Le beau bordel européen de l’agriculture bio
Il est difficile de trouver un agriculteur bio français qui ne soit pas vent debout contre le règlement européen actuel de l’agriculture biologique. Mais en voulant corriger les erreurs du passé, le mouvement de la bio et les politiciens européens en font de nouvelles ! Gravissimes pour l’avenir de l’agriculture biologique !
Pourquoi le règlement européen actuel ne satisfait pas les paysans bio ? Parce qu’il est beaucoup moins ambitieux que le règlement français originel, qui a dû s’aligner sur la version commune, plus légère.
Résultat ? Des éléments importants ont été perdus comme le lien à la terre, c’est-à-dire l’obligation de planter en pleine terre les fruits et légumes cultivés (donc d’éviter l’hydroponie par exemple), facteur essentiel pour le goût des aliments ! Pour un maraîcher artisanal et local, cela veut aussi dire que ses fruits et légumes, cultivés selon les normes plus élevées de l’agriculture bio française d’avant, ne sont pas plus valorisés que ceux produits dans la région de la mer de plastique du Sud de l’Espagne, qui s’est également mise à la bio… mais juste le strict minimum pour apposer le logo « AB ». A cela s’ajoute la pression qui se fait de plus en plus sentir de la grande distribution (coucou Carrefour et Leclerc !) pour faire baisser le prix des produits bio, et qui impacte tout le monde, même quand on vend à Biocoop et sur les marchés. Faute de connaître les détails, les consommateurs ne comprennent logiquement pas pourquoi il existe de telles différences de prix, alors que le logo « AB » est présent en grandes surfaces et sur l’étal du marché.
En voulant démocratiser l’agriculture bio, les politiques ont donc compliqué la tâche aux agriculteurs et vendeurs réellement impliqués et permis à des groupes flairant toujours la bonne affaire de vendre du bio « service minimum ». A tel point que dans certains cas, mieux vaut acheter des fruits et légumes « classiques » locaux que chez certains grossistes « bio » peu scrupuleux !
Au printemps 2018, le nouveau règlement bio a été validé et rentrera en vigueur en 2021. Un point a beaucoup fait parler de lui : la légalisation des semences paysannes ! Après avoir entendu des sons de cloche très différents sur le sujet, j’ai fini par lire moi-même ce nouveau règlement.
Règlement bio 2018 : https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=OJ%3AL%3A2018%3A150%3AFULL&from=FR
En fait, il est question du droit de vendre du « matériel hétérogène », c’est-à-dire des graines qui sont plus ou moins semblables, mais pas suffisamment pour être décrites comme faisant partie d’une variété bien précise. Les plantes qui sont issues de ce matériel hétérogène peuvent être d’« une grande diversité génétique et phénotypique ». En cela, ça répond au problème sur lequel buttent les variétés paysannes : elles ne sont pas assez stables d’une génération à l’autre. Elles donnent donc naissance à des plants assez différents les uns des autres.
Au premier abord, cela peut sembler une bonne chose, mais il faut avoir à l’esprit ceci : rien ne ressemble plus à une graine qu’une autre graine ! Si vous avez un potager d’agrément, vous commandez par exemple des graines « hétérogènes » qui sont censées avoir des caractéristiques proches des tomates ananas. Finalement, les graines donnent un mix de tomates ananas et de cornues des Andes, vous vous direz tant pis et voilà tout. Maintenant, imaginez la même chose pour un maraîcher professionnel, ce serait une catastrophe. Il ne pourrait pas honorer ses commandes de tomates ananas, et il n’est pas certain qu’il puisse vendre à la place ses cornues des Andes. De plus, toute sa planification (quand auront lieu les levées ? Quel espacement entre les plants ? Quelle maladie surveillée ? etc) serait impactée.
Potentiellement, ça peut aboutir à de graves problèmes pour le maraîcher. Pas sûr que les assurances agricoles acceptent de couvrir ce type de pertes. Pas sûr non plus, qu’il soit possible de se retourner contre la personne ou l’entreprise qui aurait vendu ce « matériel hétérogène ». En voulant assouplir la commercialisation des semences paysannes, on risque surtout d’augmenter les risques pour les agriculteurs bio de se retrouver avec des cultures qui n’étaient pas celles attendues !
En lisant ce règlement, je me suis rendu compte que le problème ne s’arrêtait pas là ! Actuellement, les variétés cultivées pour la plupart des fruits et légumes sont les mêmes en bio et en conventionnelle. Cela pose certains problèmes : des variétés qui marchent très bien en agriculture classique peuvent être décevantes en bio. Pourquoi ? Car ces variétés sont faites pour être associées à des pesticides et des engrais qui compensent leurs faiblesses. Or en bio, les pesticides autorisés sont moins nombreux ou différents (pas de produits de synthèse, uniquement d’origine naturelle), idem pour l’engrais, d’où la différence.
Pour résoudre cette question, les politiques ont eu une fausse-bonne idée : demander à ce que les variétés utilisées en bio soient créées et cultivées spécifiquement pour la bio ! C’est à ce niveau-là qu’on se rend compte que les politiques pensent parfois bien faire et… font pire. Et par la même occasion, on se demande à quoi servent les syndicats de l’agriculture biologique pour laisser faire.
Cette obligation soulève au moins deux problèmes :
1. Le plus évident : entre un marché du bio qui ne représente encore que quelques pour cent et un marché du conventionnel qui occupe tout le reste. Les maisons semencières préfèreront créer des variétés pour la bio ou l’agriculture conventionnelle ? Actuellement si une variété s’avère assez résistante (aux maladies par exemple) pour être cultivée en bio, elle est proposée à la vente. Demain, ce ne sera plus possible : il faudra des plantes qui auront été sélectionnées spécialement pour la bio. Les possibilités de culture risquent d’être très limitées…
2. Il est déjà dur de se fournir en semences bio actuellement. Pour compenser, des dérogations peuvent être accordées pour utiliser des graines non-traitées, c’est-à-dire que la plante-mère est cultivée en conventionnelle, mais que la graine une fois récoltée ne subit aucun traitement chimique (fongicide notamment). La volonté générale est d’aller vers des semences uniquement bio, mais c’est un problème de production, pas de politique. Or, le nouveau règlement obligera à recourir à des plantes qui génération après génération auront été cultivées en bio : cela va à nouveau restreindre la production.
A partir de 2021, acheter des semences en bio risque de devenir un casse-tête. Soit, on achète des semences paysannes bien définies, mais contrairement au marketing de certaines associations-entreprises (coucou Kokopelli !), elles sont beaucoup moins résistantes aux maladies (les tomates anciennes sont très sensibles au mildiou !). Soit, on risque de se retrouver avec des graines « matériel hétérogène », parce que les grainetiers ne voudront pas investir pendant des années pour créer des variétés vraiment adaptées aux conditions du bio. On aura des plantes qui différeront d’une graine à l’autre, ce sera une horreur à cultiver et il n’est pas sûr que ces fruits et légumes se vendront bien (standardisation oblige, bio ou pas).
CQFD, en voulant sécuriser la création de plantes adaptées aux conditions de la bio, on va juste réussir à se tirer une balle dans le pied, en limitant grandement le choix des cultures en agriculture biologique !
AJOUT DE DE DERNIERE MINUTE : ENCORE UNE MAUVAISE NOUVELLE !
Les journées sont longues en été, entre le moment où j’ai commencé à écrire et le moment où je clique sur « publier » sur Agoravox, il se passe plusieurs semaines. J’étais déjà très remonté sur le futur règlement du bio, je découvre que l’Europe a encore fait des étincelles : la cour de justice européenne a qualifié les plantes obtenues par mutagénèse d’« OGM »… comme les OGM de Monsanto ! A part que tout le monde utilise ces plantes depuis des dizaines d’années.
Sur le principe, il faut reconnaître que ce n’est pas génial : on bombarde de rayons X ou de substances chimiques des plantes, et parmi les survivantes, on cherche celles qui pourraient avoir de nouvelles mutations intéressantes (résistance à une maladie, meilleur réseau racinaire, etc). On les croise avec d’autres plantes saines pour ne garder que la partie nouvelle. Je ne suis pas sûr qu’il y ait une espèce cultivée en France, tomate, carotte, pomme, fraise, blé, chou, maïs, etc qui n’ait jamais été concernée par la mutagénèse.
La Confédération paysanne, pourtant peu connue pour son amour des OGM, reconnaît que c’est impossible d’interdire les plantes mutées en bio, et pourtant c’est ce que vient de faire la cour européenne ! Car en reconnaissant, que la mutagénèse = OGM, cela veut dire de facto qu’on ne peut plus cultiver les plantes qui en sont issues ! Autant dire toutes ! C’est l’une des premières règles de la FNAB (la fédération de l’agriculture bio) : « Les organismes génétiquement modifiés (OGM) et les produits obtenus à partir d’OGM ou par des OGM sont incompatibles avec le concept de production biologique et avec la perception qu’ont les consommateurs des produits biologiques. »
J’ai vu que certains mégotaient en disant que ça ne concernait que les variétés résistantes aux herbicides, donc principalement le colza et le tournesol. D’autres disent que ce n’est que pour la mutagénèse « nouvelle », les techniques apparues depuis les années 2000. Mais ce n’est pas ce que dit le jugement (mieux vaut lire soi-même) : « les organismes obtenus au moyen de techniques/méthodes de mutagenèse constituent des organismes génétiquement modifiés »
Décision de la cour européenne : https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=CELEX:62016CJ0528&from=FR
Je ne suis pas certain que tous mes collègues du bio se soient encore rendu compte du problème ! Le règlement bio dit « pas d’OGM » et les juges européens viennent de dire que tout ce qui est mutagénèse crée un OGM. On utilise ces variétés de plantes depuis les débuts de la bio ! Ça revient à dire que la bio fait des OGM, comment expliquer ça aux consommateurs ? Comment expliquer ça aux paysans ? En tant que maraîcher, je n’ai pas l’intention d’engraisser Monsanto, ni de porter atteinte à la Nature ! Et on vient me dire l’inverse !
De manière très concrète, je m’inquiétais déjà de ce que je vais pouvoir planter en 2021 avec le nouveau règlement bio, mais en fait c’est dès les semis d’hiver de cette année que la question se pose ! Est-ce que je peux encore utiliser des variétés mutées ? A priori, non… D’ailleurs, les identifier n’est pas toujours une évidence. Est-ce qu’on va m’accuser d’avoir trompé mes clients ? Est-ce que les Biocoops vont aussi être accusées de tromperie, si elles continuent de vendre mes fruits et légumes ?
On peut espérer une période de tolérance pour s’adapter, mais les dégâts sur l’image de la bio se font déjà sentir. Plusieurs personnes m’ont déjà interrogé là-dessus. Je prends mon propre cas, mais tout agriculteur bio doit se poser la question !
En bref, les choses ne vont définitivement pas dans le bon sens au niveau européen. On nivelle vers le bas les conditions de culture pour avoir la certification AB, et de l’autre on est en train de faire n’importe quoi avec les graines, qui sont quand même la base de notre métier ! Si on voulait détruire la bio, on ne s’y prendrait pas autrement ! Il est grand temps que les syndicats du bio, Confédération paysanne et FNAB les premières, se mettent sérieusement à bosser sur ce dont les paysans bio ont vraiment besoin : un cadre clair et COHERENT !
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