Kokopelli, Biocoop… Et si on utilisait moins de pesticides en agriculture biologique ?
L’été dernier, j’ai publié un article sur Agoravox à propos des attaques de l’association Kokopelli contre l’usage des tomates F1 par les maraîchers bio. Un peu surpris par les réactions (positives et négatives) provoquées par mon article, aussi bien sur Agoravox que dans certaines conversations autour de moi, j’ai préféré ne pas répondre tout de suite. Au point que j’ai fini par ne pas répondre du tout.
La saison des tomates approchant (les semis sont déjà en cours), je souhaite quand même revenir sur quelques points.
Article d'août : http://www.agoravox.fr/actualites/environnement/article/oui-je-cultive-des-tomates-f1-et-183846
Le réseau Biocoop était aussi concerné par les critiques de Kokopelli. Tout cela a provoqué pas mal de tumulte, et les consignes données par l’enseigne aux maraîchers sont désormais : « faites plus de tomates anciennes ». Très bien, il faut donc faire plus de tomates anciennes.
Le problème : qu’est-ce qu’une tomate ancienne ? Parce qu’encore une fois, si on se fie au catalogue de Kokopelli, le mot « ancien » devient très relatif. Par exemple, la variété Green Zebra a été créée il y a à peine trente ans (aux Etats-Unis). Idem, pour la Noire de Crimée, s’il s’agit effectivement d’un nom vernaculaire ancien, elle a été recréée et homogénéisée dans les années 80.
Et pourtant, ce sont deux variétés qui ont énormément la cote en ce moment auprès des Français et présentées comme un retour au potager des grands-parents. Quelles que soient les qualités de ces deux variétés, c’est plutôt du marketing que la redécouverte de variétés traditionnelles (je vous conseille la tomate Marmande à ce compte).
Côté consommateur, on ne voit que le fruit ou le légume sur l’étalage. On ne juge donc qu’à partir du fruit ou du légume que l’on achète : est-il beau ? A-t-il bon goût ? Combien de temps puis-je le garder avant qu’il moisisse ? Ce sont des questions de bon sens, mais qui ne permettent pas de se rendre compte du travail nécessaire pour en arriver là, et notamment du taux de perte !
Je m’explique : si je choisis de faire de la Noire de Crimée, je vais au-devant de sérieuses difficultés. Le mildiou est en effet un problème endémique chez moi : il prospère dans des conditions humides. D’où mon choix de privilégier des variétés de tomates F1, plus résistantes. La Noire de Crimée, au contraire, est particulièrement sensible à ce champignon, de même que la plupart des variétés « anciennes » (réelles ou non).
Tout ceci m’amène au fond du problème, que je n’ai finalement pas tellement développé dans mon premier texte : l’usage des pesticides.
Réglons tout de suite un malentendu : que ce soit en agriculture intensive ou en agriculture biologique, dans les deux cas, on utilise des pesticides. La différence est que la liste est plus limitée en agriculture biologique et que certains produits sont préférés par la bio, car d’origine naturelle.
Dans le cas du maraîchage, le désherbage manuel ou mécanique est plus employé que pour d’autres types de cultures où, pour des raisons pratiques (superficie à traiter, espèces de végétaux), le recours au désherbage chimique ou aux insecticides et antifongiques est privilégié (céréales, arbres fruitiers).
Dans le cadre de mon activité, je me passe quasiment d’herbicides. Par contre l’usage d’insecticides est, malheureusement, une nécessité. Un des insecticides les plus appréciés par les paysans bio, c’est l’huile de neem. Pour nous, l’huile de neem est un progrès, car auparavant c’était principalement la roténone qui était utilisée. La roténone a été définitivement interdite il y a quelques années, en raison du risque de développer la maladie de Parkinson et du fait de sa toxicité pour la faune aquatique.
Cependant, l’huile de neem n’est pas non plus la panacée. Elle est aussi soupçonnée d’être un perturbateur endocrinien. En fouillant sur le sujet, j’ai même trouvé un rapport de l’ANSES qui demande qu’elle ne soit pas utilisée pour tout ce qui est fruits et légumes. Je peux vous assurer que tout le monde n’est pas au courant dans la bio.
Et cela pose une seconde question : que peut-on utiliser à la place ? La lutte contre les nématodes (les vers contre lesquels l’huile de neem est utilisée) peut être menée, dans une certaine mesure, grâce à la rotation des cultures (encore faut-il avoir la place pour cela) et grâce à d’autres plantes qui ont un effet répulsif, comme l’œillet d’Inde (c’est joli, mais ça augmente d’autant plus le travail de sarclage). Demeure que les méthodes alternatives atteignent parfois leurs limites.
Rapport de l'ANSES : http://www.anses.fr/fr/system/files/MFSC2014sa0219.pdf
L’huile de neem est un cas assez symptomatique, mais ce n’est pas le seul. Par exemple, le spinosad qui est très bien pour protéger les tomates contre les thrips, insectes qui se nourrissent des feuilles et peuvent transmettre des maladies. Mais le spinosad n’agit pas uniquement contre les thrips, il est aussi mortel pour les abeilles. Et, franchement, je ne me suis pas mis à la bio pour finir par contribuer à l’extinction des abeilles (au contraire !).
D’autres produits utilisés dans la bio ont aussi leurs défauts. Le cuivre (principal élément de la bouillie bordelaise) qui est un métal lourd empoisonnant les sols, il est pourtant très utile contre le mildiou quand on utilise des variétés qui y sont sensibles. Les pyréthrines (insecticides) sont aussi pas mal remises en question, car suspectées d’être cancérigènes et sont aussi dangereuses pour les abeilles.
Cette liste n’est pas exhaustive. Je vous en parle pour que vous compreniez à quel point un maraîcher passe son temps à jongler entre différents paramètres : protection de l’environnement, des hommes, des plantes cultivées, temps et moyens nécessaires pour la culture, rentabilité (et oui ce n’est pas une œuvre caritative)…
Il ne faut donc pas s’étonner que les paysans (bio ou pas bio) puissent parfois montrer des signes d’agacement, quand on leur impose de faire des choses contradictoires. D’où ma réaction en août et maintenant : demander des tomates « anciennes » (et pas du tout résistantes aux maladies) et exiger aucun pesticide, ça vire parfois à la mission impossible.
En l’état, ce qui m’apparaît le plus nécessaire, c’est de choisir des variétés adaptées aux conditions du bio : plus rustiques et plus résistantes. D’où les tomates F1, mais s’il y a des variétés avec les mêmes qualités et réutilisables d’une année sur l’autre, je suis preneur. Sur cette base, on peut limiter l’utilisation de pesticides : les plantes font une partie du boulot toutes seules contre les mauvaises herbes, les insectes, les maladies. Ca ne sera jamais parfait mais, au moins, ça évitera de barbouiller de cuivre de fausses variétés « anciennes » !
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