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Accueil du site > Actualités > Economie > Nous n’investissons pas simplement pour gagner de l’argent

Nous n’investissons pas simplement pour gagner de l’argent

Les chercheurs comportementalistes partent du principe que l’homme est essentiellement une créature rationnelle, cherchant à maximiser ses profits, et qui fait simplement « des erreurs ». Mais ces « erreurs » n’en sont pas, en fait. Si un investisseur n’investit pas comme les universitaires pensent qu’il devrait le faire, c’est parce ledit investisseur n’est pas l’animal qu’ils croient. En d’autres termes, nous, investisseurs, nous n’investissons pas simplement pour gagner de l’argent.

"Sur cette planète, la majeure partie de l’argent est gérée suivant une tactique de chacun pour soi’’.

Ainsi parlait un Zarathoustra moderne, un prophète de l’école de la "finance comportementale" : M. Whitney Tilson, gestionnaire de fonds, fondateur de T2 Partners et éditorialiste du Financial Times. En tant que théorie d’investissement, la finance comportementale s’avère une version plus élégante de l’adage qui veut "qu’un idiot et son argent sont vite séparés". Les comportementalistes s’inquiètent de voir que les investisseurs font des erreurs en suivant leurs impulsions... sans faire preuve du rationalisme qui leur permettrait de maximiser leurs profits. Si seulement les pauvres "idiots" s’en tenaient à une analyse raisonnable des investissements, se plaignent les comportementalistes en fronçant leurs augustes sourcils, tambourinant des doigts sur leur bureau.

Réfléchissez-y. Imaginez un investisseur qui détient une valeur pendant trop longtemps. Un autre achète des parts dans un fonds simplement parce que tout le monde en achète. Un troisième gaffeur fait tant de recherches qu’il finit par "épouser" son portefeuille, y ayant investi tant de temps et d’effort.

En tant que professionnel du monde de la finance, nous pourrions prendre ces malheureux en pitié, parce que nous réalisons que nous avons fait toutes ces "erreurs" nous-mêmes... mais nous nous demandons si ce sont vraiment des erreurs.

Voyez-vous, le problèmes avec tous ces gens de la finance comportementaliste, c’est qu’ils ne vont pas assez loin. Ils prétendent analyser ce que font les gens, puis le comparer avec ce qu’un investisseur fictionnel "devrait" faire. Aujourd’hui, nous posons donc la question : pourquoi devrait-il le faire ? Si nous, investisseurs, n’investissons pas vraiment comme une théorie déclare que nous devrions le faire, où est la faute ? Où est l’erreur ? Chez nous, ou dans la théorie ? Après tout, pourquoi les investisseurs devraient-ils se comporter différemment de ce qu’ils font tous les jours ?

Les chercheurs comportementalistes partent du principe que l’homme est essentiellement une créature rationnelle, cherchant à maximiser ses profits, et qui fait simplement "des erreurs". Mais ces "erreurs" n’en sont pas, en fait. Si un investisseur n’investit pas comme les universitaires pensent qu’il devrait le faire, c’est parce ledit investisseur n’est pas l’animal qu’ils croient. En d’autres termes, nous, investisseurs, nous n’investissons pas simplement pour gagner de l’argent.

Si notre seul but était de gagner de l’argent, nous nous lancerions dans la pornographie, les drogues illégales, ou, pis encore, les fonds de couverture ! Oui, si les hommes n’étaient que des tiroirs-caisses, ils feraient du porte-à-porte en banlieue, offrant des prêts immobiliers sans apport personnel à paiement différé du principal - et ils offriraient une réduction à quiconque en prendrait deux. Et s’ils ne trouvaient pas preneur, ils rajouteraient une inscription gratuite à une chaîne X câblée. Et peut-être un peu de cocaïne, simplement pour faciliter les choses.

Mais l’investisseur lambda n’a pas l’argent comme seul but. S’enrichir n’est qu’une partie de tout un ensemble de désirs et de préjugés qui le poussent vers un destin bien mérité. L’investisseur lambda ne veut pas seulement gagner de l’argent, voyez-vous, mais également se sentir à la fois plein de sagesse et à la pointe de la mode... à la fois hardi et prudent. Il est tout à fait prêt à se lancer dans des investissements contrariens - tant que tout le monde fait les mêmes !

Et voilà pourquoi, dans le monde cruel de la finance, la masse des investisseurs se retrouve perdante. Parce qu’en matière d’investissement, ce qui grimpe... c’est exactement ce qui va devoir baisser. Pourtant, l’investisseur moyen refuse d’acheter des placements tombés en disgrâce. Pourquoi ? Parce qu’en agissant ainsi, il se sent marginalisé, bizarre, en danger. Il a l’impression d’être un étranger - et c’est bien le dernier sentiment qu’il souhaite ressentir ; il préférerait abandonner ses profits. En fait, l’investisseur de base ne trouve pas le sommeil tant qu’il n’est pas profondément et solidement emmitouflé dans le vaste troupeau de ses congénères somnolents.

Les investisseurs lambda ne maximisent peut-être pas leurs rendements... mais ils jugent qu’une bonne nuit de sommeil vaut largement ce coût.

D’autres investisseurs ne se préoccupent pas tant de prendre la bonne décision que d’éviter la mauvaise. Ces gens craignent moins les pertes que les moqueries. Ils redoutent par-dessus tout de se retrouver dans une position où quiconque - et en particulier leur conjoint - pourrait les montrer du doigt en les traitant d’âne bâté. A dire vrai, ils préféreraient être des ânes bâtés, financièrement parlant, plutôt que d’être accusés d’être des ignorants. Et que faire pour éviter les critiques de votre épouse ? Eh bien, on suit exactement ce que font Citibank et Lehman Brothers. Ou ce que la Réserve fédérale vous dit de faire - même si cela revient à prendre un prêt immobilier à taux variable.

D’autres investisseurs encore font preuve d’une loyauté que nous ne pouvons qu’admirer. Ils se tiennent à un secteur d’investissement - ou même à une entreprise individuelle - dans la richesse et la pauvreté, les succès et les échecs... jusqu’à ce que la mort les sépare. Et elle le fait souvent. D’autres tendent à être de vrais Don Juan, lâchant leur compagne dès qu’ils voient passer un jupon.

Mais bien entendu, si l’on en croit les fans du comportementalisme, ces goujats ne sont que des individus rationnels cherchant à maximiser leurs profits. Pas une seule trace de démon de midi dans leur sang.

Mais si les décisions d’investissement étaient vraiment des choix objectifs, parfaitement binaires - l’un clairement, bon, l’autre clairement mauvais -, des programmes informatiques pourraient tout aussi bien s’en charger à notre place. Seulement voilà : les ordinateurs ne lisent pas les titres de demain avant nous, et même une puce de silicone ne peut dire quels investissements ont l’intention de grimper ou de baisser.

Ce qui signifie que l’idée même d’un "optimisateur de profits" entièrement rationnel - un investisseur parfait ne faisant aucune erreur - est si complètement détachée de la réalité qu’on peut assez facilement la classer dans la catégorie des fraudes intellectuelles.

Voilà pourquoi notre investisseur candide et irrationnel a raison, en fin de compte. Sachant que le succès ou l’échec de ses investissements - en matière de profits - est en majeure partie hors de sa portée, il préfère les récompenses non-monétaires : le droit de se vanter, un sommeil profond, la reconnaissance sociale, la protection, la bonne humeur de son épouse... et courir les jupons.

C’est peut-être un idiot pour les professeurs de la finance. Mais dans le monde réel, c’est un homme.

Par Bill Bonner,
http://www.la-chronique-agora.com

Historien et moraliste, William Bonner retrace dans son dernier ouvrage, à travers de nombreuses mises en perspectives historiques et analyses financières, l’ascension et le début de la décadence de l’Empire américain. Il montre comment cette évolution s’accompagne d’une transformation profonde des mentalités du peuple américain, en particulier dans le domaine financier. Il apporte un point de vue américain iconoclaste sur la question du surendettement des ménages, liant un fort penchant libéral et humaniste à des analyses économiques. Chaque jour, William Bonner écrit dans la lettre d’information boursière, La chronique Agora : http://www.la-chronique-agora.com


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9 réactions à cet article    


  • Bravo (---.---.29.200) 25 août 2006 11:44

    Superbe article humoristique. Les textes d’humour cynique sont tellement rares aujourd’hui.

    Bravo encore


    • Benoît Rittaud (---.---.233.83) 25 août 2006 11:44

      Éclairage intéressant. Le problème de la non-rationalité des individus se pose dans bien des domaines. J’ai vu une fois un ami jouer à un jeu en réseau dans lequel chaque joueur avait un « niveau » visible à l’écran : lorsque mon ami croisait quelqu’un d’un niveau très inférieur au sien, il ne manquait jamais de lui donner quelque chose (un sortilège quelconque, par exemple), alors même qu’il n’y avait aucun intérêt (il ne connaissait pas l’autre personne, n’avait aucun moyen de l’identifier, et ne faisait que la croiser l’espace d’une seconde). Il m’a expliqué que « tout le monde faisait comme ça »... Pour comprendre le phénomène, peut-être faudrait-il parvenir à modéliser les comportements par la recherche de la maximisation d’autre chose qu’un simple profit financier : en gros, pondérer la valeur d’une « bonne nuit de sommeil », du « droit de se vanter », etc. À partir des comportements observés, peut-être peut-on quantifier le « prix » que l’on accorde en général à ces biens non-matériels ?


      • Ouebman (---.---.30.88) 25 août 2006 12:07

        Bonjour,

        Lecteur de la newsletter quotidienne d’Agora, j’ai déjà eu le plaisir de lire ces articles dont on peut discuter de l’intérêt ou du bien-fondé... Je souhaite faire part de mon interrogation quand je vois en « chapeau » des articles « par Françoise Garteiser »... ???? Madame Garteiser, n’est manifestement pas l’auteur de ces articles. Quelqu’un peut il m’expliquer comme cela est possible ?

        Cordialement. O


        • Olivier (---.---.176.131) 25 août 2006 15:17

          J’aime bien l’idée. Mais au final, l’investisseur peut être traiter d’idiot parce qu’il a un comportement (social) qui joue en sa defaveur smiley


          • Nicolas (---.---.55.104) 25 août 2006 18:47

            Je ne suis pas bien sur de comprendre l’article.

            Les chercheurs en finance comportementale sont précisément ceux qui ont démontré que les investisseurs ne seront jamais rationnels, notamment parce qu’ils choisissent selon des biais de suivisme, d’aversion aux pertes et d’auto-attribution, sans parler des habitats préférés.

            Ce sont précisément eux qui ont expliqué en quoi les comportements humains perturbaient les fonctionnements des marchés « théoriques ».

            D’où leur prix nobel en 2002.


            • Sylvain Reboul Sylvain Reboul 25 août 2006 21:43

              Excellente analyse : la motivation ultime des investisseurs n’est pas l’argent, mais la reconnaissance sociale, le prestige, le pouvoir symbolique sur le autres concurrents ou partenaires (toujours plus ou moins concurrents virtuels)

              L’économie du désir fonctionne au prestige et non pas au calcul d’intérêt monnaitaire.

              Reste que celui-ci fonctionne, dans nos sociétés capitalistes, dans lequel le capital financier tend à devenir dominant, comme fétiche de la course à la reconnaissance ; et, comme tout fétiche, il se donne comme fin dans la méconnaissance illusoire de sa fonction réelle.

              Mais il faut reconnaître que la théorie classique de l’homo economicus permet non pas de dire ce qui est, mais de mesurer l’écart entre les comportements reéls et la rationalité de son modèle, qui, de fait, ne fonctionne jamais comme tel, sinon comme idéal inaccessible. Le modèle devient devient source d’illusion lorsque l’on confond modèle et réalité.

              Au fond les sociétés changent les modes d’expression du désir de prestige ou de pouvoir mais ne changent pas sa visée.


              • Asp Explorer (---.---.82.42) 25 août 2006 23:10

                Si les gens investissaient pour gagner de l’argent, ils achèteraient quand c’est bas et vendraient quand c’est haut. Ma petite expérience de la bourse me permet d’en témoigner, la plupart des gens semblent persuadés que c’est une excellente idée de faire l’inverse. C’est surprenant, mais c’est ainsi.


                • Marc Bruxman (---.---.48.80) 26 août 2006 01:28

                  C’est certainement vrai dans le cadre d’investissement de longue durée. Le capitaliste a l’ancienne investit en effet en partie pour l’argent et en partie pour le prestige. L’entrepreneur fait de même. Certains business angels vont également par choix privilégier les entreprises qui correspondent au monde qu’ils souhaitent créer : C’est humain.

                  Mais cet article néglige les pressions sur la finance moderne. De plus en plus, l’investisseur agit pour des tiers et c’est la que se situe le problème. Car cela crée une guerre économique et financiére totale.

                  Les gens qui ont de l’argent ne l’investissent pas eux même. Ils le confient à des fonds auxquels ils EXIGENT des rendement délirants. Soit le fond atteint ses objectifs et l’argent reste (les proprios du fond gagnent de l’argent) soit c’est l’inverse et les gens reprennent leur argent pour le mettre dans un fond rentable. Cet investissement n’est pas complétement liquide. On ne peut pas retirer son argent du jour au lendemain.

                  L’opérateur (trader) d’un de ces fonds va prendre les décisions. Il DOIT réaliser ses objectifs quel qu’en soit le prix. Il n’est pas question de chouiner sur trois employés licenciés. De même qu’un employé d’abattoir ne se soucie pas des bêtes au bout d’une semaine de boulot, on apprendra au trader à ne pas se soucier des conséquences de ses actes. Si il n’en est pas capable, il vaut mieux qu’il change de métier. D’ailleurs son prestige ne sera pas lié à ce dans quoi il investit (cela change avec le marché) mais à son rendement annuel.

                  Il y a donc un découplage total entre la personne qui a placée son fric et celle qui l’investit. Et c’est ce qui autorise de détruire des boites au nom de la finance. On ne peut pas en vouloir au trader : Il fait son travail. Le chef du trader va vendre le fond en disant qu’il est éthique mais trés rentable (blabla habituel). Officiellement il a écrit une charte disant au trader de ne pas faire certaines choses. Il mettra néanmoins ses traders dans une situation telle qu’ils vont être en concurrence féroce. Il vont donc briser la charte mais lui n’est pas au courant. Le propriétaire de l’argent a quand a lui investit dans un fond présenté comme éthique. Il n’a aucune connaissance des marchés financiers, il ne veut pas suivre les détails de ce que fait le fond. Officiellement il a bien fait puisque son fond est éthique. Ce n’est tout de même pas lui qui a demandé qu’on pollue la riviére !

                  En fait officiellement personne n’a mal fait. Et tout est beau dans le meilleur des mondes.

                  Ce système est proche de ce qui se disait lors des procés aprés les guerres. Le président ordonne une action « quelles qu’en soit les conséquences » mais « sans toucher aux civils » (!). Le général dit ne vous inquiétez pas monsieur le président. Puis il envoie ses hommes et advienne que pourra.

                  NB : Je suis loin d’être altermondialo et je préfére largement ce monde la au communisme que les socialotrotkistes voudraient nous imposer. Mais il est important de ne pas idéaliser le monde dans lequel on vit. C’est la guerre économique permanente, il faut l’accepter et se battre. (ou ne pas l’accepter et perdre).


                  • Sylvain Reboul Sylvain Reboul 26 août 2006 09:55

                    Très juste, mais les traders manifestent eux-mêmes le fait que la course au profit est pour eux, encore plus que pour les investisseurs dont ils gèrent l’argent, indissociable de celle pour la reconnaissance sociale. (Mais ils peuvent changer de métier s’ils ne sont pas totalement dépendants de l’illusion fétichiste et passionnelle (donc irrationnelle) de la course au profit. Mais il faut probablement pour cela qu’ils se cassent sérieusement la figure.

                    Cette course fétichiste à l’échalote, en effet, a un prix : l’économie financière est de plus en plus déconnectée de l’économie réelle à moyen et long terme et la spéculation mimétique menace sans cesse de se retourner en catastrophe (bulle financière). Le capitalisme-casino met en cause le capitalisme productif de richesse durable et menace les fonds de pensions qui eux fonctionnent nécessairement sur le long terme du point de vue de leurs clients... Donc un correctif s’imposera nécessairement.

                    La situation est grave mais pas desespérée.

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