EPR : qui fera cesser le scandale ?
Pas le Premier ministre Edouard Philippe qui fut directeur des relations publiques chez Areva de 2007 à 2010, actuellement au bord de la faillite. Ni un Nicolas Hulot cédant sur les perturbateurs endocriniens à peine avait-il martelé sa détermination de ne rien lâcher sur les acquis, et dont la Fondation est généreusement financée par EDF : le 19 mai ont été célébrés leurs 25 ans de partenariat ! Et bien évidemment pas Jean-Bernard Lévy, PDG d'EDF, pour qui - il en est convaincu - EDF construira une nouvelle gamme d’EPR en France qui devrait voir le jour à l'horizon 2030 : l' "EPR optimisé". Cet homme désormais disjoncté par la réalité économique qu'il n'avait sans doute pas évaluée à sa juste valeur quand il a accepté le poste de PDG d'EDF (« Il y a quelques années, EDF vendait en France son électricité entre 50 et 60 euros le MWh. Ce prix était tombé autour de 40 euros à mon arrivée à la tête de l'entreprise à la fin 2014, et il est désormais de 26 euros. C'est une violente secousse (...) alors qu'EDF a déjà un niveau élevé d'endettement, d'environ 37 milliards d'euros [en réalité il serait de plus du double]) », cet homme, donc, ne voit plus d’autres solutions que de s'en remettre désormais, dans une confiance aveugle, à la soi-disant expertise des « Américains qui utilisent la même technologie que la nôtre [pour les centrales nucléaires, et] sont en train de prolonger les leurs jusqu'à quatre-vingt ans » ! Et alors même que Westinghouse, fabricant de ces centrales américaines et propriétaire de la licence utilisée en France, rachetée par Toshiba, mobilisait il y a peu des avocats experts en faillite. Et c’est Toshiba qui, désormais, se retrouve au bord du gouffre à cause d’une perte de 6,3 milliards de dollars dans sa branche nucléaire américaine !! Et c’est dans ce contexte, avec un EPR à Flamanville plombé par un retard de 5 ans dans sa construction et un triplement de son coût évalué désormais à 10 milliards d’€, que le 28 juin, après avoir été soumis à une pression inouïe de la part de la Commission européenne, une pression qui s’apparente à un véritable chantage, l’ASN (Autorité de Sûreté Nucléaire) a pris la décision de valider la cuve de l’EPR alors même que son acier défectueux ne répond pas aux normes en vigueur dans l’industrie nucléaire. Or ce cœur ultrasensible de la centrale doit durer un minimum de 60 ans sans pouvoir être remplacé.
Malgré la démission tonitruante de Thomas Piquemal, l’ancien directeur financier d’EDF, refusant de donner sa caution au projet d’Hinkley Point, et malgré un moral des salariés d’EDF en chute libre mesuré par une enquête interne qui à l’époque aurait fait trembler sa direction, EDF, son PDG et son conseil d’administration ont donc choisi la fuite en avant. « Fin 2015, explique affolé Thomas Piquemal, EDF avait déjà investi 58 % de son patrimoine dans la technologie EPR. Avec celui d'Hinkley Point, cette part allait monter à 70 %. Mais qui investirait 70 % de son patrimoine sur une technologie dont nous ne savons toujours pas si elle fonctionne ? ». (EDF : « J’ai démissionné par désespoir »). Et tandis que les deux premiers EPR, en Finlande et à Flamanville, ont vu leur coût tripler et leur date de démarrage toujours reculer (« EPR : des tuiles en chaîne »), à Hinkley Point les travaux de terrassement de l’EPR ont-ils à peine débuté que son coût vient d'augmenter brutalement d'1,7 milliards d'€ !
Dans Libération ("La scoumoune plane sur les EPR"), Pierre-Antoine Chazal, analyste financier chez Bryan Garnier, résume la perplexité d’une partie du microcosme financier : « L’efficacité de cette technologie n’a jamais été démontrée, aucun réacteur n’est en service, les contraintes de sécurité sont immenses… Si d’autres surcoûts ou retards interviennent, ces projets sans garanties auront du mal à attirer d’éventuels investisseurs. »
Mais qui arrêtera donc ces dirigeants irresponsables dans leur fuite en avant ? D'où viendra la sagesse apaisant leur esprit et leur permettant de mesurer enfin que le prix du Kwh d'électricité d'origine nucléaire, puisque celui-ci semble représenter le critère premier de leurs décisions, n'est plus compétitif au regard des énergies renouvelables (Le nouveau solaire deux fois moins cher que l’EPR) ? Qui leur rappellera que Tchernobyl et Fukushima vomissent une radioactivité qu'on ne peut contrôler, et que leurs coriums sont en train de se balader dans l'écorce terrestre, du moins ceux de Fukushima. En ce qui concerne Tchernobyl le doute s’est installé à la suite de la construction d'une semelle de béton sous le réacteur, coûtant la vie à des milliers de liquidateurs.
Sont-ils tous devenus fous ? Ou bien lâches ? Ou les deux, préférant risquer la vie et la santé des populations plutôt que d’admettre que la survie d’une ou deux entreprises, furent-elles le fleuron de l’industrie française, ainsi que le profit de leurs actionnaires puissent être moins importants que la vie d’un grand nombre d’êtres humains ? Des normes fixées par des spécialistes au terme d’une réflexion longue et intense à partir de critères économiques et techniques sophistiqués, se retrouvent ainsi bafouées au nom d’un orgueil démesuré et de la cupidité… Au regard de tels enjeux doit-on interpréter le retard pris dans la construction des EPR comme la résistance muette d’ingénieurs et de techniciens à la folie et/ou la lâcheté de leurs dirigeants ?
L'Etat français, EDF et Areva continuent de foncer les yeux fermés vers le mur. Qui sera en mesure de les arrêter ? Qui ?
Ce n'est pas sur la Commission européenne qu'il faudra compter pour empêcher l’accident. Aiguillonnée par le lobby nucléaire elle a mis le feu aux poudres. C'est donc à un véritable chantage financier qu'elle a soumis l'ASN, celle-ci étant sommée de prendre une position politique d'une gravité inédite sous couvert d'un avis purement technique.
En effet Bruxelles a conditionné son accord au rachat d’Areva NP par EDF à l’homologation de la cuve défectueuse de l’EPR de Flamanville par l’ASN. Autrement dit elle a décidé d’exercer ce chantage sur une administration dite indépendante qui se retrouverait responsable en cas d’avis technique négatif de condamner Areva à la faillite et peut-être même EDF dans la foulée, puisque son programme EPR pourrait se voir alors disqualifié. Autant demander à Pierre-Franck Chevet, président de l’ASN, d’avoir l’amabilité de se faire hara-kiri, sachant que l’ASN savait apparemment depuis 2005 que l’acier fabriqué par l’usine Creusot Forge (rachetée par Areva pour tenter d’y mettre de l’ordre) ne répondait pas aux normes de l’industrie nucléaire, et en aurait informé EDF. EDF et Areva ont passé outre et la construction de la cuve a débuté à partir de 2006. Officiellement selon l’ASN ce n’est qu’en fin 2014 qu’Areva NP aurait mis en évidence une anomalie dans l’acier des cuves (Le "récit" qui doit sauver l’honneur de l’ASN (…) - Observatoire du nucléaire).
Que voulez-vous que les dirigeants de l’ASN fissent face à un tel dilemme ? Ce que font toutes les élites françaises en pareil cas : repasser la patate chaude à une commission technique, tout en précisant, pour désamorcer à l’avance toute tentative d’obstruction militante, que son avis serait soumis au débat public jusqu’en septembre et la décision finale prise en octobre. Les 26 et 27 juin se sont donc réunis une trentaine d’experts dont la conclusion est conforme au souhait implicite du lobby nucléaire mondial, de la Commission européenne, de l’Etat français, d’EDF, d’Areva et de l’ASN. Ils « ont ménagé la chèvre et le chou et trouvé une cote mal taillée avec un régime d’exception : autorisation de mise en route de l’EPR mais avec contrôles renforcés et obligation de changer le couvercle de la cuve d’ici 2024. Autrement dit, c’est l’aveu que cette pièce n’est pas conforme, et donc que l’EPR est dangereux » (Lien). Néanmoins soulagée, l’ASN s’est aussitôt rangée à l’avis des experts, suivie par Nicolas Hulot dont la feuille de route annonce sur le nucléaire la volonté de se conformer à son expertise : « L’ASN a présenté le 28 juin 2017 sa position sur l’anomalie de la cuve du réacteur EPR de Flamanville.(…) Sur la base des analyses techniques réalisées, l’ASN considère que les caractéristiques mécaniques du fond et du couvercle de la cuve sont suffisantes au regard des sollicitations auxquelles ces pièces sont soumises, y compris en cas d’accident. Pour autant, l’anomalie de la composition chimique de l’acier conduit à une diminution des marges vis-à-vis du risque de rupture brutale ». Il y a donc bien "des anomalies sérieuses, voire très sérieuses" sur la cuve selon Pierre-Franck Chevet, le risque est donc patent, mais néanmoins l’EPR peut fonctionner dans de telles conditions !… Cette position est bien évidemment jugée « aberrante » par Greenpeace et le Réseau Sortir du nucléaire.
En réponse Pierre-Franck Chevet dévoile le leurre de la consultation publique. Au micro de Sciences et avenir, il explique ce qu’il attend en réalité de ses concitoyens : « Il ne s'agit donc clairement pas d'un référendum, mais "nous espérons des conseils techniques qui viendront compléter notre vision". Des conseils d'experts, et non pas du grand public. Les observations et les remarques sur la politique énergétique "ne nous servent pas dans les décisions techniques", pointe-t-il » sans ambages. Tout est dit…
Ignorera-t-il l’impact psychologique sur la conduite au quotidien des ingénieurs, des techniciens et de tous les salariés des centrales nucléaires dont le moral est déjà au plus bas, qu’induira inévitablement cette décision des dirigeants de ne pas respecter les normes techniques capitales actuellement en vigueur et n’ayant subi aucune modification ? Aura-t-elle pour effet un plus grand respect des consignes ou au contraire un laisser-aller grandissant similaire à celui de leur élite ?
La réponse est malheureusement évidente. Quelle alternative restera-t-il alors pour contrer cette inclinaison annonciatrice des dangers les plus graves ? D’aucuns sont convaincus qu’à elle seule la déconfiture économique de la production d’énergie d’origine nucléaire sera suffisante à l’effondrement de son industrie. C’est bien mal connaitre l’irrationalité inhérente à la nature humaine et les capacités de fuite en avant qu’offre l’aveuglement d’un Etat. Et c’est pourquoi à l’instar des pilotes de ligne engagés contre l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, il serait souhaitable qu’à défaut d’une mobilisation citoyenne improbable des ingénieurs et des techniciens se lèvent pour dénoncer l’inacceptable.
Car on ne pourra pas compter sur un Jupiter marié à sa sœur dans la mythologie ou à sa mère dans un storytelling actuel, et dont l’un des attributs est la foudre, en l’occurrence nucléaire, pour apporter de la rationalité dans un domaine où elle commence à manquer cruellement.
Crédit photos : Greenpeace France
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