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Gamellophilie : l’alose d’Avignon « comme ma mère »

L’alose est un poisson de mer migrateur anadrome qui vient frayer, et devenir mère, dans les eaux du Rhône où les gourmands gourmets lui font sa Fête !

 

- Regarde si elle est belle petit, cette alose ! Au moins quatre livres. Longue, fine, élégante, brillante comme l'argent et vive comme une girelle ! C'est un poisson magique. Pense, petit, que c'est l'amour qui va l'amener dans ton assiette ! Et manger de l'amour, c'est un bonheur divin...

- Et comment tu la prépares cette alose, Victor ?

- Attends un peu, petit. Bois un coup de ce rosé du Ventoux et je vais te raconter l'alose.

L'alose, c'est de la poésie en bouche. C'est une merveille à manger, mais encore plus à pêcher. Enfin, avant. Quand le Rhône n'était pas encore castré par digues et barrages. Quand c'était le Fleuve-Roi. Fougueux, indomptable, crainte des riverains et bonheur des braconniers et des poètes.

L'alose, c'est un poisson « anadrome » qui se complaît aussi bien en mer qu'en eau douce. Comme le saumon ou l'anguille. Il fait l'amour dans les grandes profondeurs de la Méditerranée puis remonte péniblement faire ses petits dans les frayères du Rhône.

Celle-là, elle vient de Vallabrègues. Elle est bonne mais... Enfin, bien content d'en trouver !

- Pourquoi ? Les meilleures, elles viennent d'où ?

- Elles venaient d'Avignon. Les ménagères ne s'y trompaient pas : elles savaient et demandaient "Une alose d'Avignon" ! Pourquoi ? Parce qu'avant la ville des papes, elles étaient encore saumâtres. Et après, elles commençaient à sentir la vase. Sur les graviers d'Avignon, des Angles et de Villeneuve, elles étaient juste à point !

- Et comment on les pêchait avant, Victor ? Tu en as le regard mouillé de plaisir rien que d'y penser...

- C'était extraordinaire, petit : le Rhône pêchait pour toi ! Y a qu'en Provence qu'on peut inventer ça. Tu pêchais en faisant la sieste ! Allongé au fond de ton vire-vire. En écoutant la musique des oiseaux ou du mistral. Ou en te faisant un bonheur dans le corsage et le jupon enfiévré d'une belle petite qui venait "pécher" avec toi...

- C'est quoi le vire-vire, Victor ?

- C'est une invention de poète ingénieux. On l'appelait aussi le "vire-Blanchard", du nom de son inventeur. Imagine une sorte de moulin porté perpendiculairement par deux barques accouplées et amarrées à la berge, au milieu des saules, des aulnes, des grands peupliers blanchâtres qui te couvrent paresseusement, au printemps, d'une délicate neige végétale.

Ce moulin entraîne deux grand paniers grillagés qui plongent lentement dans les eaux, remontent en éparpillant une pluie de lumière, semblent hésiter en haut, puis replongent à nouveau à la recherche des précieux poissons. C'est le courant du Rhône qui les fait tourner ! Et les aloses, lourdes de leurs amours, longent les berges pour profiter des contre-courants, pour repérer leurs frayères. C'est là qu'elles se font empéguer ! Quand il y en a une qui se fait prendre par la grande main grillagée, elle est enlevée dans les airs, elle gigote, effrayée, pathétique éclair d'argent. Et une glissière en roseau la projette au fond de la barque où - la pauvre - elle saute, saute, se tord, ahurie, étonnée, martyrisée dans les derniers sursauts d'une agonie aérienne...Hé, petit ! C'est la dure loi de la Nature...

Et toi, tu n'as qu'à la prendre, tu l'assommes affectueusement pour abréger son agonie, tu la pèses dans le "briquet", cette balance romaine millénaire, et tu la vends aux gens qui badent. En blaguant. En joutes verbales bien de chez nous, pour faire le prix. Un bonheur, petit !

- Ouais, mais ça me dit toujours pas comment on va la cuire notre alose...

- Oh là ! Vaï t'en plan, pichoun ! Y a pas lou fio ! Sers-moi plutôt un coup de rosé, et je te raconte !

Ah ! Il est bon...Tè, remet m'en un gorgeon !

Alors voilà. L'alose, on aime tellement la pêcher qu'on la prépare avec autant d'amour. Là encore, il faut du temps.

Tiens, tu prends ton alose, tu l'écailles soigneusement et tu la vides. Mais fais bien attention aux œufs ! C'est notre caviar à nous depuis qu'il n'y a plus d'esturgeon dans le Rhône. Tu lèves délicatement les deux poches d'œufs que tu mets de côté. Puis tu tranches la tête que tu réserves. Tu la coupes en darnes de deux à trois centimètres d'épaisseur. Tu t'es fait donner par un compère jardinier deux bonnes brassées d'oseille bien fraîche. Il saura pour quoi c'est faire et tu le paieras avec une bonne portion d'alose. Sinon, tu passes au marché et tu l'achètes...

Tu prends une grande "cocotte". Mais pas "minute" ! Une vrai. En fonte. Ou en terre cuite vernissée d'Anduze. Tu fends la tête en deux et tu la poses au fond de ta cocotte où tu auras jeté un verre d'huile d'olive. Du moulin de Villeneuve autant que possible où de Maussane. La tête au fond, c'est pour si ça attrape. Puis tu couvres avec un lit d'oseille grossièrement hachée et mélangée par moitié avec de la laitue ou des feuilles de blettes sans les côtes, des oignons hachées et du petit-salé coupé en dés. La dessus, tu mets un lit de tes darnes d'alose. Sel, poivre, muscade, un peu de farigoule sèche que tu froisses dessus, un filet d'huile d'olive sur chaque couche. Un autre lit d'oseille et ainsi de suite, par couches successives de verdure, de petit salé, d’oignons et de poissons. Chaque fois, tu assaisonnes : sel, poivre cassé gros, un peu de muscade. N'aie pas peur de monter le goût. Ma mère mettait quelques filets d'anchois sur les darnes. Mais ce n'est pas obligé. Tu finis avec les poches d'œufs que tu mets sur le dessus. Quand tout est placé, tu baptises avec deux bons verres de gnôle. Une bonne blanche rugueuse de chez nous. N'aie pas peur : c'est le secret ! Deux bons verres à moutarde de gnôle ! Puis tu mouilles avec une demi bouteille de blanc sec de Laudun ou de Chardonbnay de Pujaut. Plus selon la grosseur, et tu bois le reste. Tu places un zeste d'orange, comme la cerise sur le gâteau, et c'est prêt. Il faut alors fermer la cocotte hermétiquement. A la mie de pain.

- Combien de temps ça doit cuire ?

- Attend, petit. Tè, verse-moi un coup de rosé. Depuis que je maïsse, j'ai la meule qui sèche !

Avant, on mettait l'alose au coin du feu, dans la cheminée, avec braises et cendres autour. Et on faisait cuire doucement toute la nuit. Mais maintenant... Débrouille-toi avec tes instruments modernes, mais il faut que ça cuise au moins huit heures. Et très doucement. Le plus petit feu.

- Et c'est bon ? C'est pas plein d'arêtes ?

- Coquin de sort ! Petit ! C'est une communion rituelle pour tous les gens du Rhône ! Les arêtes ? Arrête ! Elles ont fondu et sont miraculeusement souples sous la dent ! Tout se mange. C'est une chair qui reste ferme, parfumée, musquée. Un goût puissant. Erotique ! Et les œufs ! Délicatement craquants sur la langue. Tu fais glisser avec un Chateaubriand blanc ou un blanc de Laudun et tu es à la porte du paradis !

- Fan ! Tu me mets l'eau à la bouche !

- Et maintenant, je vais te dire le meilleur, petit. L'alose du Rhône, depuis nos gaillards ancêtres gaulois et romains, elle est connue par les amoureux pour être une extraordinaire amie...du bonheur des dames !

 

 

Ingrédients et proportions pour six personnes :

Deux belles aloses d'un kilo et demi chacune, - un kilo d'oseille, - un kilo d'épinards en branches ou - mieux - de vert de blettes, à défaut, de la laitue, - trois oignons émincés, - 2 hectos de petit-salé haché, - deux verres d'huile d'olive, - trois cuillerées à soupe de sel fin, - poivre noir du moulin, - muscade (à votre appréciation, mais généreusement), - une bouteille et demi de vin blanc sec, - trois verres d’"aigarden" (eau-de-vie).

 

Les vins conseillés :

Ce plat de poisson à la saveur puissante, animale, s'accommode parfaitement de vins blancs ayant du caractère : Côtes-du-rhône de Laudun, Villedieu, Lirac, St-Hilaire-d'Ozilhan, Chateauneuf-du-Pape.

Coteaux du Languedoc de La Clape, Picpoul de Pinet, Clairette de Bellegarde.

Côtes de Provence de Palette, Coteaux varois de Salernes, Saint-Maximin, Bellet.

Il accepte aussi parfaitement des vins rouges frais : Côtes-du-rhône d'Estézargues, Coteaux-d'Avignon, Chusclan, Rochegude, Saint-Mau­rice-sur-Aygues, Sablet. Costières de Nîmes. Coteaux du Languedoc de St-Drézery, Saint-Christol ou encore le "vin d'une nuit" de Saint-Saturnin. Coteaux varois de Tourves, Barjols, Nans-les-Pins.

 

Illustration originale Vincent Barbantan

 

in : GROSSIR (ou pas !) sans peine et sans régime

 


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5 réactions à cet article    


  • Clark Kent Séraphin Lampion 10 juin 2020 14:15

    « On l’appelait aussi le »vire-Blanchard« , du nom de son inventeur.  »

    Tiens, au fait, saviez-vous que l’inventeur de l’appeau s’appelait M. Escouille ?

    Personne ne sait combien il a vendu son secret au seigneur qui lui avait promis de le couvrir d’or s’il lui révélait comment il attrapait autant d’oiseaux, mais le seigneur en question s’est presque ruiné, en fait, et n’a avoué qu’une chose :

    « ça m’a coûté l’appeau d’Escouille » !

    (le « s » ne se prononce pas, comme dans tues, il est)


    • Jjanloup Jjanloup 10 juin 2020 16:45

      Excellent !


      • babelouest babelouest 11 juin 2020 04:50

        Les pêches.... cela me rappelle, Odin sait pourquoi, la pêche qu’on pratiquait autrefois, au parapluie.

        .On enfilait sur une grosse ficelle un peu molle de gros « âchets » (les scientifiques disent : des lombrics), on ouvrait à côté de soi « le grand parapuie biu » qu’on tenait du grand-père, ou plus loin encore, la ficelle était attachée au bout d’un bâton, et hop ! on jetait le bout de la ficelle à l’eau. Le tout, en pleine nuit d’été. Si le temps était favorable (un peu orageux) le bâton ne tardait pas à paraître comme électrique. Signe que ça mordait ! On relevait le bâton, au-dessus du parapluie, on secouait, et toc, les pibas tombaient dedans, les dents s’étaient accrochées à la ficelle. Il ne restait plus qu’à remettre la ficelle à l’eau.

        Il y a cent ans, il ne fallait pas longtemps pour se retrouver avec une dizaine de kilos de pibas (de grosses anguilles). Dans une sauce au vin, coupées en rondelles, que c’était bon !


        • Croa Croa 11 juin 2020 12:10

          L’alose est typiquement bordelaise. C’est une pêche saisonnière traditionnelle au carrelet typique de l’estuaire Gironde. Ce poisson se grille sur sarments, se prépare au four façon à l’oseille ou de plein d’autres manières. C’est un met délicat pour ceux qui supportent de trier chair et arêtes (on adore ou on aime pas, il n’existe pas d’entre-deux !)
          Les vôtres (de la Méditerranée) ne peuvent pas être aussi bonnes  !  smiley


          • Joseph DELUZAIN Joseph DELUZAIN 12 juin 2020 10:36

            @ Victor

            Ouf ! ... une bouffée de fraîcheur parmi tous ces articles sur le covid machin, les manifs antiracistes ou antiflics etc ... Je n’en peux plus de tous ces « experts » qui s’épanchent sur ce site.

            Bon, l’alose, c’est de ça qu’il est question ici, alors si on en parlait un peu !?! Heu, il vaut mieux pas car si je commence je ne vais plus m’arrêter et puis ça relève de l’intime quoi ! Ben oui l’art du bien-vivre c’est comme l’amour, ça se fait dans l’intimité. L’alose dans l’alcôve quoi. Ho p***ain elle est moisie celle-là !!!

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