Main invisible ou cerveau invisible ?
A court terme, peu d’êtres humains sur Terre pourront échapper aux conséquences de la crise globale qui s’est abattue sur la planète après une secousse principale en 2008 dont l’épicentre était clairement aux USA, mais dont les répliques européennes et asiatiques nous promettent d’en profiter un certain temps...
Nous savons déjà que les « bergers » qui ont convaincus le troupeau d’avancer au bord de la falaise seront les derniers à sombrer et que selon une vieille habitude, les plus pauvres et les plus faibles, bref les moins responsables paieront en priorité.
« Les derniers seront les premiers » , disait un ancien ouvrage.
Le temps de la fin du monde n’est pas là (n’en déplaise aux cassandres, l’attente risque d’être longue), mais la possibilité de la fin d’un monde est suffisamment crédible pour que nous ayons le devoir d’en profiter a minima pour réfléchir un peu à ce monde de shaddocks et à son organisation...
Nous vivons un moment extraordinaire, où la pression des évènements nous oblige tous à nous informer et à essayer de comprendre.
Le déroulement de cette crise est maintenant assez bien décrit par de nombreux économistes et autres qui grâce à la sagesse rétrospective refont le match en expliquant les moments les plus significatifs. C’est de l’information autant que de la distraction.
Dans le chaos des prises de position on a compris qu’on va un peu mieux réguler les activités financières et en attendant sauver les meubles (c’est-à-dire pour l’essentiel ceux qui se sont mis dans le pétrin) avec l’argent des contribuables actuels et à venir (comme d’habitude il n’y a pas d’alternative nous dit-on).
Toute honte bue et idéologie temporairement mise au placard, on voit les USA refuser l’effondrement de leur système bancaire (il est en situation de banqueroute) de même que le sauvetage par des intérêts étrangers d’entreprises qui valent à peine une bouchée de pain en bourse. Une prise de participation dans une entreprise par des intérêts privés équivaut à une prise de contrôle au prorata de la mise, or l’Etat vient de le faire massivement en se refusant à une nationalisation partielle ou totale. Ils sauvent des entreprises de la banqueroute au frais du contribuable avec tous les inconvénients en se refusant aux avantages. Le Japon a connu une situation similaire au début des années 90 et dans de meilleures conditions de sortie de crise a vu ses contribuables perdrent la moitié de leur mise. les américains ne peuvent l’ignorer.
De nombreux économistes en restent stupéfait car c’est en pleine lumière un jeu de « face vous perdez et pile nous gagnons » au bénéfice des instigateurs de cette débâcle.
S’il fallait une cerise sur ce gâteau empoisonné, la « bamboula » de Wall Street qui a distribué en 2008 pour 18 milliards de $ de bonus (disons des primes d’efficacité) à une corporation qui a envoyé la planète dans les décors, sera dure à oublier.
Les « Masters of mankind » sont malgré eux en pleine lumière et la main dans le sac. L’amérique s’en souviendra, désinformation ou pas.
Du côté de la gestion de la crise, nous savons confusément que nous aurons encore droit à un bricolage monstrueux puisque décidé par ceux-là mêmes qui vantaient hier les mérites du château de cartes qui vient de s’effondrer , plus des ajustements à la marge.
C’est de l’acharnement thérapeutique, mais qui pouvons-nous ?
Nous pouvons collectivement changer en exploitant la vision en pleine lumière des failles du système et le comportement des différents acteurs et nous avons la motivation pour zoomer/dézoomer sur ce système qui était censé être « la fin de l’histoire »...
La première chose à désapprendre est le mythe de l’efficience des marchés. Non pas que l’entreprise privée soit une foutaise per se. C’est ce que nous avons trouvé de mieux pour faire « tourner la boutique » semble-t’il.
Mais on a tout fait pour nous obliger à croire que la destinée ultime de la puissance publique était de se limiter à trois fonctions régaliennes (justice, police, armée), les accords AGCS de l’OMC ayant clairement cet objectif en ligne de mire, sans lui donner le droit de réguler l’activité économique sur d’autres bases que celles des entreprises (en pratique des grandes et transnationales). L’OMC n’a pas d’autre rôle que de réglementer ce que peuvent faire les Etats et déréglementer ce que peuvent faire les entreprises.
Or le « marché » a des tares fondamentales dont il ne peut se protéger lui-même et qui menace son existence et la nôtre.
Lester Brown en cite trois dans « Plan B 3.0 » qui sont :
1/Son incapacité intrinsèque à intégrer les coûts indirects (sociaux, environnementaux, etc) de la production de biens et services dans ses prix de vente.
On a calculé aux USA que le coût d’un litre de pétrole devrait être quintuplé au minimum pour intégrer tout les coûts externalisés par le « marché » au niveau du consommateur.
On a calculé qu’il fallait 7 à 10 fois plus de surfaces agricoles pour nourrir un occidental moyen qu’un végétarien (à apports nutritionnels équivalents), bien plus d’eau, engrais, énergie, transports, etc... Ce n’est nullement intégré dans le prix de vente de la viande.
Les calculs ont été fait pour le tabac, pour les risque liés à la hausse du CO2, etc...
A chaque fois, des activités économiques sont possibles parce que leur coût réel est en grande partie externalisé, vers les non-consommateurs, les contribuables, l’environnement, les générations futures, etc...
2/ Sa méconnaissance radicale des services rendus par la nature.
De gigantesques inondations dans la vallée du Yangtze en 1998 on conduit la chine après une perte de 30 milliards de $ à s’interroger sur les causes. L’étude montra que la déforestation sur le bassin versant était la cause et qu’un arbre debout valait sur le plan économique trois fois la valeur d’un arbre abattu et exploité. Il fut décidé de reboiser...
3/ Son incapacité totale à quantifier les seuils de production naturels.
L’exemple du secteur de la pêche est dans toute les mémoires et montre que même face aux preuves scientifiques que la ressource est menacée (donc la poule aux oeufs d’or) les entreprises privées poursuivent la fuite en avant et font pression pour éviter/limiter les quotas de prise (quitte à tout perdre mais on sait qu’elles seront sauvées par le contribuable quand il sera trop tard pour les ressources naturelles...).
Ce marché omniscient qu’on a voulu nous vendre (qui en attendant écrit les Lois auxquelles nous devons nous soumettre en lieu et place de nos élus via l’OMC) a bien d’autres tares, justifiant une puissance publique forte.
J’en ajouterai une 4ème qui est son « court-termisme » . Le marché ne va pas investir à perte pendant deux décennies pour des bénéfices ultérieurs, mêmes certains et justifiant la mise. Des Etats le pourraient si « le marché » ne les privaient peu à peu de revenus au nom de la compétitivité et de l’idéologie.
On peut se souvenir que le marché n’a pas été à l’origine de la conquête spatiale et tous les bénéfices que nous en tirons, n’a pas lancé « Airbus » et que la totalité du secteur aérospatial aux USA est alimenté par fonds publics via la branche militaire.
Sans aide massive de l’Etat pas de nucléaire en France et pas de renouvelables ailleurs (du moins avant que le peak-oil soit avéré pour tout le monde).
Enfin une 5ème qui me paraît de plus en plus flagrante est le fait que des intérêts privés s’arrogent de plus en plus le droit de prendre des risques qui dépassent de très loin tout ce que nous avons connu auparavant en utilisant leur puissance économique (plus de la moitié des plus grandes puissances économiques de la planète sont des entreprises) pour se dispenser de couvrir leurs risques (parfois incommensurables).
C’est le « too big to fail » des anglo-saxons qui conduit beaucoup à s’interroger sur le thème « too big to save ?... » voire « too big ?... » tout court.
Que dire du nucléaire en grande partie payé par des contribuables qui n’auront au final aucun kwh nucléaire à se mettre sous la dents mais des factures et soucis durables (au moins autant que la vie des déchets) ou des ogm dont on sait dès le début que les profits sont seulement pour les firmes biotechs et tous les risques pour la société ?
Pour résumer le marché ne peut s’autoréguler car il est tributaire d’un environnement qui lui est aussi incompréhensible que le mélange sucré dans lequelle se développe une levure de bière, l’est pour elle. Quand il n’y a plus de sucre ou trop d’alcool pour notre levure, c’est la fin. L’idée rassurante que la puissance publique est là pour fixer le cadre de développement des inititatives privées (seules efficientes dans la religion économique qui prévalait récemment) oubliait volontairement la pression fantastique des intérêts privés pour s’affranchir des contraintes avec des succès majeurs (la création de l’OMC qui courcicuite tout débat démocratique décentralisé) et leur fantastique capacité de chantage à l’emploi vu la taille atteinte par beaucoup d’entre elles.
Nos élites ont voulues nous faire croire que des comptables et des économistes pouvaient nous conduire vers de verts paturâges plus et mieux qu’une réflexion collective et pluridisciplinaires, de scientifiques, sociologues, philosophes, travailleurs sociaux, bref , quelque chose ressemblant à ce que devrait être une politique dont l’objet serait de défendre les intérêts des peuples voire de l’espèce non ceux d’une poignée de prédateurs et de profiteurs.
Nous avons le résultat sous les yeux. Ouvrons-les !...
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