Ne l’appelons plus jamais néolibéralisme : c’est un oligarchisme !
Le dit néolibéralisme est un ennemi complexe. Vilipendé par une grande partie de la classe politique, y compris par les partis de gouvernement pour certaines de ses dérives (inégalités, délocalisations, désertion fiscale, spéculation financière), rien ne semble pouvoir l’arrêter. En effet, par-delà les critiques, presque tous les gouvernements occidentaux poursuivent les politiques dites néolibérales en pilotage automatique. Ne faut-il pas alors se poser la question des failles de notre critique ?
Un nom trompeur qui biaise le débat public
La faille majeure qui me semble apparaître de plus en plus clairement, c’est tout simplement le nom donné à cette idéologie qui inspire l’action de nos dirigeants depuis quatre décennies. Même s’il y a toute une histoire des idées qui a abouti à ce nom, qu’évoque David Cayla dans son dernier livre « Populisme et néolibéralisme », il pose de sérieux problèmes, comme l’économiste le souligne. Même si cette pensée est postérieure, et dérive en partie du libéralisme, ce qui pourrait justifier son appellation, les deux composants de ce mot peuvent être contestés. D’abord, son caractère nouveau est tous les jours qui passent plus inadapté. C’est une pensée du milieu du 20ème siècle, qui s’est imposée à partir de 1979 et la victoire de Margaret Thatcher en Grande-Bretagne. C’est une pensée étrangère à bien des défis du monde moderne, d’un point de vue social, environnemental, économique ou politique.
Mais surtout, comme le pointe David Cayla dans Marianne, « le libéralisme classique d’une part, et le néolibéralisme d’autre part, n’ont pas grand-chose en commun. Le premier développe une théorie de l’émancipation individuelle là où le second entend soumettre les individus à l’économie ». Mais ce faisant, pourquoi accordons-nous encore à cette idéologie le nom de libéralisme ? D’ailleurs, le modèles de la nouvelle économie, Uber, est justement un modèle économique où l’entreprise cherche à prendre une position totalement dominante, à la fois vis-à-vis de ceux qui fournissent les services qu’elle vend, que pour ses clients, de manière à gagner un pouvoir de marché tel qu’elle pourrait augmenter du jour au lendemain ses prix ou ses commissions, jusqu’à générer des profits colossaux.
Parallèlement, David Cayla a raison de pointer que le néolibéralisme n’exclut pas l’intervention de l’Etat, qui doit assurer le prétendu bon fonctionnement des marchés. Je nuancerai en soulignant que cette intervention de l’Etat est limitée et contrainte, par un nombre grandissant de règles. Dans le monde dit néolibéral, l’imposition des plus riches et des multinationales doit toujours baisser, et les Etats doivent fermer les yeux sur leur désertion fiscale massive, rappelée par les Pandora Papers. Autre point cardinal : le laisser-passer des biens, des capitaux et des personnes a pour seul but de faciliter la maximisation des profits. Du fait du laisser-passer, des politiques dites de compétitivité s’imposent, entre baisse de la fiscalité des entreprises, baisse des droits des salariés, et montée des droits des multinationales, qui peuvent poursuivre les Etats s’ils veulent changer le cadre réglementaire des marchés où elles opèrent.
On constate également un grand laisser-faire des opérations de fusions et acquisitions, malgré les conséquences sociales ou sur la souveraineté économique des pays. Pourtant, en favorisant la concentration, elles sont fondamentalement contradictoires avec la philosophie libérale. Mais les intérêts des actionnaires, qui dictent souvent ces opérations, passent avant tous les autres dans ce monde dit néolibéral qui ne sert que l’oligarchie en réalité. Enfin si les néolibéraux défendent toujours le recul de la présence de l’Etat dans l’économie, par la privatisation de services publics, qui ne devraient pas avoir vocation à être vendus, comme les aéroports ou les autoroutes, les crises récentes ont fait évoluer leur doctrine. La crise financière de 2008, celle de la zone euro, et la crise sanitaire, ont poussé les dits néolibéraux à appuyer l’intervention de l’Etat, entre déficits massifs et achats d’actifs par la banque centrale.
Plus globalement, les néolibéraux, conscients des limites du marché, s’en remettent à l’Etat pour « accompagner et organiser le marché en tant qu’institution régulatrice de l’économie », comme le dit David Cayla. L’Etat « gagne » le rôle de protéger le système néolibéral, bien que ce système le pousse à toujours moins protéger socialement les citoyens. Et ce n’est pas le seul paradoxe, puisque cette immixion de l’Etat dans l’économie devient alors la preuve que nous ne serions pas tant que cela dans un système néolibéral, comme Léa Salamé l’avait signifié à Natacha Polony sur France Inter. En effet, qualifier de néolibéralisme le système économique actuel introduit d’innombrables biais défavorables à sa critique, et contribue à perpétuer ce système en compliquant sa critique et la formulation d’une alternative rassembleuse. Et parce qu’il serait nouveau et libéral, le système économique actuel renvoie implicitement ses adversaires à une forme d’archaïsme et l’illibéralisme, ce qui est n’est guère attrayant.
Pire encore, ceci est totalement faux tant cette pensée est datée et se révèle de moins en moins libérale. Si le néolibéralisme est une forme de libéralisme pour les 1% et les multinationales, qui ont en effet une grande liberté pour agir face à des consommateurs qu’ils peuvent asservir, des prestataires plus ou moins ubérisés, ou des Etats dont l’action se résume à se rendre attractif pour eux ou à les sauver des crises, ce n’est pas un libéralisme pour la grande majorité. On pourrait parler d’oligo-libéralisme, un libéralisme qui ne profite qu’à une petite oligarchie. Mais parce que les libertés ne progressent pas pour la majorité, il vaut sans doute mieux oublier le terme libéralisme pour qualifier cette idéologie. Je propose donc de renommer l’idéologie dominante oligarchisme, un système qui fait des intérêts des multinationales et des 1% les plus riches la seule boussole de l’action publique, parce que c’est bien ce dont il s’agit.
Ce terme présente plusieurs intérêts. Outre une bien plus grande cohérence de fond, il agit comme un révélateur de la nature profonde du système actuel. Bien sûr, il y a plusieurs formes d’oligarchisme. La plupart des régimes autoritaires sont des oligarchismes qui servent essentiellement une petite élite. Mais des régimes démocratiques peuvent parfaitement être oligarchistes, comme nous le voyons dans la plupart des pays dits occidentaux, où les politiques suivies ne profitent qu’à une petite minorité. Assez logiquement, on ne peut que constater également que les régimes oligarchistes tendent de plus en plus à restreindre la démocratie pour limiter le plus possible les remises en question de leur position.
Mais ce qui démontre aussi le fait que nous sommes dans un système oligarchiste, c’est sans doute le fait que les opposants les plus marqués au système actuel sont qualifiés de populistes. Ne faut-il pas être profondément oligarchiste pour faire du qualificatif populiste l’insulte politique suprême ? On peut aussi y voir une forme de « populophobie », pour reprendre le terme de Guillaume Bigot, un profond mépris de classe, qui consiste à dénier toute forme de réflexion sérieuse sur notre direction politique à un petit peuple qui serait incapable de comprendre tous les enjeux, que seule une petite élite saisirait, celle qui a voté massivement pour Maastricht en 1992, le TCE en 2005 ou Macron en 2017.
Bien sûr, le terme a représenté un courant politique aux Etats-Unis il y a un siècle, mais il est frappant de constater que son usage global s’est imposé finalement assez récemment, pour (dis)qualifier ceux qui s’opposent le plus fortement au dit néolibéralisme. Le terme populiste est extraordinairement ambigu, comme l’avait très bien décortiqué Vincent Coussedière dans son « éloge du populisme ». Dans la bouche de ceux qui l’usent pour disqualifier leurs adversaires, in fine, il est utilisé pour qualifier des politiques démagogiques qui en appelleraient au peuple contre les élites. David Cayla y voit étonnement un « rejet du pluralisme de l’offre politique » alors que ce rejet est plus fort dans le camp oligarchiste. D’ailleurs, en France, LFI et le RN, souvent qualifiés de populistes, ne rejettent pas le pluralisme politique.
L’association entre « populisme » et « démagogie » ou « autoritarisme » tient-elle encore ? Pourquoi le peuple seul pourrait céder à la démagogie et à l’autoritarisme ? La crise sanitaire a bien montré comment le pouvoir actuel, pourtant l’opposé du populisme, qu’il ne cesse de dénoncer, pouvait céder à ces deux tentations. L’exécutif a été profondément démagogue en déniant une utilité au masque quand la France en manquait plutôt que d’expliquer qu’il préférait en limiter l’usage à ceux pour qui il était le plus utile. Pour justifier le second confinement, Macron a annoncé un risque de 400 000 morts totalement extravagant. Et en matière d’autoritarisme, son mandat présente un lourd bilan, entre sa gestion solitaire, non transparente et très restrictive des libertés publiques de la crise sanitaire, ou sa gestion des manifestations des gilets jaunes, dénoncée par de nombreuses associations internationales.
Ne sommes-nous pas arrivés à un point où il est clair que les politiques malhabilement qualifiées de néolibérales ne sont que des politiques qui servent une petite élite, qui croit à la théorie pourtant infirmée du ruissellement, un oligarchisme, qui s’oppose à des politiques « populistes » qui serviraient le peuple ? Et si, comme l’affirmait Jean-Claude Michéa, le populisme, c’était au final un « combat pour la liberté et l’égalité mené au nom des vertus populaires » ?
Voici ce que j’ai développé dans mon livre « Le néolibéralisme est un oligarchisme », aux éditions Librinova, dont j’ai ajusté la couverture pour le rendre plus clair, et que le FigaroVox, dans un entretien, et Front Populaire, dans une vidéo, m’ont permis de présenter. Qu’ils en soient remerciés.
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