« Je veux que vous pas niquiez (?) »
Nous vivons une époque qui craint l'avenir, et qui se repaît de cette certitude. Il fallait entendre et voir cette toute jeune Suédoise, Greta Thunberg, rapport aux manifestations pour la sauvegarde du climat, se la jouer « gosse de films d'horreur (!) » : « I want you to fear, I want you to panic. » (« Je veux que vous craigniez, je veux que vous paniquiez. ») La petite a du cran, si l'on veut. De la témérité, aussi. Jeune rebelle à la rébellion autorisée, inexpérimentée mais endoctrinée par l'ambiance pseudécolo du « capitalisme vert » ... Cela ne veut rien dire.

Cashpunk capitalism
Que l'on se comprenne bien : le grouillement proactif et affairiste d'une humanité rhizomatique tout autour de la Terre (communément nommé mondialisation capitaliste, éventuellement libérale) n'est pas exempt de fraudes massives, de rétorsions planétaires, ni de pullulements polluards ... Au juste, en cause : les logiques d'investissements depuis banques de prêts et bourses d'actions, dominées par les prêteurs et les actionnaires (pleines d'hypothèques et autres gages) et finalisés par la croissance économique pour elle-même (aux noms de la « liberté » et de la « démocratie » : « chacun fait bien ce qu'il veut quand il veut de ses pactoles » genre « t'as le cash ou tu t'couches »).
Tout cela soumet l'ensemble des relations à la calculabilité, et pour « bon gestionnaire » et « économe » que cela se veuille, ça n'est en réalité pas réaliste. Les mathématiques, les comptabilités et les logistiques ne peuvent pas, à elles seules, résumer l'espèce humaine. Tout cela n'aide, à la limite, qu'à gérer une subsistance étendue jusqu'au luxe. Mais, au final, ça échappe à toute dimension symbolique. Ça se résume au cashpunk, c'est-à-dire pas grand'chose. « Paye ta vie en société ... », genre. Seulement, tout ça n'est pas une raison radicale pour qu'il faille craindre, paniquer, et finalement « combattre le futur ».
Fight the future
« Combattre le futur », « fight the future », c'était le titre du film X-Files (1998). Cette série marqua plusieurs générations sur les quarante dernières années, et est devenue une référence incontournable de la pop-culture. Elle voguait et anticipait sur tout ce qu'il est convenu (à tort, à retors ou à raison) de nommer aujourd'hui « le complotisme ». Ce qu'elle nous apprend, c'est qu'on peut facilement faire la synthèse de toutes les imaginations possibles et imaginables autour des superstitions, des folklores et des « gouvernances » (comme on dit ...), histoire de se payer d'effrois bien sentis.
Mais ça n'est pas que dans la fiction. En 2013, l'anthropologue de la modernité Bruno Latour (un Français internationalement reconnu) donnait une conférence à Science Po : « le Futur a-t-il de l'avenir ? » ... où en somme, sur la base d'un jeu de mot futur/avenir, il expliquait ce « truc » essentiel que, le futur, c'est une projection infinitiste, illimitiste et éternaliste désormais démentie ; l'avenir, c'est ce qui inquiète d'être à-venir, comme s'il allait nous déborder : il est judicieux de le penser défini, limité et actualisant. Ou bien encore, l'éminent anthropologue de la modernité Marc Augé (un Français, qui gagne largement à être connu, directeur d'études à l'EHESS) traitant du Pour quoi vivons-nous ? comme s'il venait à manquer de raisons de vivre, ou encore des Nouvelles Peurs concernant cet article précisément.
Ainsi, tout se passe comme s'il fallait diffusément « combattre le futur », et quoi de pire qu'une « menace fantôme » ? ... La Menace fantôme, tenez, encore un titre annonçant le XXIème siècle en 1999 (Star Wars épisode 1), et la prélogie est belle et bien lourde d'un véritable Complot total, non ? ... Oui décidément, de la conscience collective à l'imaginaire collectif plus ou moins inconscient, tout se passe dans le sens d'un plébiscite de la peur (!) — sans parler du terrorisme. « Les gens heureux n'ont pas d'histoires », fichtre.
Mensonge, fallace ou vérité de la peur ?
Ce qu'il y a de plus terrible avec la peur, c'est qu'on peut en avoir peur (phobophobie) mettant tout simplement en abîme et en cercle vicieux la peur, réfraction de miroirs opposés, à l'infini récursifs. Ou en spirale infernale, très clairement. C'est d'ailleurs la sale logique du scoop médiatique ... y compris de l'hystérisation collective que l'on observe aussi allègrement sous AgoraVox, puisque les articles font largement focus sur les figures du pire.
D'autant plus que, selon ces articles (à tort, à retors ou à raison ... et de loin pas que sous AgoraVox, et vraiment partout : de BFMTV à Causeur — sans parler des sites qui se veulent d'une radicalité alternative absolue) ... selon ces articles, le Monde est le Mal. Pour l'anecdote d'ailleurs, samedi 9 février 2019, on entendait sur radio France Info, dans le cadre du « Grand débat » gouvernemental qu'elle encense comme « national » ... on entendait des journalistes jurer sur la foi du Droit français qu'ils étaient indépendants, et qu'ils allaient redoubler de formats informationnels pour fact-checker, sourcer et au fond « réinformer » la population, dans le cadre d'un besoin de confiance : c'est dire à quel point ils font pitié (du gouvernement aux grands médias ils en sont tous là, à devoir mendier notre créance, ces piteux !). De quoi avoir très peur pour d'excellentes raisons.
Qu'est-ce à dire ?
Rien d'autre que la paranoïdie domine les mentalités, que l'esprit d'espionnage et de contre-espionnage a largement quitté le cadre des James Bond, et que dans l'ensemble tout un imaginaire collectif (avec plus ou moins d'inconscient idoine) depuis le film Ennemi d'État (encore 1999 ... ) au moins, a pétri notre conscience collective. C'est-à-dire que nous tenons tous imaginairement compte d'une effroyable donne, qui d'ailleurs est largement mise en oeuvre en Chine déjà, et qui l'est par nos propres services de renseignements, occidentaux. Serait-ce au nom de « la sécurité garantissant la liberté ».
Nicolas Sarkozy après Jacques Chirac, avait fait campagne sur la sécurité fin des années 2000, entamant notre décennie des Nouvelles Années 10. Mais le même Sarkozy avait en fait réduit les effectifs de police durant son mandat. Aussi avait-on augmenté médiatiquement le stress collectif (sécuritaire comme « antiflics ») et cela contribua fatalement à l'oppression des banlieues avant les Gilets Jaunes, comme des Gilets Jaunes eux-mêmes — débilité sans nom.
Dans la santé mentale publique de tels politiciens, tout comme les grands médias (médias de grande diffusion si l'on préfère) ont une responsabilité majeure, incalculable (sans parler des saillies actuelles au sommet). La corrélation est évidente, mais naturellement chacun se déresponsabilisera en justice d'une manière ou d'une autre. On ne pourrait qu'obliger à une déontologie devant cela. Chacun sent bien qu'elle manque, par temps de trolling permanent (et serait la seule vraie réponse à la méfiance générale, désormais) mais que l'on soit bien clairs, au passage : ça n'est pas en supprimant l'anonymat sur Internet qu'on y changera quelque chose. Supprimer cet anonymat, ce serait comme obliger à porter un haut-de-corps avec notre identité inscrite dessus. Ce n'est pas logique quand on défend la liberté, la pulsion sécuritaire prétendrait-elle la garantir. Il faut aussi pouvoir circuler incognito en ligne.
L'avenir est imprévisible
Au fond, ce qui nous fait le plus « tous chier », c'est que l'avenir reste imprévisible, quoiqu'on fasse. Et il est d'abord plus « rassurant » de se dire qu'il empire ! ... Après tout, « mieux vaut la certitude du pire qu'aucune certitude du tout ». C'est un ressort psychologique fondamental, simplement superstitieux « comme au bon vieux temps ». Juste, on a remplacé les chats noirs par — au hasard — le climat.
Je répète que ça n'est pas pour nier l'impact écologique humain. Mais simplement pour dire que nous nous enfermons dans des prophéties apocalyptiques, qui n'ont pas plus lieu d'être que l'optimisme béat qui présida à la mauvaise élection du chef de l'État (si insoucieux et dédaigneux de ce fait. « Je m'en soucie guère ... », comme dans la chanson, ça ne manque pas d'en faire flipper non plus.
Quoi de plus frustrant, à l'heure où les technologies prétendent au contrôle total (à tort, à retors ou à raison), que d'avoir encore toujours à « combattre le futur » ? ... Et les « capitalistes » (les personnes de culture capitaliste) en premier chef, ça a toujours été pour elles un objectif immédiat que de « garantir leurs investissements » et « sécuriser leurs avoirs ». Le « capitalisme » est, à ce titre, une vaste logique bourgeoise de mise au pas, de verrouillage, de contrition, de contènement et de protection matérielle « combattant le futur ».
Sainte Mère Matière, Diabolique Père Avenir (!)
Or la matière, comme son nom nous en souvient, c'est le matériau, la materia, la mater, la mère (si charnelle d'accoucher des corps, c'est-à-dire de nos matérialités). Et ainsi, se sécuriser, c'est sécuriser son corps, c'est craindre pour sa mère (pour le meilleur et pour le pire) face à l'avenir — nom masculin quant à lui, inconnu à caractère paternal car adjuvant, édifiant, confrontant et altérant, tout à la fois. Ceci n'était qu'une digression symbolique … pour dire que personne n'échappe au père-avènement. Et heureusement, il est le seul garant de notre ouverture véritable et de la liberté, ce qui s'appelle la liberté.
Rien n'est dit. N'ayez pas peur de rien, restez attentifs, la peur sert l'attention quand elle ne la déborde pas. Sans peur, pas d'attention mais, hélas, trop de peur ne tue pas la peur. Trop de peur tue, que ce soit devant le climat comme devant l'intelligence artificielle, en passant par le terrorisme ou la mondialisation capitaliste, songez que ça doit être compris avec sagacité. Une qualité que n'a pas l'actuel président de France de tendance si anti-française, par exemple.
Bref, Greta Thunberg aka « I want you to fear, I want you to panic ; Je veux que vous craigniez, je veux que vous paniquiez » ... est née de la dernière pluie imaginée par Netflix series : The Rain. C'est tout.
Entre nique et panique, il ne faut pas choisir.
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