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Les leçons tirées des coopérations internationales (en aéronautique) (3/4)

Le développement de l'Eurofighter Typhoon est devenu, malheureusement, un cas d'école : les retards et surcoûts de ce programme à 4 pays (Royaume Uni, Italie, Allemagne, Espagne) sont extrêmement élevés, et toutes les spécifications initiales n'ont pas été réalisées, notamment en capacités Air to ground (attaque au sol). Le radar AESA n'existe toujours pas sur les avions fournis aux 4 pays alors qu'il est déployé sur les Rafale français depuis plus de 10 ans.

Si bien que le coût unitaire de chaque Eurofighter est plus élevé pour chacun des 4 pays que pour la France celui du Rafale, qui a cependant des capacités et atouts supplémentaires incontestables : utilisation possible sur porte-avion (et avec plus de 80% de pièces communes), emport d'armes de dissuasion, architecture ouverte, cockpit pilot-friendly par exemple. Et qui a été pensé pour diminuer le support et la maintenance de façon importante : remplacement très rapide du radar Pesa par le radar Aesa, dépose d'un réacteur en moins d'une heure, par exemple.

5. Les erreurs faites, en matière de coopération, pour l’Eurofighter, pointées par la Cour des Comptes britannique (NAO)

Les progrès décisifs, au niveau d’Airbus (voir Les leçons tirées des coopérations internationales (en aéronautique) (1/4)), n’ont pas empêché les 4 pays de l’Eurofighter d’essayer une autre façon de coopérer. En décomposant à l’extrême l’avion en lots et sous-lots, notamment pour assurer que la part de travail en chaque pays serait au prorata du nombre d’avions commandés (‘juste retour’), mais aussi pour que chaque pays soit impliqué dans un grand nombre de parties d’avion, même très partiellement.

Et ceci même si l’entreprise en charge de l’élément était peu expérimentée dans le domaine. Et cette décomposition extrême en sous-lots supposait des aller-retours aberrants entre entreprises de pays différents.

Voir par exemple le rapport de la Cour des Comptes britannique (NAO), en 1995 [2]  :

Case study 1 : The Flight Control System (FCS)

« … The other main contributor to the delays on the FCS development has been the worksharing arrangements. The details of these were proposed by industry within nations’ overall requirement that work should be shared in accordance with proposed production offtakes. For hardware development, the worksharing plan implemented by industry has meant that work has in some cases been placed with companies with little experience of the components they are expected to develop.

An example of this is the decision to allocate development of the electronic boards of the Stick Sensor and Interface Control Assembly to two separate companies in different countries.
There are four identical boards on each assembly and each of the two companies has to manufacture, to drawings and test sets provided by GEC Marconi Avionics, half the required number of boards, before delivering them to GEC Marconi for final assembly.

The software for the Flight Control Computer is extremely complex, but to comply with workshare requirements the software development was split into modules and divided between the four consortium members. Until recently the software was written separately by the companies involved in four different countries. This meant that when the modules were brought together at GEC Marconi Avionics and interface problems were identified, the relevant modules had to be returned to the other partner companies for rework.

The delays caused by this process were exacerbated by the fact that, for economy reasons, GEC Marconi were funded to build only a single lane test rig since a four lane test rig was already provisioned at DASA. Consequently, GECMarconi could only test the computers as separate units and not running together in parallel.

This has resulted in further delays, as faults were often only found when the software was integrated at DASA. The software then had to be returned to GEC Marconi, and in turn the other companies, before going through the testing loop again. … »

Il faut dire que la situation n’était pas tout à fait la même que pour Airbus, puisque l’Allemagne, et encore moins l’Espagne, ne disposait pas du savoir-faire pour réaliser un avion de chasse à 100%, et que ces deux pays voulaient apprendre, beaucoup apprendre, de la part du Royaume Uni et de l’Italie dans une moindre mesure.

Et cette volonté de gagner en compétence a fortement contribué aux surcoûts et aux retards très élevés du programme Eurofighter.

En effet, les décisions en matière de conception étaient prises en une multitude de comités quadrinationaux, approche à la fois peu efficace et peu efficiente, puisque cela permettait aux ingénieurs allemands et espagnols de contrôler l’avancement des travaux et d’apprendre au fur et à mesure, quitte à ralentir fortement ces travaux.

Voir par exemple le même rapport NAO cité, par exemple page 32 « (a) The collaborative decision making process »

« … Collaborative decisions are reached through a four level hierarchy of Committees with a Steering Committee providing overall guidance.

.. This committee approach seeking consensus at every level meant that nations have not always made decisions in an efficient and timely manner and that the expected benefits from the extensive programme monitoring systems installed have not been fully realised. »

Ces façons de faire ont entraîné de très forts surcoûts et retards. [3]

Case Study of the Typhoon

« … Programme delays have proved a major headache, but arguably the greatest inefficiency associated with the Typhoon collaborative programme, has been the absence of a genuine division of labour among partner nations. This has meant that production inputs, such as systems and subsystems, are not sourced based on industrial comparative advantage, but rather on ensuring that the work is equitably shared among the participating collaborative states (Sempere 2017, 334).

… The following UK examples provide a sense of the problems encountered during the early years of the Typhoon consortium :

  • firstly, workshare requirements for the development of the Flight Control System ruled out a far cheaper technically compliant solo bid from the UK General Electric Company (GEC) in favour of a consortium proposal ;
  • secondly, the electronics for the HeadUp Display required UK drawings, but juste retour meant that the subsystems were produced in three different overseas locations before return to the UK for final assembly and testing ;
  • and, thirdly, Marconi, the leading UK company for systems development work, represented the only supplier possessing proven expertise and experience needed to design and produce the system, but was obliged to subcontract work to partner countries in order to meet workshare percentage requirements.

Worse still, in its testing role, any components Marconi failed had to be returned to the foreign originating company for rectification before re-entering the testing loop (National Audit Office – NAO 1995, 6 & 21 ; February 2001, 76–77).

Rigid adherence to juste retour ratios sacrifices supply chain efficiency and leads to cost increases of between 33–100 % of a collaborative programme’s potential cost (Heuninckx 2008, 11 & 18), and accounts for up to 96 % higher costs compared to an equivalent national aircraft (De Vore 2011, 657 ; National Audit Office – NAO 2001, 16). »

Ceci a rendu le programme Eurofighter extrêmement cher, beaucoup plus cher que le programme Rafale mené par un seul pays, alors que l’Eurofighter ne dispose pas d’une bonne partie des capacités du Rafale, notamment en attaque au sol (air to ground).

La Cour des Comptes allemande a aussi remarqué ces énormes surcoûts. [4]

« Il y a maintenant trois ans, le National Audit Office, l’équivalent britannique de la Cour des comptes française, avait évalué [5] le coût du programme Eurofighter Typhoon à 37 milliards de livres pour 160 appareils, ce qui correspondait à une hausse de 75% par rapport à ce qui avait été initialement prévu. La Royal Air Force, qui en attendait 235 exemplaires a dû ainsi revoir ses plans à la baisse et annuler la commande de 75 avions.

Ce qui est valable outre-Manche l’est aussi en Allemagne, autre grand client du consortium européen formé par Airbus, BAE Systems et Finmeccanica.

En 1997, Berlin commanda 180 Eurofighter avec une enveloppe de 11,8 milliards d’euros. Seulement, ce budget est « presque complètement épuisé » si l’on en croit les estimations de la Bundesrechnungshof, la Cour fédérale des comptes allemande, alors que seulement 108 appareils ont été livrés à la Luftwaffe, qui devrait finalement en recevoir 137 exemplaires, après une nouvelle réduction de commande décidée il y a quelques mois.

Mais ce n’est pas tout. Dans son rapport rendu public le 29 avril, la Cour des comptes allemande pointe le dérapage des coûts de maintenance sur l’ensemble du cycle de vie des Eurofighter de la Luftwaffe. Initialement estimés à 30 milliards d’euros pour 180 avions, il faudra compter le double, soit 60 milliards !

Cette inflation des coûts est notamment due à l’achat des pièces détachées, au maintien en condition opérationnelle (MCO) et aux frais d’exploitation des appareils, ce qui rejoint les conclusions faites en 2011 par le NAO britannique.

En 2011 et 2012, le coût de la MCO des Eurofighter s’est ainsi élevé à près de 800 millions d’euros, soit le tiers des crédits prévus pour la maintenance de l’ensemble des avions de la Luftwaffe

 En 1997, « le gouvernement allemand décide de financer la production de 180 exemplaires livrables à partir de 2002 . L'Italie décide d'en acheter 121 et l'Espagne 87, quantités en retrait par rapport aux premières intentions. En avril 2021, la RAF dispose de 137 Eurofighters.

En 2011, la hausse du coût du programme Eurofighter Typhoon a conduit le ministère de la Défense britannique à réduire la cible de 232 à 160 appareils et la Cour des comptes britannique (National Audit Office) estime que les 160 appareils de la Royal Air Force coûteront (développement + production + possession) aux Britanniques 37,1 milliards de livres (43,6 milliards d'euros) soit 272 M€ (+75 % du coût initial) pour chacun des 160 Eurofighter commandés, soit près du double du coût unitaire estimé de chaque Rafale (142,3 M€) selon la Cour des Comptes française » (Wikipedia)

Mais même pour ‘seulement’ la supériorité aérienne (air air), domaine de prédilection de l’avion, les Eurofighters britanniques, allemands, italiens et espagnols ne disposent pas non plus d’un radar AESA, plus de 10 ans après qu'il est déployé sur le Rafale..

Le radar AESA fait partie du standard F3 du Rafale mis en service courant 2009 [6] alors qu’il faudra à l’Allemagne et à l’Espagne encore attendre un peu pour obtenir la version Captor ECRS Mk1, et que le Royaume Uni et l’Italie attendront encore plus (2028 au mieux) pour la version Mk2 [7]

A suivre

Première partie de l'article : Les leçons tirées des coopérations internationales (en aéronautique) (1/4)

Deuxième partie de l'article :Les leçons tirées des coopérations internationales (en aéronautique) (2/4)

 


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