Et ça change tout : les capitalistes, qui possèdent le nerf de la guerre, laissent délibérément des trésors de productivité sur le carreaux pour faire davantage de profits.
Et l’on comprend parfaitement que les patrons ont intérêt à maintenir un taux de chômage le plus élevé possible, et il y a plusieurs façon : une immigration massive, des durées de travail très longues, un recours systématique aux heures supplémentaires, des délocalisations stratégiques, etc, etc.
Transcription de la chronique ‘Les idées claires de Philippe Manière‘.
Le ministre délégué à l’économie sociale a fait dimanche une sortie qui m’a laissé pantois je dois dire, parce qu’hélas elle en dit long sur la méconnaissance de la classe politique sur les mécanismes économiques les plus élémentaires, je cite Benoit Hamon : ’’ Si les marges des entreprises sont plus basses aujourd’hui qu’elles ne l’étaient auparavant, c’est aussi qu’il y a une captation des marges par la distribution ces dividendes’’.
Vu de gauche enfin, de très à gauche, l’idée que les vilains capitalistes vident nos entreprises de leur sang est évidemment délicieuse. Le problème c’est que tout ça ne tient pas la route un instant. De quoi parle-t-on au juste ? Hé bien les dividendes incriminés par le ministre, c’est la partie du profit que les actionnaires reçoivent en rémunération du capital qu’ils ont apporté, j’insiste, une partie du profit de l’entreprise. On ne peut donc parler de dividendes qu’une fois qu’on a établi les comptes de l’entreprise et que l’on sait quel profit, quelle marge son exploitation a permis de dégager. Dire que des dividendes plus élevés pèsent sur la marge n’a donc strictement aucun sens puisque la marge a été réalisée et calculée en amont de la décision de distribuer plus ou moins de dividendes. C’est un peu comme si on accusait la consommation de pain de faire baisser les rendements agricoles.
Mais n’ergotons pas, même si la présentation en est approximative, on voit bien me dira-t-on l’idée du ministre : il s’agit d’expliquer que la baisse des marges des entreprises françaises est réelle et imputable au comportement des patrons.
Réelle, oui, le taux de marge des entreprises françaises est très faible à 28%, il est à son plus bas niveau depuis 1985, il est très inférieur à celui des entreprises allemandes néerlandaises, américaines et même espagnoles, avec pour conséquence, une moindre propension à investir et à recruter, ce qui est bien ennuyeux, mais pourquoi cette faiblesse ?
Alors, pour calculer le taux de marge, la comptabilité nationale rapporte en fait ce qu’on appelle l’excédent brut d’exploitation des entreprises marchandes à la valeur ajoutée qu’elle dégagent. Cela peut sembler technique, en fait c’est assez simple, et très logique : la valeur ajoutée c’est le chiffre d’affaire, autrement dit ce qu’on a vendu, moins les consommations intermédiaires, c’est-à-dire ce qu’on a acheté à l’extérieur auprès de ses fournisseurs et cette valeur ajoutée viendra donc au dénominateur de notre calcul. Au numérateur on trouve l’excédent brut d’exploitation, càd la valeur ajoutée que je viens d’évoquer moins les salaires et charges sociales, moins encore les impôts qui pèsent directement sur la production , la taxe foncière, la taxes sur les salaires, j’en passe et des meilleures.
Ce qui différencie le numérateur du dénominateur ce sont donc visiblement les salaires et charges et les impôts sur la production et rien d’autre. Et c’est là que la vision quasi marxiste de Benoit Hamon est sévèrement prise en défaut. Alors que la rémunération du capital qui est trop obscène, qu’il accuse de tous les maux n’a rien à faire dans ce calcul, hé bien la rémunération du travail, elle en fait bien partie intégrante, de même que les impôts de production.
Or ce que montre la statistique officielle, c’est que ce sont bien ces deux facteurs qui ont dérivé avec le temps dérivé avec le temps, et qui années après années ont grignoté la marge des entreprises. Entre 2000 et 2012 la part des rémunérations dans la valeur ajoutée est ainsi passée en France de 65 % à 68% pendant qu’elle baissait en Allemagne, quant aux impôts de production, une spécialité française, (COE-RECS &COD ?) A calculé que si nos entreprises étaient taxées au même faible niveau que les allemandes, hé bien elles économiseraient 65 milliards d’euros par an, plus de deux fois ce que le fameux pacte de responsabilité ambitionne de leur restituer, c’est dire.
Si l’on résume : depuis 2007, pendant que malgré la crise, les salaires versés par nos entreprises grimpaient de 75 milliards d’euros, et leurs impôts de production de 6 milliards, hé bien leurs marges cumulées, elles, baissaient de 20 milliards d’euros.
Alors, si Benoit Hamon cherche seulement des boucs émissaires, oui il peut effectivement charger la prétendue cupidité des actionnaires, mais s’il veut vraiment se préoccuper de l’économie française, alors c’est sur sa compétitivité qu’il doit se pencher, une compétitivité hélas en berne.
(*) les journalistes du Capital, après d’être moqués ad nauseam de François Hollande au sujet de l’impossibilité selon eux d’inverser une courbe statistique, s’y sont tous ralliés quand ils se sont rendus compte que François Hollande ne faisait par ce raccourci de langage, qu’user d’un raccourci de langage dont-ils sont pourtant si friands eux-mêmes.
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